Quoi de neuf ? Molière !

La France célèbre les 400 ans du comédien

À la question : Quoi de neuf ? « Molière ! » répondait Sacha Guitry. Le comédien n'a de fait jamais quitté la scène. Ce 15 janvier, la Comédie-Française en plein émoi a célébré avec plus de ferveur que d'habitude l'anniversaire de son dieu. À Paris, Versailles, Pézenas et ailleurs, Molière est fêté. Exceptionnel destin pour un jeune fils de famille qui avait choisi le métier le plus décrié de son temps, celui de comédien, et par ce biais avait accédé aux plus grands honneurs...

Timbre du quadricentenaire de MolièreNe boudons pas notre plaisir. Cette année Molière est l'occasion de découvrir ou redécouvrir l'auteur et ses oeuvres dans toute la France et en premier lieu à Pézenas (Hérault), où le jeune Molière et sa troupe bâtirent leur réputation sous la protection du prince de Conti. « Jean-Baptiste Poquelin naquit à Paris en l’an 1622, mais c’est à Pézenas, en 1650, que Molière est né, » avait plaisir à dire Marcel Pagnol. 

À Pézenas, donc, la Poste va présenter un nouveau timbre en l'honneur du quadricentenaire. Au printemps, du 3 au 12 juin, la petite ville offrira un festival avec théâtre, dîner gastronomique, spectacle !... Ensuite est annoncée une reconstitution historique à l'occasion des Journées du Patrimoine, les 16-18 septembre.

Versailles est un autre haut lieu « moliéresque » même si Molière, mort en 1673, n'a jamais connu le palais actuel, dans lequel la Cour s'est installée près de dix ans plus tard, en 1682. Dans le premier château, en 1663, Molière a créé une petite pièce en un acte, L'Impromptu de Versailles, un plaidoyer pro domo sur la force du rire. L'année suivante, il a organisé dans les jardins la fête des Plaisirs de l'Île enchantée. C'est à cette occasion qu'il a produit la pièce qui lui a valu la plus violente cabale qui soit, Le Tartuffe ou l'Hypocrite (la Comédie-Française la reprend dès ce jour dans sa version initiale, avec Denis Podalydès dans le rôle-titre, mais inutile de se presser ; tout est déjà complet). 

Le médecin malgré lui dans une version arabe, au cinémaLe comédien rencontrait le roi ici et là. Mais ni à Versailles ni au Louvre, il n'a dîné avec lui en tête-à-tête, contrairement à une légende illustrée par un célèbre tableau d'Ingres.

Quoi qu'il en soit, Versailles ne pouvait demeurer muette en cette année du bicentenaire. Son maire François de Mazières, qui idolâtre le comédien, a créé il y a un quart de siècle, avec des bénévoles, le Mois Molière, un festival qui, chaque année, en juin, permet à de jeunes troupes de jouer Molière dans la cour des Grandes Écuries, en face du château. Cette année, il a inauguré une exposition autour de Molière, la fabrique d'une gloire nationale (1622-2022).

L'exposition se tient dans la rotonde centrale de l'Espace Richaud, dans l'ancien Hôpital civil (un hôpital conçu pour accueillir les nombreuses victimes d'accidents du travail sur le chantier du palais !). Elle présente sur deux niveaux des costumes de théâtre, différentes éditions des oeuvres, des documents comme le fameux Registre La Grange, dans lequel le collaborateur de Molière avait annoté les faits et gestes de la troupe de 1659 à 1673. Organisée par le professeur d'études théâtrales et dramaturge Martial Poirson, l'exposition met l'accent sur la manière dont l'oeuvre de Molière a été popularisée en France et dans le reste du monde. Elle montre par exemple la popularité dont ont bénéficié ses comédies en Afrique du nord, tant en français qu'en arabe dialectal.

Molière (Martial Poirson, Seuil-Versailles, 35 euros, 2022)Martial Poirson est l'auteur aussi de deux ouvrages tout à fait remarquables, en librairie à la mi-janvier. Le premier, co-édité par Seuil et Versailles, reprend le titre de l'exposition : La fabrique d'une gloire nationale (1622-2022).

C'est un beau livre de 268 pages sur papier glacé grand format, richement illustré en couleur (35 €). Il raconte la vie de Molière et, comme l'indique le titre, il montre les mutations de sa légende au gré des régimes politiques et la façon dont son oeuvre a traversé les siècles, l'accueil qu'elle a reçu des autres écrivains et dramaturges, à l'époque des Lumières, à l'époque romantique comme au XXe siècle.

