13 mai 1940

Churchill Premier ministre contre Hitler

Winston Churchill fait le signe V de la victoire en juin 1943, devant le 10 Downing Street, Londres Le 10 mai 1940, tandis que les armées de Hitler rompent le front de l'ouest, Winston Churchill (65 ans) devient à 18h30 Premier ministre du Royaume-Uni.

Il remplace à ce poste Neville Chamberlain, qui s'est déconsidéré par ses hésitations et ses reculades face à Hitler.

C'est un extraordinaire retour en grâce pour le vieux leader politique, précédemment honni de tous et jamais encore arrivé au sommet du pouvoir malgré des états de service brillants.

Trois jours plus tard, le 13 mai 1940, Winston Churchill lance à l'adresse des députés et de ses concitoyens : « Je n'ai à offrir que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur !... »

André Larané

La voix qui crie dans le désert

En juin 1929, après une carrière flamboyante, Winston Churchill s'oppose bruyamment aux projets d'autonomie de la colonie des Indes. Cela lui vaut d'être une nouvelle fois écarté des allées du pouvoir. Il a 55 ans et sa page dans les livres d'Histoire reste à écrire.

S'amorce une traversée du désert qui durera dix ans, « the devil's decade » (la décennie du démon). On pourrait croire que c'en est fini de la carrière politique de Winston Churchill. Celui-ci fait de la peinture à Cannes, sur la Côte d'Azur, et poursuit la biographie de son ancêtre : Vie de Marlborough.

Pourtant, certains observateurs entrevoient très tôt la véritable stature du personnage. Le conservateur Harold Nicholson déclare à son propos en 1931 dans la revue Vanity Fair : « C'est le pilote des causes désespérées. Le jour où l'avenir de l'Angleterre apparaîtra désespéré, c'est lui que l'on appellera comme leader » !

Winston Churchill prend très vite conscience du danger que représente le nazisme. Le 13 avril 1933, dans un discours aux Communes, il dénonce la menace que fait peser Hitler, qui a accédé au poste de chancelier d'Allemagne deux mois plus tôt. Toutefois, ses foucades et ses erreurs de jugement sur l'avenir des Indes, sur Mussolini, sur Franco... enlèvent de la crédibilité à ses discours sur le nazisme.

Churchill, qui a dès 1927 rencontré Mussolini, le Duce d'Italie, a été séduit par le personnage du dictateur fasciste. En 1935-1936, il plaide pour l'apaisement avec l'Italie à propos de l'invasion de l'Éthiopie.

Retour en grâce

Le tournant se situe en 1937, lorsque Neville Chamberlain (68 ans) succède à Stanley Baldwin à la tête du gouvernement britannique.

Chamberlain a démontré ses talents comme lord-maire de Birmingham et chancelier de l'Échiquier (ministre de l'économie) dans le précédent gouvernement. Mais il ignore tout des affaires internationales et n'a pas pris la juste mesure des nouveaux dictateurs qui affligent l'Europe, Mussolini, Staline et surtout Hitler.

Edward Frederick Lindley Wood, Lord Halifax (16 avril 1881, Powderham ; 23 décembre 1959, Garrowby)Churchill ne ménage plus ses critiques contre le nouveau Premier ministre qui prône l'« appeasement » (apaisement) à tout prix avec le Führer allemand. Il est rejoint par le secrétaire d'État aux Affaires étrangères Anthony Eden (43 ans), lequel démissionne en février 1938 suite à l'échec des sanctions contre l'Italie, coupable d'avoir envahi l'Éthiopie. Ces sanctions n'ont eu d'autre effet que de jeter Mussolini dans les bras de Hitler.

Chamberlain appelle aux Affaires étrangère Lord Halifax (58 ans), ancien vice-roi des Indes, qui va relayer sa politique d'apaisement.

Mais le 5 octobre 1938, après les indignes accords de Munich, Churchill dénonce cette politique dans un grand discours aux Communes : « Nous avons subi une défaite, sans guerre, dont les conséquences nous accompagneront loin sur notre route... » Il apparaît dès lors comme le seul homme politique lucide, déterminé à la guerre et capable de la mener.

