Macron comme Mac-Mahon ?

La stratégie du chaos

12 juin 2024. Il y a trente mois, le 19 janvier 2022, nous avons entrevu une crise de régime inédite sous la Ve République, similaire à celle qui a conduit en 1877 à la démission du président Mac-Mahon. Celle-ci est survenue en juin 2022 avec la mise en minorité du président sans alternative possible. Le pays en est venu en mars 2023 à l'affrontement de trop sur les retraites. En dissolvant l'Assemblée nationale ce 9 juin 2024, au pire moment qui soit, le président Emmanuel Macron a lui-même choisi d'en finir en optant pour la stratégie du chaos...

Il y a près de dix ans, le 26 août 2014, Emmanuel Macron entrait au gouvernement comme ministre de l'Économie, sous la présidence de François Hollande. Trois ans plus tard, il devenait à moins de 40 ans le plus jeune président de la République française avec un profil curieusement similaire à celui de Giscard d'Estaing.

D'emblée, il séduisit les classes supérieures à l'aise dans la « mondialisation heureuse » ainsi que les retraités soucieux de stabilité. Cela lui valut de recueillir 24% des voix au premier tour de l'élection. Il dut en définitive son élection au rejet majoritaire de sa concurrente du second tour, Marine Le Pen, la présidente du Rassemblement national (droite radicale).

Rebelotte en 2022. Cette fois, son bilan discutable (révolte des Gilets jaunes,...) et le rejet de sa personne par une large fraction de l'électorat ne lui permirent pas d'obtenir une majorité absolue à l'Assemblée nationale. Herodote.net avait anticipé cet échec dès janvier 2022. La faute en revient aux révisions de 2000 et 2008 qui ont dévoyé l'esprit de la Constitution de 1958 en instituant le quinquennat, les élections législatives dans la foulée des présidentielles ainsi que le non-cumul des mandats.

Il s'ensuivit une présidence cahotique, des manifestations contre la retraite à 64 ans jusqu'à l'explosion de la Nouvelle-Calédonie en passant par la mise à mal des services publics et des grands corps de l'État, une quasi-déclaration de guerre à la Russie et une expulsion humiliante de la France de tout l'espace sahélien. 

Tout cela pour arriver à cette fatale soirée du dimanche 9 juin 2024 qui se traduisit par un rejet manifeste de la personne même du Président, avec la défaite cinglante de sa liste (15% des suffrages) et le succès de la liste du Rassemblement national conduite par Jordan Bardella avec 32% des suffrages, dans une forme de revanche sur le référendum volé du 29 mai 2005 (note).

Emmanuel Macron se défendit mollement d'avoir favorisé la progression du Rassemblement national et en reporta la faute sur le peuple français, déclarant à Berlin le 26 mai 2024 : « Ce n’est pas moi qui ai choisi un adversaire qui est l’extrême droite, ce sont les Français qui me l’ont donné ! » 

Une impasse politique née des malfaçons de la Constitution

Sitôt connus les résultats définitifs des européennes, le président annonça à la surprise générale la dissolution de l'Assemblée nationale, qui n'était pourtant pour rien dans son échec personnel. Les élections législatives furent programmées trois et quatre semaines après, le 30 juin et le 7 juillet !

Il était difficile de faire pire ! Le Conseil Constitutionnel, d'habitude très flexible dans l'interprétation du droit, eut pu contester cette précipitation pour de multiples raisons : difficultés d'organisation dans un contexte compliqué par la préparation des Jeux Olympiques dont l'ouverture interviendra à Paris deux semaines après, impossibilité de s'inscrire sur les listes pour les électeurs qui se moquaient des élections européennes mais auraient été motivés par les législatives, etc.

Depuis sa demi-défaite de 2022, le président de la République aurait eu mille occasions de dissoudre l'Assemblée en vue de clarifier la situation politique. Il aurait pu aussi attendre la rentrée de septembre 2024 et, entretemps, gérer au mieux les Jeux Olympiques mais également les crises dans lesquelles se débattent la France et l'Europe.

À défaut de mieux, on peut expliquer la précipitation présidentielle par un calcul politicien tout sauf honorable : amener à la tête du gouvernement les gens du Rassemblement national sans leur laisser le temps de se préparer ; leur repasser la patate chaude de la dette accumulée ces dix dernières années ; démissionner de la présidence en prétextant (à juste titre) l'impossible cohabition avec un Premier ministre d'extrême-droite... puis revenir en sauveur une fois que son remplaçant(e) à l'Élysée aura épuisé son capital de popularité dans la gestion des crises qu'il lui aura léguées : dette publique abyssale et nécessaires mesures d'austérité, fermetures d'usines, pénuries de médicaments, envoi d'instructeurs en Ukraine, soulèvement de la Nouvelle-Calédonie, crise migratoire à Mayotte, réveil de l'antisémitisme, multiplication des agressions, etc.

