La vie sous l’Ancien Régime

La France à son sommet ?

Le dernier ouvrage de l’historienne Agnès Walch (La vie sous l’Ancien Régime, Perrin, février 2020) est l’occasion de se (re)pencher sur cette période qui laissa chez la plupart des contemporains de l’époque un souvenir nostalgique après la Révolution. Sans en masquer les difficultés et les drames, l’auteur raconte la vie des Français d’alors en un temps où semble bien avoir été conviée « la douceur de vivre ».

La vie sous l’Ancien Régime

C’est une impression contrastée, étonnée, curieuse mais positive et parfois, avouons-le, admirative que donne La vie sous l’Ancien Régime sous la plume d’Agnès Walch.

Contrastée d’abord car, rappelle l’auteur, l’époque eût ses rudesses et ses misères et pas seulement sa magnificence. Etonnée ensuite, tant pour la vitalité du pouvoir monarchique, de ses serviteurs et des sujets de la Couronne de France que pour l’ordre politique et chrétien consenti par tous et qu’« avant 1789, il n’est pas question de remettre en cause » selon Agnès Walch.

Impression curieuse aussi, tant certains raffinements, certaines manières et certains usages sociaux peuvent apparaître exagérés ou éloignés du XXIe siècle. Mais impression positive, sinon admirative, devant les trésors de foi, d’esprit, de finesse, d’harmonie sociale conjuguant élégamment le masculin au féminin, qui imprégnaient l’époque.

Promenons-nous donc avec Agnès Walch pour cueillir les roses de cette époque plutôt que ses épines.

Une foi qui unit tout le royaume

D’emblée, le contraste est saisissant entre la foi des Français de l’Ancien Régime et les deux siècles qui allaient succéder à la Révolution. Bien qu’Agnès Walch ne masque pas l’émergence du rationalisme cartésien et les écarts libertins, l’impression de force semble tout de même une authentique unité spirituelle du royaume.

Toutes les institutions, toute la société sont mues et imprégnées de foi chrétienne si bien que l’autorité – de droit divin – est acceptée par tout le corps social : « L’inégalité des conditions et l’obéissance due au souverain, écrit l’historienne, sont deux traits de caractère essentiels à la société. L’une et l’autre sont considérées comme naturelles ».

Nicolas Poussin, le Jugement de Salomon, 1649, Paris, musée du Louvre. L'agrandissment montre le tableau de Philippe de Champaigne,  Portrait de mère Agnès Arnauld et de sœur Catherine de Sainte-Suzanne, dit L’Ex-voto, 1662, Paris, musée du Louvre.

Dans son Testament ou conseil d’un père à ses enfants sur la manière dont il faut se conduire dans le monde publié en 1696, Philippe Fortin de la Hoguette, « pédagogue à ses heures » et « sage militaire » affirmait ainsi la nécessité d’une totale sujétion au roi mais dans un rapport de réciprocité, puisque, écrit-il, il y a « en l’un la sujétion de bien obéir et en l’autre une obligation de bien gouverner ».

« De ce point de vue, constate Agnès Walch, l’organisation civique entretient des liens d’égalité entre tous. Par rapport au souverain, tous les sujets sont d’une égale sujétion indépendamment de leurs origines. » Mais poursuit l’historienne, « le roi est le garant de l’unité sociale, si bien que l’inégalité fondamentale entre les individus est compensée par le rôle temporisateur du monarque. »

De fait, la monarchie semble fédérer tous les suffrages à cette époque et l’attachement à la personne royale est telle que l’on peut parler de « patriotisme populaire » où le « petit peuple » aime spontanément son « bon » roi. Même si « à mesure que l’on monte dans la hiérarchie sociale, les critiques surgissent », écrit l’auteur, l’institution monarchique et la figure du roi sont populaires et apparaissent comme indéboulonnables.

La vie chrétienne ̶ « d’une grande intensité » ̶ favorise l’osmose et ce que l’on appellerait aujourd’hui "le vivre-ensemble". « Tous les Français mènent une vie chrétienne, raconte Agnès Walch, récitent le bénédicité avant de s’asseoir pour prendre leur repas, prient, vont à la messe dominicale, se confessent et communient au moins une fois l’an. Leur pratique est régulière, profonde et routinière. La religion vient se nicher dans les plus petites actions du quotidien. »

L’historienne raconte que la ménagère de l’époque sait qu’il lui faudra réciter lentement un Pater et trois Ave Maria pour faire cuire un œuf à la coque, que les paysans s’arrêtent dans les champs pour l’angélus lorsque les cloches sonnent le matin, le midi et le soir.

Louis Le Nain, Repas de paysans, 1642, Paris, musée du Louvre. L'agrandissement montre un second tableau de Louis Le Nain : La Famille heureuse ou Le Retour du baptême, 1642, Paris, musée du Louvre.

