16 avril 1917

L'offensive du Chemin des Dames

Le 16 avril 1917, l'armée française lance une grande offensive en Picardie, sur le Chemin des Dames. Mal préparée, mal engagée, elle va entraîner un profond ressentiment chez les soldats et une reprise en main des questions militaires par le gouvernement.

André Larané
Le Chemin des Dames

Paysage du Chemin des Dames, près du fort de Malmaison (photo: Fabienne Vignolle)Le Chemin des Dames désigne un escarpement de 35 kilomètres qui s'étire de Craonne, à l'est, au moulin de Laffaux, sur la route Soissons-Laon. Son nom évoque une route de crête qu'avaient coutume d'emprunter les filles de Louis XV. L'offensive a eu lieu sur cette route orientée est-ouest, à mi-chemin de Laon (au nord) et de Soissons (au sud), dans un paysage aujourd'hui paisible.

Vue d'une attaque française à Craonne en 1917, dans le secteur du village de Corbeny. L'agrandissement montre trois vues successives de cette attaque à quelques secondes d'intervalle.  Photographies publiées par l’hebdomadaire français Le Miroir le 10 juin 1917, gallica, BnF Paris.

Scepticisme

Le 12 décembre 1916, le général Joseph Joffre, disqualifié par ses échecs de 1915 et 1916 en Artois, en Champagne et sur la Somme, a dû renoncer à commander les armées françaises.

Il a choisi pour le remplacer un général de second rang qui s'est illustré à Verdun, Robert Nivelle, de préférence à d'autres généraux plus talentueux mais moins accommodants : Foch, Pétain ou Castelnau.

Le général Nivelle à la Une du journal Le Miroir, n°157, 26 novembre 1916, gallica, BnF, Paris.Dès la conférence interalliée de Chantilly, le 16 novembre 1916, Nivelle préconise de lancer une grande offensive sur tous les fronts en appliquant la méthode qui lui a réussi à Verdun, le mois précédent, lorsqu'il a repris les forts de Vaux et de Douaumont aux Allemands : un assaut hardi après une très courte préparation d'artillerie !

Il obtient l'assentiment du commandant en chef britannique Douglas Haig qui, notons-le, s'est acquis le surnom de « boucher de la Somme ».

Mais l'hiver rigoureux, avec des températures de -20°C, retarde le projet et, surtout, la Révolution de Février, en Russie, désorganise le front russe.

Le ministre de la Guerre, le général Hubert Lyautey, sceptique sur les chances de cette offensive tous azimuts, démissionne le 17 mars 1917 sans donner d'explication. Il est remplacé au ministère par Paul Painlevé. Philippe Pétain, auréolé par ses succès de l'année précédente à Verdun, ne craint pas quant à lui de faire part de son hostilité au projet à qui de droit.

Il n'empêche que, le 6 avril, un conseil de guerre présidé par Raymond Poincaré donne raison au commandant en chef. Ils sont confortés dans leur décision par l'annonce, le même jour, de l'entrée en guerre des États-Unis. Britanniques et Français engagent l'offensive dans les jours qui suivent dans les pires conditions qui soient.

Tandis que les Britanniques entreprennent de desserrer l'étreinte allemande sur Arras, le 9 avril, les Français, une semaine plus tard, lancent une offensive massive entre la Somme et l'Oise avec trente divisions sur un front de 70 kilomètres. 

Attaque du Chemin des Dames (recto), Albert Copieux, aquarelle 1917, musée d’art moderne André Malraux, Le Havre.

Échec sanglant

L'échec français est consommé en 24 heures. On n'avance que de 500 mètres au lieu des 10 kilomètres prévus. C'est en vain que les premiers chars d'assaut français (une quarantaine) essaient d'agrandir l'étroite brèche ouverte entre Craonne et Berry-au-Bac. Les pertes sont énormes : 30 000 morts en dix jours rien que du côté français.

