Molière

Le français, « langue de Molière » ?

Le français serait la « langue de Molière » tout comme ses équivalents pour l’allemand, la « langue de Goethe », l’italien, la « langue de Dante » ou encore l’espagnol, la « langue de Cervantès ». Chaque pays rend ainsi hommage à l'auteur censé le mieux représenter la langue nationale.

On peut se demander si Molière était bien le plus apte à recevoir cet honneur. Ses contemporains Racine ou La Fontaine, ou encore son aîné Corneille maniaient la langue française d'une excellente façon. C'est justement là toute la différence avec le comédien.

Celui-ci ne se cantonnait pas dans la langue élégante des gens de bien. Il donnait à lire et entendre toutes les formes du langage, celle des aristocrates, celle des femmes savantes comme celle des domestiques, celle des paysans ou celle des gueux. Il a mis en scène la diversité des parlers et des registres de langue et montré la capacité du français à dialoguer avec d'autres langues et patois, le latin des clers, le patois des paysans et même la lingua franca des marins. Voilà qui justifie encore aujourd'hui l'honneur qui lui est fait, même si ses dialogues paraissent parfois vieillis. 

Un langage peu châtié

En son siècle déjà, ses pairs reprochaient à Molière d'employer des « mots sales et bas [pour] charmer la populace » (Nicolas Boileau). De fait, lorsqu'il fait parler le valet Scapin ou, mieux, le paysan Pierrot de Don Juan, il est loin du lexique raffiné d'un Racine : « Investigue ! Parce qu’ois êtes Monsieur, ou viendrez caresser nos femmes à note barbe ? »

Et lorsque ce jargon n'est pas assez riche, et bien Molière invente ! Cette fois c'est Pierre Bayle qui lui en fait reproche : « Il se donnait trop de liberté d’inventer de nouveaux termes et de nouvelles expressions : il lui échappait même fort souvent des barbarismes » (Dictionnaire, 1697). Certains mots comme goguenarderie, pimpesouée, exhilarant... laissent en effet perplexe, tout comme les noms des personnages qui restent à jamais liés à Molière : Argan/Orgon, Cléante/Cléonte... Le dramaturge s'est largement inspiré d'autres langues comme le grec (Harpagon : « rapace ») et l'italien (Sganarelle : « dessiller »), ou de la Commedia dell'arte (Scapin : « qui s'échappe », Tartuffe : « truffe »).

Face à la limpidité incomparable de La Fontaine, face à l'élégance classique de Corneille ou Racine, Molière fait piètre figure. Mais n'oublions pas que l'homme est d'abord un auteur de comédie : il veut nous amuser, et s'amuser avec nous ! Créateur prolixe d'une trentaine de pièces, il est aussi comédien, chef de troupe et courtisan : autant dire qu'il a peu de temps à perdre à chercher le mot ou la rime qui éblouira son public. L'efficacité avant tout ! Alors forcément, dans la plupart de ses comédies, il n'hésite pas à abandonner les alexandrins, plus faciles à mémoriser par les acteurs mais trop gourmands en temps, pour la prose. Il y trouve un style moins maniéré qui lui évite d'avoir recours à ces « phrases les plus forcées et les moins naturelles », explique Fénelon, reconnaissant que « L’Avare est moins mal écrit que les pièces qui sont en vers. Il est vrai que la versification française l’a gêné » (Lettre à l’Académie, 1714).

Les phrases de Molière, si elles manquent parfois d'élégance, ont toutefois l'avantage d'être vraies. C'est en effet tout l'art du dramaturge d'être capable de passer d'un style à un autre, des jurons patoisants aux pédanteries de Célimène, du lexique franc et direct des domestiques au charabia turc du bourgeois qui se veut gentilhomme. La Bruyère ne lui pardonnera pas : « Il n’a manqué à Molière que d’éviter le jargon et d’écrire purement » (Les Caractères, 1688). C'est pourtant la diversité qui intéresse Molière, ce jargon qui fait la spécificité des discours des médecins, des faux dévots ou des femmes savantes. Tout le monde ne peut pas voir un langage élevé, comme le rappelle la servante Martine :

« Mon Dieu ! je n’avons pas étugué comme vous
Et je parlons tout droit comme on parle cheux nous ! »
(Les Femmes savantes, 1672).

