En huit longues années, tissées de rebondissements et de retournements d'alliances, la guerre de la Succession d'Autriche révèle l'émergence d'une nouvelle puissance avec laquelle il faudra compter : la Prusse.
Origines de la guerre
L'empereur d'Allemagne Charles VI de Habsbourg était mort le 20 octobre 1740. Faute de fils pour lui succéder, il avait prévu par la « Pragmatique Sanction » du 19 avril 1713 que son héritage pourrait revenir à l'aîné de ses enfants, fût-il une fille ! Cette ordonnance impériale devait éviter le morcellement de ses États héréditaires (Autriche, Hongrie, Bohême...). Mais elle ne fut agréée que du bout des lèvres par les souverains européens.
Charles VI mort, c'est à sa fille aîné Marie-Thérèse que doit revenir l'héritage. Née en 1717, elle est alors enceinte de son quatrième enfant. Mais l'affaire survient à un moment-clé de l'histoire des monarchies.
À Berlin, Frédéric-Guillaume Ier, surnommé le Roi-Sergent, est lui-même mort le 31 mai de la même année 1740, laissant un petit État de 2 millions d'habitants mais aussi une armée parfaitement équipée et bien encadrée de 80 000 hommes, encore jamais employée.
Son fils lui a succédé sur le trône de Prusse sous le nom de Frédéric II.
Personne n'imagine l'esprit politique qui se cache derrière les bonnes manières de ce jeune homme de 27 ans, amoureux de la philosophie et ami de Voltaire auprès duquel il passera pour un « despote éclairé ».
À Moscou, la tsarine Anna Ivanovna meurt le 28 octobre. Son neveu Ivan IV (1 an) est rapidement éliminé et la fille de Pierre le Grand, Elizabeth Petrovna, devient à son tour tsarine le 7 décembre 1741.
Quand arrive le moment de procéder à l'élection du nouvel empereur du Saint Empire romain germanique, les souverains européens, à commencer par Frédéric II, ne se font pas faute de contester les droits des Habsbourg d'Autriche.
Le roi de Prusse profite de l'inexpérience de Marie-Thérèse pour s'emparer sans coup férir de la riche province autrichienne de Silésie, depuis longtemps convoitée.
L'armée qu'il a héritée de son père, le Roi-Sergent, passe avec succès l'épreuve du feu en battant les Autrichiens à Mollwitz le 10 avril 1741 malgré la fuite précipitée et honteuse du roi devant le feu et l'avantage numérique en faveur de l'Autriche :
• Les États autrichiens alignent 100 000 soldats pour 14 millions d'habitants,
• La Prusse en aligne 80 000 pour 2 millions d'habitants seulement.
Mésentente dans le camp français
En France, le roi Louis XV et son Premier ministre, le pacifique cardinal Fleury, sont disposés à respecter leurs engagements vis à vis des Habsbourg dans un souci d'équilibre européen.
Ils ont la conviction que l'Autriche ne représente plus un danger pour leur pays et qu'il ne servirait à rien de l'abaisser.
Mais l'opinion éclairée, à Paris, est d'un avis opposé. Les nobles rêvent d'en découdre avec l'ennemie séculaire, héritière de Charles Quint, voire de Charles le Téméraire et des Bourguignons.
Versailles commet l'erreur d'envoyer le maréchal de Belle-Isle (petit-fils du contrôleur général des finances Nicolas Fouquet) à la diète de Francfort pour assister à l'élection du futur empereur par les Grands Électeurs : les archevêques de Trèves, Mayence et Cologne, le comte palatin du Rhin, les Électeurs de Saxe, Bavière, Brandebourg et Hanovre, le neuvième Électeur étant l'archiduc d'Autriche, décédé).
Belle-Isle, quinquagénaire beau parleur, était en France l'âme du camp belliciste.
À Francfort, où il étale son faste, il outrepasse sans scrupule les consignes de modération de Louis XV. Il se ligue avec la Saxe, l'Espagne, la Pologne, la Sardaigne et la Bavière contre l'Autriche, chacun des coalisés ayant l'espoir de lui arracher quelques belles provinces. Par un traité signé à Nymphenburg, le 28 mai 1741, lesdits coalisés promettent la couronne impériale au duc de Bavière, Charles-Albert de Wittelsbach. La coalition est complétée par une alliance avec la Prusse signée le 4 juin 1741.
Ainsi s'engage la guerre de la Succession d'Autriche, coûteuse pour la France et annonciatrice des malheurs liés à la montée de la Prusse. Les armées françaises commandées par le maréchal de Belle-Isle envahissent la Bohême pour faciliter le couronnement de l'Électeur de Bavière comme roi de Bohème, titre indispensable pour obtenir celui d'empereur. Le 26 novembre 1741, le maréchal Maurice de Saxe, un brillant condottiere (mercenaire) au service de la France, attaque Prague et s'en empare.
