Guerres mondiales

Les soldats des colonies dans les guerres mondiales

La France a commencé à recruter des soldats outre-mer dès la prise d'Alger, dans le souci d'épauler sur le terrain les troupes venues de métropole.

Ces troupes indigènes ont participé à toutes les guerres coloniales françaises du XIXème siècle et permis à la France de constituer à peu de frais son deuxième empire colonial. Mais quand les puissances européennes se jetteront les unes contre les autres en 1914, grande sera la tentation au sein de l'état-major français d'engager ces troupes sur le sol européen. Ainsi seront-elles engagées dans les deux guerres mondiales avec un succès mitigé...

Alban Dignat
Tirailleurs tonkinois en Indochine, sous la IIIe République
Des soldats indigènes au service de la colonisation

Le 1er octobre 1830, suite à la prise d'Alger et à la nécessité de sécuriser le littoral, le général Bertrand Clauzel, qui commande l'armée d'Afrique, crée un nouveau corps de fantassins avec des Algériens de la tribu kabyle des Zwava, dont nous avons fait les zouaves. Il crée ensuite un corps de zouaves à cheval puis, le 9 mars 1831, un escadron de cavaliers indigènes baptisés spahis, d'après un mot turc ou persan qui désigne les soldats. Il estconfié au capitaine Joseph Vantini, dit Yousouf.
Le recrutement de troupes coloniales s'étend plus tard aux Africains du golfe de Guinée avec la création du corps des « tirailleurs sénégalais » par le commandant Louis Faidherbe, le 21 juillet 1857. La IIIe République va poursuivre ces recrutements avec la création de bataillons de tirailleurs annamites, tonkinois et malgaches ainsi que de chasseurs algériens, de spahis marocains, de goumiers et de méharistes sahariens.

La Grande Guerre (1914-1918)

Tirailleur sénégalais (pastel d'Eugène Burnand réalisé en 1919-1920)Instruit par son expérience coloniale, le général Charles Mangin, qui a participé à l'expédition de Fachoda, publie en 1910, peu avant la Grande Guerre, La Force noire.

Dans ce livre à succès, il présente l'Empire comme une réserve inépuisable de chair à canon susceptible de compenser la faiblesse de la population métropolitaine en cas de conflit avec l'Allemagne.

Sur ses recommandations, les troupes coloniales sont engagées dans la Grande Guerre, mais avec parcimonie car l'état-major n'est pas aussi convaincu que Mangin de leur utilité.

Spahi algérien (pastel d'Eugène Burnand réalisé en 1919-1920)Les troupes coloniales, notamment nord-africaines, sont présentes à Verdun en 1916, où se signale le 2e Corps colonial composé de 16 régiment, dont 10 régiments de zouaves. Le 22 mai 1916, une offensive commandée par le général Mangin pour reprendre le fort de Douaumont se solde par un sanglant échec (5500 tués). Mais les troupes sénégalaises prennent leur revanche le 24 octobre en participant à la reprise du fort. 

C'est surtout en 1917, pendant l'offensive du Chemin des Dames, qu'elles seront engagées en masse. Au coeur du dispositif de la IVe armée, des bataillons de tirailleurs sénégalais sous les ordres du général Mangin sont lancés à l'assaut d'un plateau escarpé. Les mitrailleuses allemandes font des ravages. C'est un désastre. Près de la moitié des 16 000 hommes engagés sont mis hors de combat. Mais les troupes coloniales ne sont pas les seules à faire les frais de cette hécatombe...

Au total, sur 8 410 000 hommes mobilisés pendant la Grande Guerre (dont 1,4 million tués ou disparus), la mobilisation des troupes coloniales aura concerné :

Tirailleur tonkinois (pastel d'Eugène Burnand réalisé en 1919-1920)• 175 000 Algériens (dont 35 000 tués ou disparus),
• 40 000 Marocains (dont 12 000 tués ou disparus),
• 80 000 Tunisiens (dont 21 000 tués ou disparus),
• 180 000 Africains noirs (dont 25 000 tués ou disparus),
• 41 000 Malgaches (dont 2 500 tués ou disparus),
• 49 000 Indochinois (dont 1 600 tués ou disparus),
• Total : 565 000 (dont 97 100 tués ou disparus).

Précisons que les troupes coloniales comptent, en plus de ces effectifs, beaucoup d'Européens. De nombreuses unités sont mixtes et les corps de zouaves sont depuis belle lurette uniquement constitués d'Européens !

- Les Africains :

Dix bataillons de tirailleurs sénégalais et un de malgaches sont dès 1914 engagés sur le front, malgré leur inaccoutumance au froid et aux maladies locales.