Des personnages intemporels

L'Avare qui a perdu son trésor. Illustration de Gustave Doré, XIXe siècle, Paris, BnF.Et c'est bien parce qu'il a su créer des personnages plus vrais que nature que Molière nous séduit encore et toujours, qu'il demeure notre maître ès-théâtre et le dieu vivant de la Comédie française. C'est au point qu'aujourd'hui nous lui devons nombre d'antonomases, par exemple lorsque nous employons le nom d'Harpagon pour désigner un avare, celui de Tartuffe pour désigner tel politicien ou prédicateur ou celui de Trissotin, voire de Diafoirius, à propos de certains « éminents spécialistes » de la Covid-19. Don Juan reste dans le cœur de ces dames et les bonnes maisons se flattent d'avoir un maître Jacques, homme à tout faire inspiré du cuisinier de L'Avare.

Ces personnages qu'il a piochés dans la société de son époque, c'est donc aussi dans la nôtre que nous continuons de les croiser. Parce qu'il est une peinture sans concession des travers intemporels de l'Homme, son théâtre a bénéficié dès sa création et jusqu'à nos jours d'un succès constant.  Il a été applaudi par le Roi-Soleil, homme de goût s'il en est, comme par les « philosophes » des Lumières, pourtant prompts à la critique ravageuse. Au XVIIIe siècle toute l'Europe se fit gloire de montrer sa maîtrise du français, langue de l'élite, en allant à la rencontre d'Arnolphe ou Sganarelle. C'est d'ailleurs le siècle des Lumières qui a diffusé l'expression « langue de Molière », preuve s'il en faut de son extrême popularité.

Les comédies de Molière appartiennent à une époque qui se fit fort de mettre un peu d'ordre dans notre langue. L'Académie française, créée en 1635 par le cardinal Richelieu, en surveille depuis lors le bon usage, sous l'œil rigoureux du grammairien Jean de Vaugelas. Lorsqu'il rédige Les Précieuses ridicules, en 1659, première des pièces qui ont fait de lui un auteur reconnu, Molière devint ainsi un des représentants de cette écriture raffinée qui fit la gloire du classicisme. Voilà un beau paradoxe pour un écrivain qui s'est moqué des excès du beau style avec ses Précieuses et s'en est plus affranchi que quiconque. Pas de « Mourir vos beaux yeux, belle Marquise, d’amour me font » (Le Bourgeois gentilhomme, 1670) pour Molière. Un simple « Belle Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour » suffira à traverser les siècles et séduire toutes les générations.

Isabelle Grégor
Molière dans le texte

« Fâcheux, pendard, coquine ! » Ces injures du temps de Versailles sont entrées en littérature avec Molière, au côté des cocasses « ventrebleu ! » et autres « tudieu ! ». Mais saurez-vous dire de quelles comédies proviennent les expressions suivantes et qui en sont les interprètes ?


a- Il faut manger pour vivre et non vivre pour manger.
b- Le petit chat est mort.
c- Veux-tu toute ta vie offenser la grammaire ? / Qui parle d’offenser grand’mère ni grand-père ?
d- Mais que diable allait-il faire dans cette galère ?
e- Mes gages ! Mes gages ! Mes gages !
f- Et c'est une folie à nulle autre seconde / De vouloir se mêler de corriger le monde.
g- Couvrez ce sein que je ne saurais voir.
h- Vite, voiturez-nous ici les commodités de la conversation [à propos des fauteuils] !
i- Presque tous les hommes meurent de leurs remèdes, et non pas de leurs maladies.
j- Ah ! la belle chose que de savoir quelque chose !
k- Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage

1) Monsieur Jourdain (Le Bourgeois gentilhomme)
2) Béralde (Le Malade imaginaire)
3) Sganarelle (Don Juan)
4) Tartuffe (Tartuffe)
5) Magdelon (Les Précieuses ridicules)
6) Bélise / Martine (Les Femmes savantes)
7) Géronte (Les Fourberies de Scapin)
8) Agnès (L’École des femmes)
9) Valère (L’Avare)
10) Philinte (Le Misanthrope)
11) Martine (L’École des femmes)

Réponses en pied de page.

Illustration des Femmes savantes par Charles Coypel (XVIIIe siècle)

Réponses : a-9; b-8; c-6; d-7; e-3; f-10; g-4; h-5; i-2; j-1; k-11


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Publié ou mis à jour le : 2023-10-20 16:40:01

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