Churchill à la revue de la Homefleet à SpitheadQuand est enfin déclarée la guerre, le 3 septembre 1939, il revient au gouvernement sous la pression de l'opinion, à un poste qu'il connaît bien, celui de Premier lord de l'Amirauté.

Dans les minutes qui suivent sa nomination, tous les navires de la Royal Navy reçoivent le même télégramme : « Winston is back » (Winston est de retour).

Pendant plusieurs mois, les troupes franco-britanniques se tiennent l'arme au pied sur la frontière occidentale de l'Allemagne. C'est la « drôle de guerre ».

Bien qu'anticommuniste de la première heure, Churchill demande à ménager l'URSS de Staline lorsque celle-ci, alliée de l'Allemagne, attaque la petite Finlande le 30 novembre 1939.

Mais en tant que ministre de la Marine, il n'entend pas rester l'arme au pied. Ses navires traquent la Kriegsmarine et finissent par remporter une victoire éclatante le 17 décembre 1939 sur le cuirassé Graf Spee, dans la bataille du rio de la Plata.

Le Premier Lord de l'Amirauté suggère et organise aussi une attaque à revers contre l'Allemagne en... Norvège.

L'objectif est de couper aux Allemands la route du fer, le précieux minerai étant extrait dans la Suède voisine. Mais l'affaire tourne au fiasco, tout comme le débarquement des Dardanelles en 1915 ! Un corps expéditionnaire franco-britannique débarque à Narvik et doit presque aussitôt rembarquer, Hitler occupant la Norvège et le Danemark par surprise le 9 avril 1940.

Neville Chamberlain (18 mars 1869, Edgbaston, Birmingham ; 9 novembre 1940, Heckfield)Neville Chamberlain, avec une extraordinaire abnégation, assume la responsabilité de l'échec et offre sa démission, blanchissant Churchill par la même occasion et laissant à ce guerrier-né la mission de conduire la guerre.

L'opinion publique et les députés s'attendent à la nomination de Lord Halifax au 10 Downing Street. Churchill a été très décrié par le passé pour ses échecs (Dardanelles, Norvège) et ses erreurs de jugement (Édouard VIII). Il s'est fait beaucoup d'ennemis dans tous les camps. Tout au plus le verrait-on au ministère de la Défense.

Mais Édouard Halifax, trop porté à l'apaisement, ne se voit pas lui-même en chef de guerre et le fait savoir à Chamberlain dans l'après-midi du 9 mai. Il ne fait dès lors plus de doute que Churchill est le seul homme à même de mener la guerre.

Le matin du 10 mai 1940, Hitler lance ses armées contre la Belgique et la France, mettant fin à la « drôle de guerre ». Le soir, à 18h30, Winston est appelé par le roi George VI à former un nouveau gouvernement.

Le cabinet de guerre (War cabinet) britannique en octobre 1940 ; debout de gauche à droite :  Arthur Greenwood, Ernest Bevin, lord Beaverbrook, Kingsley Wood ; assis : Jon Anderson, Winston Churchill, Clement Attlee, Anthony Eden.

Le recours

Trois jours après, Winston Churchill, 66 ans, présente son gouvernement à la Chambre des Communes. C'est un gouvernement d'union nationale, avec une majorité de conservateurs dont lui-même mais aussi des travaillistes et des libéraux. Sur trente ministres, cinq dont lui-même forment une équipe resserrée, le cabinet de guerre ou War Cabinet, entièrement voué à la conduite de la guerre.

Churchill s'attribue les portefeuilles de Premier ministre et de ministre de la Guerre, avec le concours du conservateur Sir Anthony Eden, Secrétaire d'État à la Guerre. Il est assisté au cabinet de guerre par les conservateurs Chamberlain, à l'Intérieur, et Lord Halifax, aux Affaires étrangères (celui-ci milite encore en sous-main pour un arrangement de dernière minute avec Hitler). Contre l'usage, Chamberlain conserve la direction du Parti conservateur. Il est aussi assisté par deux travaillistes, Clement Attlee, officiellement Lord Privy Seal (titre honorifique), et Arthur Greenwood, sans portefeuille.

Chacun s'attend à une invasion de la Grande-Bretagne. Mais le « vieux Lion » va changer le cours de l'Histoire. Son atout face à un establishment sceptique et prêt à tous les compromis est sa conviction d'être le seul homme à même de sauver l'Angleterre ! Le peuple va immédiatement se reconnaître en lui.