Le général Nivelle en est tenu pour responsable. Lors de la conférence interalliée de Chantilly, en novembre 1916, il assurait à tout un chacun que cette offensive serait l'occasion de la « rupture » décisive tant attendue grâce à une préparation massive de l'artillerie qui dévasterait les tranchées ennemies en profondeur. « Je renoncerai si la rupture n'est pas obtenue en quarante-huit heures », promettait-il aussi !

Mais le lieu choisi, non loin de l'endroit où s'était déroulée la bataille de la Somme de l'année précédente, n'est pas le moins du monde propice à la progression des troupes, avec ses trous d'obus et ses chemins défoncés. D'autre part, la longueur du front ne permet pas comme à Verdun de déployer toute l'artillerie nécessaire.

Qui plus est, avant l'attaque, les Allemands ont abandonné leurs premières tranchées et construit un nouveau réseau enterré à l'arrière, plus court, de façon à faire l'économie d'un maximum de troupes : la ligne Siegfried, surnommée ligne Hindenburg par les Français.

Les Anglo-Canadiens ont plus de chance dans l'offensive parallèle menée au nord de la Somme, près d'Arras et de la crête de Vimy. Ils avancent dès le premier jour d'un à cinq kilomètres, les Allemands ayant allégé leur dispositif pour concentrer leurs efforts sur le Chemin des Dames.

La guerre sur le front Ouest de 1915 à 1917 (carte : Alain Houot, pour Herodote.net)

Désespoir et mutineries

Le général Nivelle, qui n'a pas tenu sa promesse d'arrêter les frais au bout de 48 heures, est limogé dès le 15 mai 1917 et remplacé par le général Pétain à la tête des armées françaises.

La désillusion est immense chez les poilus. Ils ne supportent plus les sacrifices inutiles et les mensonges de l'état-major. Des mutineries éclatent çà et là. Plus d'une centaine du 20 mai au 10 juin. En fait de mutineries, il faudrait plutôt parler d'explosions de colère sans conséquence pratique ; aucun soldat n'a braqué son arme sur un gradé ; aucune compagnie n'a déserté.

Ces mutineries surviennent à l'arrière, dans les troupes au repos qui, après s'être battues avec courage mais inutilement, apprennent que leurs supérieurs veulent les renvoyer au front sans plus d'utilité. Dans le même temps, le 29 mai 1917, les « munitionnettes », ouvrières des usines d'armement, rejoignent les « midinettes », ouvrières des ateliers de couture, dans des grèves spontanées, revendiquant de meilleures conditions de travail mais aussi la fin de la guerre. 

Lettre de Pétain au ministre de la guerre, 29 mai 1917, fonds Bonnet rouge, Bibliothèque de documentation internationale contemporaine, Nanterre.Le nouveau commandant en chef suspend les offensives. « J'attends les Américains et les tanks », dit-il. Confronté aux mutineries, il restaure en premier lieu la discipline et réorganise la justice militaire en vue d'un « châtiment prompt et exemplaire », sans possibilité de recours en grâce. Il s'ensuit quelques dizaines d'exécutions, un nombre en définitive limité.

Pétain s'applique en second lieu à redresser le moral des troupes. Il entreprend la tournée des popottes, améliore l'ordinaire des soldats, allonge les permissions, de sorte qu'à la fin juin, il ne reste plus trace des mutineries du printemps.

L'historien Guy Pedroncini chiffre le nombre de condamnations à 3 500 environ et les exécutions effectives à 60 ou 70. Les autres condamnés voient leur peine commuée en travaux forcés (ils échappent du même coup à la guerre !). L'historien Jean-Baptiste Duroselle évalue à 250 le total des mutineries sur le front français au printemps 1917. Elles auraient impliqué un maximum de 2 000 soldats et se seraient soldées par 27 exécutions pour faits d'indiscipline collective.

À l'arrière, notons-le, on sévit avec moins de ménagement contre les défaitistes et les supposés traîtres. Ainsi fusille-t-on une pitoyable demi-mondaine, Mata-Hari. Contrairement aux idées reçues sur les mutineries, ces exécutions consécutives à l'offensive ratée du Chemin des Dames sont beaucoup moins nombreuses que celles des premiers mois de la guerre.