La prise de Prague donne lieu dans la nuit du 25 au 26 novembre 1741 à un dialogue célèbre entre le lieutenant-colonel Chevert, qui commande l'avant-garde, et un sergent.
– Tu vas grimper, dit le premier en montrant les remparts de la ville.
– Oui, mon colonel.
– La sentinelle tirera sur toi.
– Oui, mon colonel.
– Elle te manquera.
– Oui, mon colonel.
– Tu la tueras.
– Oui, mon colonel.
– Après cela, ne crains rien, nous arriverons tous.
Ainsi fut fait ! Au petit matin, la vie reprend son cours dans la ville où se côtoient habitants et vainqueurs, sans aucun pillage...
L'Électeur de Bavière Charles-Albert tire parti des premiers succès de la coalition pour se faire élire empereur sous le nom de Charles VII en janvier 1742 à la diète de Francfort.
Mais Marie-Thérèse riposte avec une énergie peu commune. Elle se rapproche de l'Angleterre, de la Russie et des Provinces-Unies. Elle détache aussi la Prusse de la coalition en signant avec Frédéric II le 28 juillet 1742, à Berlin, un traité unilatéral par lequel elle lui abandonne la Silésie.
Puis, entraînant derrière elle les nobles magyars, elle chasse les Français de Bohême, saccage Munich et la Bavière et menace même l'Alsace ! C'est dans des conditions dramatiques que le maréchal de Belle-Isle doit évacuer la Bohême avec son armée, pendant le rude hiver 1742-1743. Comme un malheur n'arrive jamais seul, le pacifique cardinal de Fleury meurt sur ces entrefaites à 90 ans, le 29 janvier 1743.
Un compromis se dessine. Marie-Thérèse conserverait ses domaines héréditaires, à savoir l'archiduché d'Autriche et les royaumes de Bohême et de Hongrie. Le titre impérial, purement symbolique, reviendrait au duc de Bavière.
Fin du premier acte.
La guerre, hélas, ne s'arrête pas là.
Après la chute de son Premier ministre Robert Walpole en 1742, le roi d'Angleterre George II décide d'intervenir plus activement dans le conflit en faveur des Autrichiens.
C'est ainsi que l'armée anglaise bouscule les Français sur le Rhin.
Le roi de Prusse, Frédéric II, renoue de son côté avec la France et attaque à nouveau l'Autriche.
Le roi Louis XV se rend lui-même à la guerre comme autrefois son aïeul Louis XIV. C'est là qu'il tombe gravement malade, à Metz, en 1744, et le peuple pleure et prie abondamment pour son rétablissement. Guéri, Louis XV reçoit le surnom de Bien-Aimé mais sa popularité ne survivra pas au dénouement de la guerre.
Le 11 mai 1745, sur la frontière avec les Pays-Bas autrichiens (l'actuelle Belgique à peu de chose près), près de Tournai, Maurice de Saxe remporte sur les troupes anglo-autrichiennes du duc de Cumberland la victoire de Fontenoy.
Entre temps, à Francfort, Marie-Thérèse profite de la mort de l'empereur Charles VII de Bavière pour faire élire son mari à la tête de l'empire sous le nom de François Ier en 1745 (on parlera désormais de la dynastie des Habsbourg-Lorraine et non plus des seuls Habsbourg).
Le 26 décembre 1745, Frédéric II signe à Dresde un traité avec Marie-Thérèse. Il obtient de celle-ci confirmation de son annexion de la Silésie et se retire définitivement du conflit, laissant les Français seuls avec leurs difficultés.
Abandonnée par la Prusse, la France essuie quelques revers en Italie cependant qu'elle affronte les Anglais dans les colonies, en Amérique et aux Indes. Mais le 2 juillet 1747, le maréchal de Saxe bat une nouvelle fois les Anglo-Hollandais du duc de Cumberland aux Pays-Bas, à Lawfeld, en présence du roi. Il redresse avec brio la situation de la France. Louis XV sort enfin vainqueur de cette guerre globalement absurde.
Fin du IIe acte.
« Bête comme la paix »
Aux négociations de paix à Aix-la-Chapelle, les représentants du roi de France n'en manifestent néanmoins une très grande modération, à la surprise des diplomates. Ils ne réclament aucune annexion de sorte que la Prusse apparaît comme le seul véritable vainqueur de la guerre, avec l'annexion de la Silésie ! D'où l'expression qui fleurit en France et nourrit le mépris des Français à l'égard de leur roi : « bête comme la paix » !
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