Le 13 mai 1940, empruntant une formule adressée par le nationaliste italien Giuseppe Garibaldi à ses Chemises rouges en 1849, Winston Churchill lance à l'adresse des députés et de ses concitoyens : « Je n'ai à offrir que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur !... » Las, ce discours de guerre appelé à devenir mythique laisse les députés de marbre ! Les conservateurs eux-mêmes, sur les instances de Chamberlain, renoncent à l'applaudir.

Blood, Toil, Tears and Sweat

Extrait du discours :

« On Friday evening last I received His Majesty’s commission to form a new Administration (...). I would say to the House, as I said to those who have joined this government : "I have nothing to offer but blood, toil, tears, and sweat". We have before us an ordeal of the most grievous kind. We have before us many, many months of struggle and suffering.
You ask, what is our policy ? I say it is to wage war by land, sea, and air. War with all our might and with all the strength God has given us, and to wage war against a monstrous tyranny never surpassed in the dark and lamentable catalogue of human crime. That is our policy.
You ask, what is our aim ? I can answer in one word. It is victory. Victory at all costs - Victory in spite of all terrors - Victory, however long and hard the road may be, for without victory there is no survival.... »

« Vendredi dernier, en soirée, j'ai reçu de Sa Majesté la mission de former un nouveau gouvernement(...). Je dirais à la Chambre, comme je l'ai dit à ceux qui ont rejoint ce gouvernement : "Je n'ai rien à offrir que du sang, du labeur, des larmes et de la sueur".
Nous avons devant nous une épreuve des plus cruelles. Nous avons devant nous de nombreux mois de luttes et de souffrances. Vous demandez quelle est notre politique ? Je dis que c'est faire la guerre par terre, par mer et par air. Faire la guerre de toutes nos forces et de toute la force que Dieu nous a donnée, et faire la guerre à une monstrueuse tyrannie jamais surpassée dans le sombre et lamentable catalogue du crime humain. C'est notre politique. Vous demandez, quel est notre but ? Je peux répondre en un mot. C'est la victoire. Victoire à tout prix - Victoire malgré toutes les terreurs - Victoire, aussi longue et difficile que soit la route, car sans victoire il n'y a pas de survie... »

Le 16 mai, à Paris, Churchill rencontre le président du Conseil français, Paul Reynaud. Devant son abattement, il prend conscience que l'Angleterre va devoir se battre seule contre une Europe presqu'entièrement soumise à Hitler. À Dunkerque, grâce à un arrêt momentané des troupes allemandes, environ 200 000 Britanniques et 130 000 Français sont évacués vers la Grande-Bretagne.

Mais la position de Churchill est encore fragile. Les partisans de la négociation demeurent nombreux jusqu'au sein du gouvernement et il ne peut s'en défaire sauf à prendre le risque d'une démission de tout le gouvernement. Halifax prend la liberté de s'entretenir avec l'ambassadeur italien Giuseppe Sebastianini de l'éventualité d'une médiation de Mussolini en vue d'un armistice ou d'un traité de paix !

Le 27 mai 1940, le cabinet de guerre tient sa réunion la plus décisive : Halifax menace de démissionner et Churchill peine à le calmer. Enfin, le Premier ministre convainc chacun que si l'on commençait d'engager des négociations, on ne pourra plus faire machine arrière et réinsuffler un esprit de résistance à la population (note). Il obtient l'approbation et même les acclamations de son cabinet. 

Churchill et de Gaulle passent en revue les troupes françaises à Marrakech (Maroc) le 13 janvier 1944Le 4 juin, aux Communes, Churchill prononce un deuxième grand discours qui sera modérément acclamé : « Nous combattrons sur les plages, nous combattrons sur les terrains d'atterrissage, nous combattrons dans les champs et dans les rues, nous combattrons dans les montagnes ; nous ne nous rendrons jamais ».

