Patrimoine

La protection du patrimoine est récente

Désireux de familiariser le grand public avec les monuments historiques publics ou privés, Jack Lang, ministre de la Culture, lança, en 1984, la « Journée Portes ouvertes dans les monuments historiques ». Rebaptisée « Journées du Patrimoine » en 1992, elles attirent désormais des millions de Français et d'Européens le 3e dimanche de septembre.

Le château de Pierrefonds (Oise) avant sa restauration par Eugène Viollet-le-Duc (carte postale de la collection d'Amaury de la Pinsonnais) Agrandissement : Façade sud du château de Chenonceau (Touraine) avant 1555 sans la galerie, dessin de Félix Roguet, XIXe siècle.
Le patrimoine, une notion récente

Ce succès populaire traduit une évolution récente de nos mentalités.

Il fut un temps où souverains et gens d'Église rasaient sans état d'âme les anciens édifices pour en ériger de nouveaux, plus à leur goût. Songeons que bien des cathédrales gothiques ont ainsi remplacé un édifice roman antérieur, ce dernier ayant lui-même pris la place d'un culte païen dont on avait voulu effacer la trace.

De fait, l'Ancien Régime et le Moyen Âge ne concevaient pas le patrimoine comme un bien à conserver mais comme un outil. Beaucoup de monuments devenus inutiles ont ainsi servi de carrières de pierre pour les nouvelles générations.

Il semble que l'une des premières personnes à s'en émouvoir fut le peintre Raphaël. En 1519, dans une lettre au pape Léon X, il supplie celui-ci de mettre fin au pillage des témoignages hérités de la Rome antique : « Je ne peux me rappeler sans grande tristesse que, depuis bientôt onze ans que je suis à Rome, une quantité de telles choses, tels la Meta, qui se trouvait via Alessandrina, l'arc Malaventurato, et tant de colonnes et de temples, ont été détruits, surtout par messire Bartolomeo della Rovere.
Il faut donc, Très Saint Père, qu'un des premiers soucis de Votre Sainteté soit de veiller à ce que le peu qui nous reste de cette antique mère de la gloire et de la grandeur italiennes - et qui témoigne de la valeur et de la vertu de ces esprits divins, dont encore aujourd'hui la mémoire exhorte les meilleurs d'entre nous à la vertu - ne soit pas arraché et mutilé par les pervers et les ignorants, car hélas on n'a cessé jusqu'à maintenant de faire injure à ces âmes dont le sang valut au monde tant de gloire. »

Le patrimoine, héritage commun de la Nation

Il faut attendre la Révolution française pour voir s'opérer un changement radical, avec la confiscation des biens de l'Église, puis de ceux des nobles émigrés. La Nation naissante se voit donc confier une nouvelle tâche, consistant à recenser et à préserver son patrimoine.

L'abbé Henri Grégoire, ami des hommes de toutes les couleurs (musée des Beaux-Arts de Besançon) C'est à cette époque que naît la notion de patrimoine et de monuments historiques, en même temps que celle de vandalisme (le mot, qui fait référence à des Barbares du Ve siècle, est inventé par l'abbé Grégoire en janvier 1794).

À la nouvelle tâche (de protection) va s'opposer une envie presque irrésistible des révolutionnaires : faire disparaître les traces de la monarchie et de l'Ancien Régime.

Face à cette volonté populaire de destruction, le nouveau pouvoir va tenter malgré tout de mener à bien sa nouvelle mission, en instituant, dès 1790, la Commission des Monuments.

Mais, suspectée de favoriser la survivance de l'Ancien Régime, elle ne tarde pas à être dissoute puis remplacée par la Commission des Arts. Celle-ci redouble d'efforts pour sauvegarder tout ce qui peut l'être.

Ainsi, neuf dépôts lapidaires sont créés pour répondre à cette action, dont celui des Petits Augustins, qu'Alexandre Lenoir transformera en musée des Monuments français.

Le début du XIXe siècle voit l'apaisement des querelles révolutionnaires, alors que le Concordat réaffecte les édifices religieux au culte, marquant un rapprochement entre l'Église et l'État, et par conséquent une plus grande protection des monuments cultuels.

Prosper Mérimée (28 septembre 1803, Paris - 23 septembre 1870, Cannes)Ce XIXe siècle reste aussi celui des sociétés savantes, qui se lancent, sans compter, dans des actions de recensement et de connaissance des monuments, notamment à la suite d'Arcisse de Caumont, fondateur de la Société Française d'Archéologie.

On redécouvre les chefs d'oeuvre de l'art médiéval et notamment celui de l'art gothique, popularisé par le roman Notre Dame de Paris de Victor Hugo.