Ce scénario, s'il est celui auquel songe Emmanuel Macron, est hautement improbable. Que le Rassemblement national obtienne ou non la majorité absolue à l'Assemblée à l'issue du second tour le 7 juillet, le pays deviendra ingouvernable.

Ainsi sera bouclée la crise du « Neuf Juin » qui, à l'image de celle du « Seize Mai », pourrait sonner le glas du régime présidentiel. Les citoyens français n'accepteront plus de confier les clés du pays à un homme quel qu'il soit, doté de plus de pouvoir que n'en avait Louis XIV, et de se mettre ainsi à la merci de ses possibles humeurs.

Publié ou mis à jour le : 2024-12-03 18:06:47
Benoit (04-12-2024 16:45:32)

La monarchie républicaine qu'est la cinquième République est un costume taillé sur mesure par et pour le général de Gaulle, trop grand et surtout perverti par ses successeurs. Le dernier en dat... Lire la suite

KerAvel (02-10-2024 17:26:00)

Concernant les dépenses publiques ne pourrait-on pas réduire celles qui sont engagées par la mise à dispositions de voiture, bureau et autres avantages dédiés au Président ou aux ministres, dÃ... Lire la suite

Christian (07-09-2024 19:00:56)

"La Chambre, résolue à ne pas entrer en relation avec un ministère qui, par sa composition, est la négation des droits du Parlement, refuse le débat constitutionnel auquel elle est conviée et dÃ... Lire la suite

Maurice (02-08-2024 19:27:30)

Saccage du Service public ? Grand n'importe quoi. Les dépenses pour le service public en France sont hors de contrôle. On privilégie le nombre : la quantité de fonctionnaires et non pas la qualitÃ... Lire la suite

Yuki (26-07-2024 15:17:49)

Article décevant au regard de la mission que s'est donné ce site : éclairer le présent par le passé. Le parallèle accrocheur avec Mac-Mahon n'est absolument pas développé. Le passé promis est... Lire la suite

Christian (11-07-2024 09:22:21)

En différant sans cesse, sous des prétextes plus ou moins valables, la nomination d'un éventuel premier ministre de gauche, Emmanuel Macron s'expose peut-être à subir le sort de son lointain pré... Lire la suite

Christian (08-07-2024 08:08:04)

Si la gauche arrive à former un gouvernement après le coup de théâtre électoral d'hier, une chose est à peu près sûre, c'est que la cohabitation avec le président ne sera pas trop difficile s... Lire la suite

Christian (19-06-2024 06:27:55)

Sauf erreur, la déplorable réforme constitutionnelle de 2008 (tout aussi déplorable que celle de 2000 instaurant le quinquennat) empêche le président de se représenter immédiatement après avoi... Lire la suite

Bernard (18-06-2024 09:03:27)

Comme le bain dans lequel on plongeait autrefois les négatifs des photos argentiques, cette dissolution constitue un formidable révélateur. Chacun peut désormais en effet constater qu'il existe ma... Lire la suite

Christian (15-06-2024 18:13:23)

Tout comme le parti communiste français avait fini par demander le retrait des troupes soviétiques d'Afghanistan en 1981, ce qui lui avait permis de faire entrer quatre ministres au gouvernement, la... Lire la suite

mcae.fr (14-06-2024 07:26:59)

Depuis la dernière guerre, une gouvernance mondiale impose à l’Occident une règle très simple, réaffirmée sans état d’âme par Bruno Le Maire : le but de l’économie c’est de faire du ... Lire la suite

Peirani Jean Pierre (13-06-2024 09:05:01)

Je regrette qu'un sujet aussi actuel soit traité sur un site qui se consacre à l'Histoire. Un certain recul est nécessaire pour appréhender les événements importants. Cet article, à charge cont... Lire la suite

Christian (13-06-2024 08:42:45)

Plus près de nous, on pourrait comparer la situation actuelle avec celle de 1997 et la dissolution prononcée par Chirac qui fut suivie d'une cohabitation de cinq ans avec la "gauche plurielle". Mais... Lire la suite