La semaine suivante, le 11 juin à Briare et le 13 juin à Tours, Churchill rencontre encore les chefs français. À cette occasion, il croise le général Charles de Gaulle, éphémère secrétaire d'État du gouvernement Raynaud. C'est le début d'une relation chaotique et rugueuse mais pleine d'estime réciproque. À la préfecture de Tours, le 12 juin 1940, le « Vieux Lion » murmure à l’obscur sous-secrétaire d’État à la Défense : « l’Homme du Destin ! Â»

Le 18 juin, aux Communes, il prononce l'un de ses plus beaux discours sur « la plus belle heure », celle du combat et de la victoire.

Le 22 juin 1940 se produit l'inéluctable : la France se retire de la guerre et signe l'armistice avec l'Allemagne. Pendant un an jour pour jour, jusqu'au 22 juin 1941 (invasion de l'URSS par l'Allemagne), l'Angleterre churchillienne va lutter seule contre l'Europe de Hitler, avec toutefois le soutien fidèle de ses dominions notamment le Canada. C'est « the lonely year » (l'année solitaire).

Chef de guerre

Hermann Goering, patron de la Luftwaffe, l'aviation allemande, inaugure le 30 juillet 1940 une grande bataille aérienne en vue d'abattre la résistance anglaise et de permettre aux troupes d'invasion de traverser la Manche. L'offensive tourne court grâce à l'extraordinaire réactivité des pilotes britanniques du Fighter Command. 700 chasseurs sont engagés de part et d'autre ainsi que beaucoup de bombardiers du côté allemand.

Les Allemands ont plus de pertes que les Anglais et très vite doivent renoncer à l'espoir de détruire l'aviation britannique. Le 20 août, aux Communes, Churchill prononce une belle formule (soigneusement peaufinée pendant plusieurs jours comme tous ses discours) : « Never in the field of human conflict was so much owed by so many to so few » (« Jamais dans l'histoire des guerres un si grand nombre d'hommes ont dû autant à un si petit nombre »).

Quatre jours plus tard, alors que la Royal Air Force est à bout, les Allemands larguent par erreur des bombes sur la banlieue de Londres. Contre l'avis de l'état-major, Churchill saisit ce prétexte pour ordonner un bombardement de Berlin. Piqué à vif, Hitler riposte en décidant de bombarder les grandes villes, ce qui a pour effet d'épargner les objectifs proprement militaires et de donner aux Britanniques le temps de restaurer leurs défenses !

Le 7 septembre commence le Blitz. L'East End de Londres est le premier frappé. Mais dès le 15 septembre, les attaques doivent se faire de nuit pour échapper à la défense anglaise. À chaque fois, ce sont des vagues de 150 à 200 bombardiers qui larguent leurs bombes incendiaires. En deux mois, Londres en reçoit ainsi un million. Le raid sur Coventry, dans la nuit du 14 au 15 novembre, est le plus destructeur de tous. On prétendra - à tort - que Churchill avait eu connaissance du raid trois jours à l'avance mais n'en aurait rien dit pour ne pas dévoiler ses sources !

Le Blitz s'interrompt le 10 mai 1941, signant l'échec de ses promoteurs. La guerre s'est transportée entre-temps sur les bords de la Méditerranée.

Le 28 octobre 1940, Mussolini, surestimant la combativité de ses troupes, attaque la Grèce. Il est repoussé et appelle à l'aide son allié allemand. Hitler lance ses troupes contre la Yougoslavie et la Grèce le 6 avril 1941.

Dans le même temps, en Afrique, les Anglais se lancent à la conquête des colonies italiennes de Somalie et d'Éthiopie. En décembre 1940, l'armée italienne du général Graziani, stationnée en Libye, a été aussi attaquée et battue par l'armée anglaise du Nil. Hitler envoie derechef le général Edwin Rommel à la rescousse de ses malheureux alliés.

Dans ses offensives tous azimuts, le Premier ministre anglais porte un soin tout particulier aux services de renseignements et d'espionnage et aux opérations subversives. Il suit de très près le Special Operations Executive (SOE).