Le jeune poète s'insurge contre le sort réservé aux monuments français. Dès 1825, il publie une Note sur la destruction des monuments en France dans laquelle il préconise une « surveillance active des monuments » et suggère la création d'une protection légale : « Il faut arrêter le marteau  qui mutile la face du pays. Une loi suffirait ; qu'on la fasse. Quels que soient les droits de la propriété, la destruction d'un édifice historique et monumental ne doit pas être permise à ces ignobles spéculateurs que leur intérêt aveugle sur leur honneur ». Il reprendra son plaidoyer en 1832 dans un article de la Revue des Deux Mondes : « Guerre aux démolisseurs ».

Dans le même temps, François Guizot, ministre de l'instruction Publique, place l'Inventaire et la Conservation des Monuments sous sa tutelle.

Eugène Viollet-le-DucIl crée le poste d'Inspecteur général des Monuments Historiques, occupé par Ludovic Vitet le 23 octobre 1830, puis, à partir du 27 mai 1834 et durant 26 années, par Prosper Mérimée.

Ce dernier sillonne le pays, alerte l'opinion publique, recense les monuments, en sauve certains d'une destruction annoncée. C'est lui également qui impose le jeune architecte Eugène Viollet-le-Duc pour la restauration de Vézelay.

Dès lors, celui-ci n'aura de cesse d'exposer son art, en restaurant de nombreux monuments mais également une ville entière (Carcassonne).

Tout au long du XIXème siècle, les polémiques se succèdent, les théories s'affrontent, mais la notion de patrimoine est devenue une réalité, à laquelle on accorde désormais une véritable politique, dont les fondements seront posés par la loi de 1913.

Le patrimoine aujourd'hui

La loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l'État ajoute les édifices religieux à l'ensemble des monuments que doit gérer le service créé par Guizot, puis les « objets historiques », les sites naturels, puis enfin les abords de ces monuments. La tâche est immense, et les destructions ou mutilations, dues aux guerres, alourdissent encore, un peu plus, cette mission.

Désirant redonner un nouveau souffle à la connaissance et à la sauvegarde de notre patrimoine après la seconde guerre mondiale, André Malraux, ministre des Affaires culturelles, lance l'Inventaire général des richesses artistiques de la France, en créant pour cela un service autonome.

Puis la création de la Direction des Antiquités répond aux destructions d'ensembles entiers, comme les quartiers antiques de Lyon, le forum de Poitiers.... Le processus semble néanmoins difficile à gérer, puisque cette période de prospérité économique voit les campagnes se vider, et les villes croître très (trop) rapidement.

Les villes se « bétonnent » tandis que la gestion des secteurs sauvegardés passe sous la tutelle du Ministère de l'équipement. Celui-ci est censé s'occuper de la croissance des cités avant de garantir la protection des monuments, deux missions apparemment si proches, et pourtant si contradictoires.

La précipitation, la méconnaissance, l'attrait de nouveaux centres attractifs... expliquent les « actes de vandalisme », liés à cette époque, mais aussi les erreurs, ou manquements que connaît alors cette mission, née 200 ans plus tôt.

Demain, quel avenir pour le patrimoine ?

Depuis le milieu des années 1980, le champ d'investigation de la direction du Patrimoine croît de manière exponentielle (protection du patrimoine contemporain, industriel, photographique....), alors que dans le même temps, les moyens dont elle dispose stagnent, ou croissent de manière bien inégale par rapport à celle des monuments à protéger.

De nouvelles pistes s'entrouvrent comme la réutilisation des monuments ou de leur exploitation à travers des scénographies et autres spectacles. La Fondation du Patrimoine, organisme privé indépendant, sur le modèle anglo-saxon, vient au secours des institutions publiques.

D'un autre côté, avec la décentralisation, les acteurs locaux sont invités à se « battre » pour sauver leurs monuments. Mais comme ils doivent aussi prendre en compte les attentes des entreprises et du secteur touristique, des dérives sont à craindre.

Est-on en voie de revenir au point de départ, où le monument ne sera jugé que par rapport à son utilité, l'esthétique et l'Histoire étant à nouveau délaissées ? Ou bien vivons-nous les prémices d'une nouvelle ère en la matière, où tous ensemble, au même moment, nous affirmerons vouloir faire vivre notre patrimoine ?

Éric Varin
Publié ou mis à jour le : 2023-09-15 15:10:00

Voir les 5 commentaires sur cet article

florence mothe (31-01-2024 13:02:35)

Je pense que vous n'avez pas une idée très exacte de la manière dont se passe, dans les faits, la préservation des monuments historiques privés, même ceux régulièrement ouverts au public. J'... Lire la suite

mcae.fr (19-09-2023 08:31:44)

Rappelons que les bombardements américains ont détruit 20 % des immeubles, 80 % des installations portuaires et rendu les voies de communication inutilisables. Des quartiers ont été rasés alors... Lire la suite

Philippe (18-09-2023 08:58:01)

Je ne trouve sur le site d'Hérodote aucun article sur l'oeuvre de Prosper Mérimée pour le recensement, le classement et la protection de notre patrimoine bâti. Cette lacune sera-t-elle comblée ... Lire la suite

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