Après l'Armistice, le Président du Conseil Georges Clemenceau se souvient d'eux et les affecte en grand nombre dans l'armée qui va occuper l'Allemagne à dessein d'humilier celle-ci. Sur les 80 000 soldats des troupes d'occupation, 30 000 viennent du continent africain et un certain nombre d'entre eux ont des relations fécondes avec des Allemandes. Mission réussie ! Leur présence réactive le nationalisme et la haine de la France. On évoque la « Honte Noire » !

- Les Indochinois :

Les Indochinois, considérés comme de piètres combattants, sont surtout utilisés comme auxiliaires de police.

- Les Nord-Africains :

Les Nord-Africains se révèlent les plus durs à la tâche, bien encadrés, bien entraînés et très résistants aux conditions climatiques.

Soldats des colonies et de la métropole se côtoient dans une réelle fraternité d'armes face au danger et à la mort. Lorsqu'ils vont en permission à l'arrière, les soldats des colonies sont vus par la population avec un étonnement compréhensible, la plupart des Français découvrant pour la première fois des Africains, des Nord-Africains ou des Asiatiques mais sans aucun préjugé d'aucune sorte.

L'attitude déférente des Français à l'égard de leurs soldats des colonies ainsi que des soldats afro-américains choquera les officiers du corps expéditionnaire américain. Le général Pershing se plaindra que des officiers français s'autorisent des visites de courtoisie auprès de leurs homologues américains « de couleur » et, plus grave encore, que des Françaises fréquentent des Sammies noirs !

Popularité

Paul Moreau-Vauthier, Monument aux héros de l'Armée noire (1924, détruit en 1940), ReimsDans les années 1920, en hommage au sacrifice des troupes coloniales musulmanes, notamment d'Afrique du Nord, le gouvernement décide d'ériger une Grande Mosquée au coeur de Paris, dans le Quartier latin. Elle est inaugurée en grande pompe par le maréchal Hubert Lyautey.

À Reims, où les tirailleurs sénégalais se sont illustrés dans la seconde bataille de la Marne, un monument est élevé en 1924 « aux héros de l'armée noire ». Il sera détruit par les Allemands en 1940 de même que la statue du général Mangin entouré de deux tirailleurs, devant l'École militaire à Paris.

D'une manière générale, la population française ne ménage pas sa sympathie pour les troupes coloniales. Celles-ci sont applaudies à plusieurs reprises lors des défilés de la victoire.

Sensible à l'air du temps et désireuse de les honorer à sa manière, une marque de petits-déjeuners chocolatés créée en 1914 remplace dès 1915 l'Antillaise représentée sur ses paquets par un jovial tirailleur. C'est ainsi que naît le célèbre Y'a bon Banania, une forme d'hommage aux troupes coloniales, qui associe patriotisme, jovialité et exotisme.

Les décennies passant, le tirailleur aux traits réalistes laissera la place à un stéréotype niais et quelque peu paternaliste. En 1948, Léopold Sedar Senghor écrira dans un poème : « Je déchirerai les rires banania sur tous les murs de France. » Toujours pour se conformer à l'esprit du temps, la marque abandonnera en 1977 le slogan qui a fait son succès.

Plus gravement, les promesses de Clemenceau aux recrues des colonies (citoyenneté française, rehaussement des pensions, etc.) seront oubliées par les gouvernants de l'entre-deux-guerres et l'opinion publique...  

La Seconde Guerre mondiale (1939-1945)

Les troupes coloniales tiennent normalement leur place dans les combats de 1940 qui voient l'invasion de la France par les Allemands. Plus nombreuses que lors de la précédente guerre, elles comptent près de 500 000 hommes, Européens compris. Sur un total de 60 000 militaires français tués pendant l'invasion, un tiers appartiennent à ces troupes coloniales ! Les tirailleurs sénégalais couvrent la retraite. Non seulement ils endurent de lourdes pertes mais ils doivent s'attendre à être fusillés en cas de capture par les Allemands, ces derniers les considérant comme des « sous-hommes ». À Chasselay (Rhône), une quarantaine de prisonniers sénégalais sont ainsi massacrés de sang-froid par les soldats allemands le 20 juin 1940, deux jours avant l'arrêt des combats.

soldats du 25e Régiment de Tirailleurs sénégalais massacrés à Chasselay, près de Lyon, le 20 juin 1940 par les soldats allemands de la 10e Panzerdivision (photo : Baptiste Garin)

Début 1943, lorsque l'heure de la Libération approche, le général Henri Giraud, commandant en chef civil et militaire de l'Afrique du Nord, reconstitue les forces françaises. Il recrute en masse les jeunes Européens d'Afrique du Nord : 176 000 au total, soit 45% des hommes mobilisés, y compris la classe 1945 enrôlée par anticipation ! Ces troupes subiront jusqu'à la capitulation de l'Allemagne un taux de pertes de 8% comme le rappelle l'historien Daniel Lefeuvre.