LONGUET (12-06-2024 19:33:10)

Bonjour CROSSJM, D'abord, je ne trouve pas cet article tendancieux, il expose simplement les faits. Je regrette simplement que Hérodote parle entre autre de la guerre en Ukraine, mais pour Gaza, où... Lire la suite

Pacome (12-06-2024 18:06:37)

Devant ce résultat des élections européennes et face à un avenir parlementaire difficile le président Macron s’est dit que la fin de son quinquennat serait marqué par un bilan calamiteux en te... Lire la suite

Robert (12-06-2024 17:54:09)

Regrettable que bcp de commentaires voient déjà la victoire du RN…Et Herodote montre un visage de la France très pessimiste…(dette,violence, anti sémitisme etc) Notre pays a des ressources …... Lire la suite

CROSJM (12-06-2024 17:17:12)

Je regrette sincèrement cet article très tendancieux et indigne d'un historien. Quand un président est désavoué par le peuple, la constitution lui donne la seule possibilité d'une dissolution ... Lire la suite

Blumenthal (12-06-2024 17:03:52)

Comme toujours un article plein de perspicacité. Une chose est sûre, la France n'y gagnera pas en sérénité. Gouverner n'est pas un jeu, cela disqualifie le joueur solitaire prétentieux et orguei... Lire la suite

GUYOT (12-06-2024 16:18:58)

Machiavel ne mourant jamais, il faut aussi compter avec les perturbations prévisibles : - Le RN sème la pagaille et la discorde dans les partis de droite, LR refusant le choix isolé de son prési... Lire la suite

Jean-Marie Kaes (12-06-2024 16:03:00)

Article qui résume bien la situation actuelle, laquelle est la conséquence de toutes les fautes commises par Macron depuis ses 2 présidences. En revanche je ne suis pas du tout certain que Jupiter ... Lire la suite

Doran (12-06-2024 15:17:00)

A mon corps défendant, je suis persuadé que cette dissolution a été mûrement échafaudée. Compte tenu des sondages, il se savait dans un corner: élections, chiffres économiques désastreux,... Lire la suite

Jean-Michel Gindt (12-06-2024 14:31:50)

N'oublions pas cependant la fin du mandat de la présidente de la Commission européenne en décembre 2024. Le timing ne serait-il pas parfait pour une démission du Président après les élections e... Lire la suite

ESCOUBOUÉ (12-06-2024 14:01:35)

Votre analyse est très juste et surtout vraiment réaliste. J'aurais juste ajouté : aime-t-il la France? L'a-t-il aimé un jour? Puis j'aurais terminé par: il a fini par la tuer mais elle lui tomba... Lire la suite

Cepavrai (12-06-2024 14:00:14)

J'aurais aimé qu'un historien ait le recul de l'historien au-delà des parallèles contestables parce que fortement "journalistiques"

Jean-Michel Gindt (12-06-2024 13:54:15)

N'oublions pas cependant la fin du mandat de la présidente de la Commission européenne en décembre 2024. Le timing ne serait-il pas parfait pour une démission du Président après les élections e... Lire la suite

Jean-Paul PIERRE (12-06-2024 13:21:30)

Contrairement à ce qui est écrit plus haut, le président démissionnaire ne pourrait pas "revenir en sauveur une fois que le gouvernement RN aura épuisé son capital de popularité" car la constit... Lire la suite

Desrousseaux (12-06-2024 13:12:12)

j'aurais pu écrire et signer tout cet article

Hugues Franquet (12-06-2024 13:02:07)

Très bon article. La 5ième République a été rédigée pour mettre en place un régime présidentiel, républicain et solide construit autour d'un "Homme" (avec un H) fort, exemplaire, et univers... Lire la suite

Daniel MIGNOT (12-06-2024 12:58:25)

Merci Monsieur Larané de votre analyse ; merci également de rappeler que M. Macron tient les cordons de la bourse depuis dix ans bientôt. Merci à M. Marcron de refiler les dettes, au prochain gouv... Lire la suite

Respectez l'orthographe et la bienséance. Les commentaires sont affichés après validation mais n'engagent que leurs auteurs.

Actualités de l'Histoire
Revue de presse et anniversaires

Histoire & multimédia
vidéos, podcasts, animations

Galerie d'images
un régal pour les yeux

Rétrospectives
2005, 2008, 2011, 2015...

L'Antiquité classique
en 36 cartes animées

Frise des personnages
Une exclusivité Herodote.net