Le contenu est remarquablement documenté et la lecture très agréable. Il s'adresse à tous les publics curieux et cultivés. Un compagnon de chevet idéal pour cette année Molière.

Molière, du saltimbanque au favori (Martial Poirson et Rachif Maraï)Le deuxième livre, Molière, du saltimbanque au favori, se présente comme un roman graphique (Dunographic, 96 pages, 17,90 €). Écrit de façon alerte par Martial Poirson et illustré par Rachid Maraï, il raconte la vie agitée de Molière, loin de la légende et des affabulations. Le récit est précis et détaillé, captivant et romanesque. Le prologue nous fait pénétrer dans une salle de classe de la IIIe République afin de montrer toutes les facettes de l'oeuvre et du personnage. Le livre présente à la fin une galerie de portraits très bien documentés de tous les personnages qu'a pu connaître Molière. Sous une forme moderne, avec des dessins vivants et des bulles qui mettent en situation des dialogues et des citations léguées par les chroniqueurs, le livre s'adresse à tous les publics, y compris aux adolescents, collégiens et lycéens. 

Faut-il l'avouer ? Nous nous sommes beaucoup inspirés de ces deux livres très didactique pour la rédaction de notre propre biographie sur le comédien.  

Une gloire nationale et universelle

Tous les Français ont au moins ânonné une tirade de Molière. Bourgeois en rupture de ban et homme du monde ; critique impitoyable des travers de ses concitoyens et dévoué serviteur du Roi-Soleil ; libertin qui ne laisse rien paraître de son athéisme ; écrivain prolixe dont on n'a conservé ni lettre ni manuscrit, il demeure l'auteur de théâtre le plus consensuel en France et également le plus lu, le plus joué et le plus traduit à l'étranger.

La liberté de ton de ses comédies, sa bouffonnerie sublime, son langage fleuri qui emprunte à toutes les classes sociales et à tous les patois lui ont assuré les faveurs des humbles comme des puissants, des intellectuels comme des simples, des royalistes comme des républicains. Le plus étonnant, ainsi que le note le professeur d'art dramatique Martial Poirson, est sa récupération par la IIIe République à la fin du XIXe siècle. Jules Ferry impose l'enseignement de ses comédies dans les écoles. Il est aussi joué par le théâtre aux armées pendant la Grande Guerre.

Oubliant sa déférence envers le monarque et les puissants, les républicains ne veulent retenir que sa liberté d'esprit. Trois siècles avant Mai 68, il est vrai, Molière a porté à son paroxysme la contestation des corps établis et la critique sociale. À travers ses dialogues qui voient une servante moucher son vieux maître ou un savant universitaire se ridiculiser par son pédantisme, chacun découvre l'esprit critique. Et c'est ainsi que les écoliers de la IIIe République ont pu démonter les dogmes de l'Église ou se prendre de passion pour les débats en tous genres. De façon plus inattendue, Molière, joué dans les colonies comme dans la métropole, a aussi été récupéré par les indigènes qui y virent une contestation de l'ordre établi. En Indochine comme en Afrique, il fit l'objet de ce qu'on appellerait aujourd'hui une « appropriation culturelle ». On dit que les premiers textes traduits en vietnamien furent ainsi des comédies de Molière.

À sa façon, Molière s'est imposé comme un professeur d'instruction civique. Il réalise une synthèse très française de la morale catholique et de la morale républicaine, avec un vernis épicurien. Aujourd'hui comme hier ou avant-hier, nos références communes à L'Avare, au Tartuffe, au Malade imaginaire ou à L'École des Femmes ont instillé dans notre esprit l'idée que la cupidité, l'amour de l'argent et la thésaurisation sont plutôt de mauvaises choses, qu'il faut se méfier comme de la peste des prédicateurs religieux, que les diplômes des experts, médecins et autres épidémiologistes ne valent que le prix du papier sur lequel ils sont imprimés, que les épouses et les filles, enfin, méritent d'être écoutées et respectées comme tout humain qui se respecte... Autant d'idées qui nous paraissent aller de soi mais suscitent l'étonnement sous d'autres cieux. 

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2022-01-16 01:17:45
Jean-Michel Duprat (16-01-2022 19:32:27)

"...comédien, et par ce biais avait accédé aux plus grands honneurs..." pas ceux de l'Église puisque enterré de nuit, en catimini, échappant de peu à la fosse commune . Il n'empêche, sa plus ... Lire la suite

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