Le 22 juin 1941, l'attaque de l'URSS par l'Allemagne apporte une bouffée d'espoir à l'anticommuniste impénitent. L'Angleterre n'est plus seule ! Le soir même, à la BBC, Churchill assure à propos de Staline et de l'URSS qu'il avait autrefois vilipendés plus que quiconque : « Tout homme, tout pays qui combat le pouvoir nazi sera assuré de notre soutien ». Mais il ne s'en tient pas là. Après avoir obtenu des Américains, officiellement neutres, de l'aider matériellement par une loi prêt-bail, autrement dit un crédit illimité, il rencontre le président des États-Unis Franklin D. Roosevelt sur le Prince of Wales, à Placenta Bay, au large de Terre-Neuve. Les deux hommes d'État assistent ensemble à un service religieux le dimanche 10 août 1941. Quatre jours plus tard, ils signent la Charte de l'Atlantique, un document qui présente leurs buts de guerre.

Le 7 décembre 1941, enfin, survient l'attaque de Pearl Harbor par les Japonais. Les États-Unis entrent pour de bon en guerre. La défaite du nazisme devient dès lors inéluctable. Mais Churchill ne va pas tarder à prendre conscience aussi que le leadership britannique dans les affaires du monde est révolu.

Winston Churchill dans les ruines de la cathédrale de Coventry, en 1941
Piètre stratège

Passionné depuis toujours par la guerre et les combats, Winston Churchill est également convaincu d'avoir hérité les qualités de stratège de son glorieux ancêtre, le duc de Marlborough. Erreur manifeste que souligne son biographe François Kersaudy : c'est en effet un chef de guerre exceptionnel, insufflant le courage à ses concitoyens par son énergie et sa détermination, mais ses chefs d'état-major ont toutes les peines du monde à l'empêcher de faire des bêtises.
Impulsif et pressé, Churchill néglige de concentrer les forces avant l'attaque et tient la logistique pour quantité négligeable. Il ne prend pas en compte non plus l'interdépendance des théâtres d'opération et peut par exemple lâcher un front pour en ouvrir un autre sans évaluer la faisabilité en hommes et en matériels.
Heureusement, il a l'art de s'entourer de fortes têtes qui savent lui résister comme ses chefs d'état-major, le maréchal Brooke, les amiraux Pound et Cunningham ou le maréchal de l'Air Portal ! Moins imaginatifs mais très professionnels et soucieux de l'intérêt supérieur de la Nation, ils lui tiennent tête pendant de longues heures, souvent dans la nuit, au milieu des vapeurs d'alcool et de la fumée des cigares. Au besoin, ils menacent de démissionner ou d'en référer au Parlement ou au roi, ce qui fait immanquablement fléchir le Premier ministre, respectueux de la démocratie.

La guerre totale

À la mi-août 1942, Churchill se rend à Moscou pour rencontrer son turbulent allié. L'accueil est glacial. Staline ironise à propos des troupes britanniques et reproche à Churchill de différer l'ouverture d'un second front à l'Ouest.

Churchill et Staline affectent la parfaite entente dans une conférence de presse (août 1942)Le Vieux Lion explose : « Oui, monsieur Staline, moi aussi, j'ai mes problèmes. J'espérais tendre la main à un compagnon d'armes. Je suis amèrement déçu car cette main n'a pas été saisie ». Le dictateur, surpris, n'attend pas la traduction pour répondre : « Je ne comprends pas ce que vous me dites mais votre ton me plaît ».

À partir de là, la glace va se rompre. Le soir du dimanche 12 août 1942, après un dîner tendu et morne, Staline propose à son hôte de prendre quelques verres dans son appartement. Churchill ne refuse pas une pareille invitation ! La nuit va se terminer en beuverie. Au terme de ce séjour moscovite de quatre jours, Churchill confie : « J'ai l'intention de nouer des liens solides avec cet homme-là ».

Au plus fort de la guerre, le Premier ministre britannique veut aussi montrer à ses concitoyens  que leur effort ne sera pas vain. Le 1er décembre 1942, à sa demande, William Beveridge publie un rapport sur la réforme en profondeur des institutions sociales. C'est le « Welfare State » (l'État Providence) qu'il reviendra à son successeur Clement Attlee de mettre en oeuvre à l'issue des combats.

Vers la victoire

Le Premier ministre fait avaliser sa stratégie d'attaques périphériques avec, pour commencer, en novembre 1942, l'invasion de l'Afrique française du Nord par les troupes anglo-américaines.