Malgré le poids considérable et l’influence du jansénisme sur les esprits de l’époque, le XVIIe siècle peut être appelé « le siècle des saints » avec des géants de la sainteté tel saint Vincent de Paul ou saint François de Sales, pour ne citer qu’eux. Bref, « l’effervescence religieuse vivifie le royaume », note Agnès Walch.

Si la piété de Louis XIII est connue, celle de Louis XIV l’est moins. Pourtant, cet enfant du miracle (conçu par le roi Louis XIII et Anne d’Autriche plus de vingt ans après leur mariage) était dans ses dévotions « l’un des plus réguliers » parmi les souverains de l’époque. Et le Roi Soleil les pratique « avec conviction » et « croît profondément à l’existence d’un Dieu créateur et à la grandeur du christianisme ».

Il ne manque ainsi jamais d’assister quotidiennement à la messe. « Loin de n’envisager la religion que sous l’angle de l’utilitaire, Louis XIV la considère comme un secours contre les petitesses des hommes et un soutien dans l’exercice de son métier », relève Agnès Walch.

Même si, au dire de Mme de Caylus (la nièce de Mme de Maintenon), Louis XIV avait « un fond de religion qui paraissait dans les plus grands désordres avec les femmes », il n’en n’avait pas moins une piété bien réelle.

Nature morte au gobelet argenté, par Willem Claesz Heda, 1635, Amsterdam, Rijksmuseum. L'agrandissment montre un tableau d'Abraham Bosse, Les Cinq sens : Le Goût, vers 1635, musées beaux-arts de Tours.

Aux origines de la « French touch » ?

Si la communion du peuple français en une même foi favorise la fidélité du peuple à son roi, l’époque s’articule aussi avec un sens de l’étiquette et des conventions inégalé.

Le raffinement et l’attention portée au paraître, naturellement plus visibles et ostensibles chez les nobles et les bourgeois, touchent en effet la société comme si celle-ci était traversée par un mouvement de fond. Les Français sont fines bouches pour l’apparat, mais aussi pour la gastronomie.

Agnès Walch parle même à ce titre de « naissance du goût » en évoquant les tensions entre partisans de la cuisine traditionnelle (épicée et mélangeant le sucré et le salé) et tenants de la nouveauté culinaire (le naturel des légumes, les sauces).

Bien qu’elle ne cache pas les différences de régime entre les paysans et les gens de la haute société, l’historienne évoque « le plaisir de manger » qui se développe alors. Les Français semblent même devenir capricieux dans leur alimentation du moins ceux qui peuvent se le permettre. À commencer par le roi.

C’est ainsi que la princesse Palatine décrit les repas gargantuesques avalés par son beau-frère Louis XIV : « J’ai vu le roi manger quatre assiettes de potages divers, un faisan entier, une perdrix, une grande assiette de salade, deux grandes tranches de jambon, du mouton au jus et à l’ail, une assiette de pâtisseries et puis encore des fruits et des œufs durs ».

Évidemment, au-delà de la performance de l’estomac royal assez ahurissante, on est songeur quand on lit sous la plume d’Agnès Walch que les paysans « ne consomment jamais autre chose que ce qui correspond au potage dans les menus des puissants ». Mais l’anecdote manifeste bien quelle pouvait être la diversité culinaire à table même s’il s’agit – ici – de celle du roi.

Louis XIV reçoit Molière, Jean Hégésippe Vetter, Salon de 1864, Paris, musée d'Orsay. L'agrandissement montre Le déjeuner de chasse (sous Louis XV), Jean-François de Troy, 1737, Paris, musée du Louvre.

Si le plaisir de manger trouve un nouvel essor sous l’Ancien Régime, celui du paraître se développe dans toutes les couches sociales. À cet égard, « l’art de s’ajuster » se développe tellement, qu’on peut y voir les origines de la "French touch" qui rendra la mode française connue aux quatre coins du monde.

Comme le notent déjà des observateurs étrangers de l’époque, le Français a le goût des modes et des nouveautés et Agnès Walch peut écrire que « la passion du costume semble remuer toutes les couches sociales ». Bien sûr ce souci de l’habit ne va pas sans inégalités. Mais celles-ci ne se retrouvent-elles pas, malheureusement, à chaque époque de l’histoire ?

Les règles de bienséances, de civilités ou les manières protocolaires s’enrichissent aussi, non sans jamais céder parfois à certains excès. Ainsi la duchesse de Guise, fille de Gaston d’Orléans, qui se fait servir par son mari à table. « Tous les respects dus à une petite-fille de France furent conservés », écrit, à propos de cette scène, le mémorialiste Saint-Simon.

Celui-ci rapporte que le mari de la duchesse se tient derrière elle pour lui présenter sa serviette et que ce n’est qu’une fois que sa femme l’a déployée que celle-ci prie ses valets d’apporter un couvert pour son mari. Elle autorise alors ce dernier à s’asseoir et à prendre son repas avec elle.