Les mutineries du printemps 1917 sont passées pratiquement inaperçues des contemporains et n'ont suscité l'intérêt des historiens qu'à partir des années 1930.

Craonne, ruines de la Grande Rue, 1917, archives départementales de l'Aisne.

La chanson de Craonne

Le ressentiment et le désespoir des poilus s'expriment dans la Chanson de Craonne, sur un air de bal-musette. Soulignons que cette chanson dérive d'une valse d'amour composée en 1911 par le père de Jean Sablon : Bonsoir, M'Amour !
Adieu, m'amour ! adieu, ma fleur !
Adieu toute mon âme !
Ô toi qui fis tout mon bonheur (...)

Elle a été reprise et adaptée par les poilus à leurs différentes épreuves : Lorette, Verdun... et pour finir, le Chemin des Dames et le plateau de Californie, au-dessus de Craonne.  Jugée défaitiste et antimilitariste, elle a été interdite par la censure militaire et même interdite d'antenne jusqu'en 1974.

Écouter la chanson de Craonne :
 

Quand au bout d'huit jours, le r'pos terminé,
La Chanson de Craonne écrite par un combattant, dossier des « lettres saisies » à l'été 1917, archives du Service historique de la Défense (SHD). Plusieurs variantes ont été retrouvées : « Sur le plateau de Lorette », « Les sacrifiés de Craonne » ou encore « La vie aux tranchées ». On va r'prendre les tranchées,
Notre place est si utile
Que sans nous on prend la pile.
Mais c'est bien fini, on en a assez,
Personn' ne veut plus marcher,
Et le coeur bien gros, comm' dans un sanglot
On dit adieu aux civ'lots.
Même sans tambour, même sans trompette,
On s'en va là haut en baissant la tête.

Refrain:
Adieu la vie, adieu l'amour,
Adieu toutes les femmes.
C'est bien fini, c'est pour toujours,
De cette guerre infâme.
C'est à Craonne, sur le plateau,
Qu'on doit laisser sa peau
Car nous sommes tous condamnés
C'est nous les sacrifiés !

Huit jours de tranchées, huit jours de souffrance, 
Pourtant on a l’espérance 
Que ce soir viendra la r'lève 
Que nous attendons sans trêve. 
Soudain, dans la nuit et dans le silence, 
On voit quelqu’un qui s’avance, 
C’est un officier de chasseurs à pied, 
Qui vient pour nous remplacer. 
Doucement dans l’ombre, sous la pluie qui tombe,
Les petits chasseurs vont chercher leurs tombes… 

(Refrain)

Bibliographie

Pour plus de détails sur l'offensive du Chemin des Dames comme sur l'ensemble des opérations militaires de la Grande Guerre, on peut se rapporter au livre de Paul Keegan : La Première Guerre mondiale (Perrin, 2003).

L'ouvrage de référence sur les mutineries et les exécutions est celui de l'historien Nicolas Offenstadt : Les Fusillés de la Grande Guerre (Odile Jacob, 2009). Notons aussi Fusillés pour l'exemple 1914-1915 (Paris,Tallandier, 2003), du général André Bach, et 14-18, les fusillés (Malakoff, éditions Sébirot, 2013) de Frédéric Mathieu.

Publié ou mis à jour le : 2021-06-19 16:15:30

Voir les 8 commentaires sur cet article

Verlet (23-04-2017 11:50:49)

Ce "talentueux" général Nivelle responsable de cette abominable boucherie mérite surtout la disparition de toute plaque commémorative de ses hauts faits d'armes.....

Hugo (12-04-2017 22:30:26)

A Monsieur Pontiès, Bonsoir, Je comprends fort bien votre indignation, mais elle serait (probablement) plus grande encore en pensant que Robert nivelle, ayant eu connaissance de cette fuite i... Lire la suite

LABORDE (27-02-2016 21:04:04)

Nous recevons ,demain 28 février 2016, le grand peintre Pierre BALDI(né Labadie en 1919=97 ans!) et avons trouvé, le livret militaire de son père:Jean-Baptiste,né en 1891! Voici 1 extrait:"Cité ... Lire la suite

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