La fin de l'année 1942 est marquée par une défaite, la prise de Tobrouk, en Cyrénaïque (Libye) par Rommel (« Le pire désastre et la plus affreuse défaite de l'histoire britannique », d'après Churchill), et un retournement, la victoire d'El-Alamein (« Avant El-Alamein, nous n'avons jamais remporté de victoire. Après El-Alamein, nous n'avons jamais connu de défaite »).

Les événements s'accélèrent en 1943 avec la défaite mémorable des Allemands à Stalingrad face aux Soviétiques. À Koursk, en juillet, les Soviétiques détruisent la fine fleur despanzers ou blindés allemands au cours d'une autre bataille gigantesque.Churchill lance une nouvelle offensive périphérique contre la Sicile. La péninsule italienne est envahie. Mussolini tombe le 25 juillet 1943.

Tchang Kaï-chek, Roosevelt et Churchill à la conférence du Caire (22-26 novembre 1943)

Du 22 au 26 novembre 1943, Churchill, Roosevelt et Tchang Kaï-chek, chef des nationalistes chinois, se rencontrent au Caire pour débattre du sort de l'Asie à l'issue de la défaite du Japon.

Aussitôt après, le 28 novembre 1943, Churchill et Roosevelt rencontrent Staline à Téhéran où ils prévoient l'ouverture d'un deuxième front à l'Ouest, en Normandie, pour soulager les Soviétiques. Le débarquement de Normandie est prévu en mai 1944 (il sera retardé au 6 juin à la dernière minute). Un débarquement d'appui est aussi prévu en Provence en août 1944.

Avec sa prescience habituelle, Churchill ne se satisfait pas de cette opération tardive et éloignée du coeur de l'Europe. Il entrevoit la percée soviétique en Europe centrale et voudrait la prévenir par un débarquement anglo-saxon sur les côtes de l'Adriatique. Mais le piétinement des troupes alliées en Sicile et en Italie ne lui permet pas de convaincre Roosevelt du bien-fondé de son idée.

Au demeurant, les déconvenues face aux exigences croissantes de ses alliés américains et soviétiques accélèrent son vieillissement et aggravent les mauvais penchants de son caractère. Une pneumonie après la conférence de Téhéran manque même de l'emporter.

Churchill se console en se jetant corps et âme dans la préparation du débarquement de Normandie. Une nouvelle fois, il démontre une inventivité extraordinaire. C'est ainsi qu'avec l'amiral Mountbatten, il conçoit les ports artificiels en caissons préfabriqués de 7000 tonnes, les « Mulberry Harbours ». Il soutient aussi le projet de « Hobart's Funnies » du général Hobart : des tanks amphibies qui ouvriront le passage sur les plages de Gold, Juno et Sword (leur absence à Omaha sera à la source de grandes difficultés pour les Américains).

Le Jour J, Churchill (69 ans) exige du général Eisenhower de participer en personne au débarquement. Le commandant en chef de l'opération doit faire appel à l'autorité du roi George VI pour obliger le Premier ministre britannique à se tenir en retrait : le roi dit alors au Premier ministre que s'il se rend sur le front, lui-même se fera un devoir de l'accompagner ! 

Après le débarquement et la « guerre des haies » en Normandie qui s'achève le 21 août par la prise de Falaise, tout va très vite. Paris est libéré le 25 août, Bruxelles le 3 septembre et la frontière allemande atteinte le 11 septembre.

Entre-temps, le 13 juin, la première fusée V1 (« Vergeltungswaffe » ou arme de la vengeance) s'est écrasée dans l'estuaire de la Tamise. Hitler, dans un sursaut, tente de reprendre la main avec des bombardements de terreur. 70 engins s'écrasent sur Londres chaque jour, faisant au total 6 000 tués chez les habitants. Le 8 septembre, de nouvelles fusées font leur apparition : les V2, avec une tonne d'explosifs chacune. 1100 V2 s'écrasent sur Londres jusqu'au 27 mars 1945. Bilan : 2.700 tués. Le sort de l'Europe nazie n'en est pas moins scellé. Face au triomphe soviétique, Churchill tente de ravaler ses ressentiments.