Comme l’écrit Agnès Walch, les comportements d’alors sont « dictés par l’impératif de tenir sa place strictement, en s’effaçant devant un supérieur sans jamais écraser un inférieur ». La société d’Ancien Régime est sensible à la politesse, au savoir-vivre, dans l’espace privé comme dans l’espace public.

Au fond, et bien qu’elles puissent être parfois pesantes à la longue, ces bonnes manières encadrent un état d’esprit : le plaisir de vivre.

Le plaisir des mots

Ce plaisir de vivre est alors le plaisir de l’esprit qui s’exprime aussi bien dans les arts, la mode vestimentaire que dans les traits d’humour ou les répartie fines. Celles-ci, écrit même Agnès Walch, « semblent le trait dominant d’une civilisation où l’agilité, la rapidité et l’ingéniosité de la pensée sont devenues des paradigmes ». Et selon elle, « on n’en finirait pas de citer les mots d’esprit, les calembours et autres jeux de mots inventés par les "beaux esprits" ».

La Cour était d’ailleurs peuplée de personnes à l’humour subtil. Même à la fin de l’Ancien Régime, Louis XVI en use. Un jour qu’il demandait au marquis de Bièvre un calembour, celui-ci lui répondit : « Sur quel sujet, Sire ? – N’importe, répondit Louis XVI, sur moi si vous voulez ». Et le marquis de répondre du tac au tac : « Votre majesté n’est pas un sujet ».

Une autre fois, Louis XVI (qui nous surprend encore par son humour) demanda au même marquis, bien connu à l’époque pour ses bons mots : « Savez-vous, marquis, de quelle secte sont les puces ? » Et sans lui laisser le temps de répondre, le roi, farceur, de répondre : « De la secte d’Epicure ». C’est bien normal répartit le marquis de Bièvre, ajoutant « comme les poux sont de celle d’Epictète ».

Louis XIV, protecteur des Arts et des Sciences, Morceau de réception à l'Académie royale de peinture et de sculpture, 1672, collection de l'Académie, Château de Versailles. L'agrandissement montre un tableau d'Abraham Bosse, Les Cinq sens : L'audition, vers 1635, musées des beaux-arts de Tours.

Une réelle « mixité sociale »

La finesse de l’esprit, la délicatesse des manières et des goûts, le rayonnement de la langue et des arts en dehors du royaume ne sont-ils pas aussi le fruit de la place qu’occupent les femmes dans la société d’alors ?

Celles-ci accueillent en effet dans leurs salons les beaux esprits et elles deviennent, écrit Agnès Walch, les « animatrices de la sociabilité mondaine et intellectuelle » du royaume. Parmi elles, beaucoup écrivent et « durant le siècle de Louis XIV, on compte jusqu’à quatre cents femmes dont les ouvrages sont publiés ».

Le public les « encense, poursuit l’historienne, si bien que Montesquieu, au siècle suivant, finit par affirmer qu’ "il n’y a plus qu’un sexe, et nous sommes tous femmes par l’esprit" ».

Joachim Christoph Nemeitz, un Allemand qui écrit un guide touristique de la France en 1727 consacre dans son Séjour à Paris, un chapitre entier à la conversation des femmes, tant elle lui paraît singulière. Le guide ̶ pourtant allemand ̶ prétend même que « le sexe français est le plus obligeant, le plus poli et le plus agréable du monde » et qu’ « il a ordinairement beaucoup d’esprit ».

Dans leur majorité, hommes et femmes semblent vivre alors dans une forme d’harmonie où chaque sexe peut tenir sa place sans avoir peur d’être écrasé par l’autre. L’un et l’autre se côtoient au quotidien sans être à couteaux tirés. Bref, « la société française est [alors] fondamentalement mixte », écrit Agnès Walch.

Il y aurait encore bien des choses à dire sur les beautés de cette époque qui ne manquait pas pour autant d’ambiguïtés et de difficultés. L’auteur de La vie sous l’Ancien Régime ne les tait pas. Mais n’est-il pas plaisant, et au fond juste, d’en voir quelques éclats sans s’attarder à ce qui ternit, immanquablement, toute époque.

Si, à la fin de cette période, les écrivains – les philosophes au premier chef – critiquent tout, pourtant, écrit Agnès Walch dans sa conclusion, « à la veille de la Révolution le pays est heureux ». Et même, poursuit l’historienne, « la plupart des sources [renseignant sur l’époque] convergent vers un sentiment de bonheur ».

Finalement, et c’est par cette phrase que s’achève l’ouvrage : « Rétive à toute essai de définition, cette époque est le point de convergence de diverses élégances, dont le charme continue à opérer jusqu’à nous ».

Joseph Vallançon
Publié ou mis à jour le : 2020-12-16 19:11:27

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