Le général Giraud, avant d'être évincé par son rival le général de Gaulle, enrôle aussi des indigènes. Aux 153 000 soldats musulmans recrutés en Afrique du Nord s'ajoutent près de 100 000 soldats recrutés en Afrique noire ; ils quittent Dakar pour l'Afrique du Nord en avril 1943. Ces troupes coloniales vont connaître un taux de pertes de 4 à 5%.

Dès le 10 juillet 1943, une troupe de tabors marocains encadrée par des officiers français participe au débarquement allié en Sicile avec le général américain Patton. Elle est bientôt complétée par un important Corps expéditionnaire français, aux ordres du général Alphonse Juin, où combattent côte à côte Européens, Algériens et Marocains. Au total, 120 000 hommes soit autant que du côté anglo-saxon.

Les Nord-Africains s'illustrent en mai 1944 dans l'attaque des fortifications allemandes de la ligne Gustav, entre Naples et Rome, à hauteur du monastère du Mont-Cassin... Ils laissent aussi de mauvais souvenirs à la population féminine selon les témoignages recueillis par les historiens italiens.

Le 5 juin 1944, à la veille du débarquement de Normandie, les troupes d'Italie font une entrée triomphale à Rome. Les tirailleurs africains participeront quant à eux au débarquement allié de Provence, le 16 août 1944, deux mois après celui de Normandie. Le 25 août 1944, des fusiliers marocains et des tirailleurs africains figurent aussi parmi les soldats de la IIe DB du général Leclerc qui libère Paris. A la fin de l'année, la 2e division d'infanterie marocaine est la première unité française à franchir le Rhin.

À la fin 1944, les différents corps d'armée français et les résistants de l'intérieur sont rassemblés dans une Ière Armée française sous le commandement du général Jean de Lattre de Tassigny. Sur un total de 550 000 hommes, on compte alors 134 000 Algériens, 73 000 Marocains, 26 000 Tunisiens et 92 000 ressortissants d'Afrique noire.

Victoire amère

Les troupes coloniales sont chaleureusement fêtées, comme les autres, lors des défilés de la Victoire sur les Champs Élysées, le 11 novembre 1944 ou encore les 8 mai et 14 juillet 1945. Mais l'amertume des soldats des colonies est grande quand ils découvrent après la démobilisation qu'ils devront se satisfaire de pensions inférieures du tiers ou de moitié à celles de leurs compagnons d'armes européens, malgré les demandes expresses de leurs officiers.

Des officiers comme le général Leclerc ont beau protester, le gouvernement se justifie en invoquant les pénuries d'après-guerre, le manque de liquidités et le niveau de vie dans les colonies inférieur à ce qu'il est en métropole. Dans le camp militaire de Thiaroye, près de Dakar, des tirailleurs revenus de la métropole s'insurgent le 1er décembre 1944 et réclament le versement de leurs pensions et du pécule qui leur a été promis. La répression, brutale, se solde par plusieurs dizaines de victimes.

Le décalage s'amplifie en 1959 lorsque les anciennes colonies deviennent indépendantes. Le ministère des Finances décide alors de « geler les pensions » des anciens combattants qui prendraient la nationalité de l'un des nouveaux pays ; une mesquinerie qui a l'apparence de la logique...

Les indigènes au cinéma

Le film Indigènes, de Rachid Bouchareb (2006), montre avec justesse et rigueur comment l'armée d'Afrique, Européens et indigènes mêlés, a contribué à la libération de l'Italie et de la France en 1944-1945.
Tout au plus peut-on lui reprocher de privilégier la place des musulmans au détriment des Européens, qui étaient malgré tout majoritaires dans cette armée. Il passe aussi sous silence les exactions à l'égard des civils (hommes et femmes) dont ces troupes se sont rendues coupables dans la péninsule italienne.
Réalisé avec talent, sans violences inutiles ni longueurs, le film se regarde avec émotion. Il convient à tous les publics.


Publié ou mis à jour le : 2023-07-27 14:20:18

Voir les 18 commentaires sur cet article

lb.dutignet@orange.fr (12-01-2023 18:15:40)

A propos du Corps Expéditionnaire français en Italie , le recrutement donne 50% de maghrébins , 32% de " Pieds-Noirs ," 10% d'Africains et 8% de métropolitains , selon l'historien Jean-Christophe... Lire la suite

Pascal Lemarchand (21-10-2006 14:21:42)

Bonjour à tous. Je suis étonné que ce film suscite tant d'adhésion de votre part. Des détails et des choses qui le sont moins, m'ont gêné pendant le film. Commençons par Jamel Debouze, je... Lire la suite

Bonazza Jaki (16-10-2006 12:32:51)

Bonjour. Lors des premières séquences du film Indigènes, on est dans le bain, explosions rafales d'armes automatiques, la peur. Mais lorsque les premières injustices sont commises, l'écoeurement ... Lire la suite

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