Le 10 octobre 1944, à Moscou, Churchill rencontre Staline en tête à tête et convient d'un partage d'influence dans les Balkans. Mal inspiré et sans doute usé par l'âge et les déceptions, le Premier ministre griffonne sur un papier :
1) Roumanie : Russia 90%, les autres 10%,
2) Grèce: Grande-Bretagne (en accord avec les États-Unis) 90%, Russie 10%,
3) Yougoslavie : 50/50%,
4) Hongrie : 50/50%,
6) Bulgarie : Russie 75%, les autres 25%
.

La division de l'Europe est issue de ce chiffon de papier, que Staline ne respectera qu'en partie.

Le 3 décembre 1944, le Parti communiste grec (ELAS) revendique à Athènes une place au sein du gouvernement, eu égard à sa participation héroïque à la Résistance. Un corps expéditionnaire britannique intervient. C'est le début d'une atroce guerre civile (tortures et meurtres de civils, femmes et enfants en grand nombre). Cessez-le-feu le 14 janvier 1945. Churchill commet par ailleurs l'erreur de soutenir en Yougoslavie le chef des communistes Josip Broz Tito plutôt que les résistants royalistes ou démocratiques, au moins aussi efficaces contre les Allemands.

Winston Churchill salue la foule le 8 mai 1945 au balcon de WhitehallDu 4 au 11 février 1945, à Yalta, en Crimée (URSS), les trois alliés conviennent d'une entrée en guerre de l'URSS contre le Japon ainsi que d'une future zone d'occupation pour la France en Allemagne. Le sort de la Pologne reste en suspens (malgré le courage de sa population, elle sera finalement abandonnée à l'ogre soviétique).

Le jour de la victoire en Europe (« VE Day »), le 8 mai 1945, consacre le triomphe de Winston Churchill... et du peuple britannique, qui a résisté seul un an durant à Hitler. 365.000 Britanniques dont 100.000 civils ont donné leur vie pour ce jour.

Fin

La suite est plus triste. Les électeurs renvoient Churchill dans l'opposition aux élections du 5 juillet 1945, huit semaines après la capitulation de l'Allemagne ! À son absence de programme, ils ont préféré les promesses terre à terre des travaillistes guidés par Clement Attlee : « Let us face the future » (Faisons face au futur).

Faisant contre mauvaise fortune bon coeur, respectueux comme à son habitude de la démocratie, Churchill laisse à son successeur sa place à la conférence de Potsdam, où se décide le sort de l'Allemagne.

Winston Churchill en 1951Il reprend son bâton de pèlerin à 72 ans et redécouvre la menace que représente l'Union soviétique pour la paix. Le 5 mars 1946, à Fulton, il prononce un discours célèbre où il annonce la guerre froide entre les anciens alliés et appelle à la constitution d'un front des démocraties. Ce sera l'OTAN.

Le 19 septembre 1946, à l'Université de Zurich, il appelle de ses voeux les États-Unis d'Europe, sur la base d'une réconciliation franco-allemande mais se garde d'y associer son propre pays ! Deux ans plus tard, néanmoins, il accepte la présidence d'honneur du Congrès de La Haye qui va conduire à la création du Conseil de l'Europe, dont fait partie le Royaume-Uni.

En octobre 1951, enfin, il gagne à la tête des conservateurs ses premières élections législatives. Cette fois, il devient Premier ministre en tant que chef de la majorité parlementaire et non plus en recours de la dernière chance. Mais ce retour tardif aux affaires s'avère très décevant.

Il s'oppose au plan Schuman qui jette les bases de la Communauté économique européenne. Confronté au désir d'émancipation des Égyptiens et des Iraniens, le Vieux Lion, obstiné, répond par la manière forte. Il s'ensuit la chute du roi Farouk et l'éviction des Britanniques d'Égypte d'un côté, une crise majeure en Iran avec le renversement de son Premier ministre Mossadegh. Ces crises vont nourrir au Moyen-Orient une haine de l'Occident dont nous ne sommes pas sortis.

Sir Winston

Bien qu'il descendit en ligne directe du prestigieux duc de Marlborough et fit partie d'une des plus nobles familles du Royaume-Uni, Winston Churchill n'était pas lui-même noble de naissance !
Son grand-père, John Winston Spencer-Churchill, septième duc de Marlborough, avait transmis son titre à son fils aîné George Charles Spencer-Churchill. Son deuxième fils, Lord Randolph, père de Winston, n'avait donc aucun titre de noblesse.
En avril 1953, Winston Churchill est récompensé de l'Ordre de la Jarretière et c'est seulement à ce moment-là, à 78 ans, qu'il acquiert un titre de noblesse, celui de baronet, le seul qu'il pouvait accepter s'il voulait continuer de siéger aux Communes. Il devient ainsi Sir Winston, même si sa femme Clementine eût préféré qu'ils fussent demeurés Mr. and Mrs. Winston Churchill...

Le 5 avril 1955, le « Vieux Lion » se retire pour raisons de santé dans sa résidence de Chartwell, dans le Kent. Il cède la place à son fidèle adjoint, Anthony Eden.

Le 24 janvier 1965, à 8h, Sir Winston Spencer Churchill rend son dernier soupir (le même jour et à la même heure que son père, 70 ans plus tôt !). Il a droit à des funérailles nationales, un privilège réservé aux souverains et auquel ont eu droit en tout et pour tout cinq roturiers anglais seulement : Pitt, Nelson, Wellington, Gladstone et lui-même.

Churchill et les juifs

Churchill est de tous les leaders alliés celui qui a montré le plus de compassion pour les juifs persécutés par les nazis. Il déclare ainsi dans le discours à la Nation du 24 août 1941 (soit au tout début des massacres d'innocents) : « Depuis les invasions mongoles au XIIe siècle, on n'a jamais assisté en Europe à des pratiques d'assassinat méthodique et sans pitié à une pareille échelle. Nous sommes en présence d'un crime sans nom (...). Quand sonnera l'heure de la libération de l'Europe, l'heure sonnera aussi du châtiment ».

Bibliographie

Écrivain prolifique, Churchill a écrit pas moins de 15 000 pages dont une bonne partie sur ses propres actions. Le premier tome de ses Mémoires, consacré aux événements déterminants de l'entre-deux-guerres (1919-1939) reste du plus grand intérêt pour la compréhension de cette période.

On peut regretter toutefois que le « Vieux Lion », par souci de ne pas compromettre son avenir politique, ait modéré ses jugements sur ses contemporains encore vivants, comme lord Halifax. Ces Mémoires en 12 volumes, fruit d'un travail d'équipe, n'en sont par moins d'une lecture très agréable. Elles ont valu à Churchill, rappelons-le, le prix Nobel de littérature en 1953.

Churchill est lui-même au centre de très nombreux ouvrages bibliographiques, dont trois excellents, récemment parus en France. Le premier a pour auteur l'historien François Kersaudy : Winston Churchill, le pouvoir de l'imagination (Tallandier, octobre 2000, 600 pages). Il tisse de l'Anglais un portrait haut en couleur, très agréable à la lecture. François Bédarida est l'auteur d'une biographie tout aussi intéressante mais davantage orientée sur l'action politique du héros : Churchill (Fayard, 1999, 570 pages).

Last but not least, la biographie de l'historien-journaliste Sébastian Haffner, écrite en 1967, a été pour la première fois traduite en français en 2001 par les éditions Altvik sous le titre : Churchill, un guerrier en politique. Cet ouvrage de 240 pages est le plus percutant du point de vue de l'analyse politique. Avec objectivité et lucidité, il fait ressortir les forces mais aussi les faiblesses de Churchill. Il fait revivre tous les personnages qu'il a côtoyés dans sa longue carrière et met en lumière les débats auxquels il a été mêlé.

Chartwell, résidence de Winston Churchill
Publié ou mis à jour le : 2023-05-21 10:09:23
jacques martel (01-12-2013 17:55:47)

Très belle page d'histoire.
La vie de W.Churchill montre bien que rien n'est jamais perdu dans la vie.Quelle leçon de courage, ce qu'il faut méditer en urgence.

Bernard (19-03-2013 17:05:05)

À propos des citations et histoires courtes. Après la démission du gouvernement Chamberlain, le roi George VI convoque des hommes politiques en vue de former un nouveau gouvernement ; Winston Ch... Lire la suite

Francois-xavier (01-10-2012 09:26:45)

Sincèrement cet article est riche tout en étant synthétique. Peut être eût il mérité une ou deux allusions au choc de deux caractères , le sien et celui du général de Gaulle qui n'est jamais... Lire la suite

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