Pour célébrer le 150e anniversaire de la première exposition impressionniste qui s’ouvrit le 15 avril 1874, le musée d’Orsay réunit de nombreuses œuvres qui y furent présentées.
Résultat des récentes recherches sur les débuts de l’impressionnisme, l’exposition « Paris 1874. Inventer l’impressionnisme », que vous pourrez admirer jusqu’au 14 juillet, revient sur cette date essentielle dans l’histoire de l’art. Et brosse un tableau nuancé de cet événement qui marqua les débuts de la peinture de la modernité, tout en montrant la diversité stylistique des artistes réunis en 1874.
Dans la première salle, le Boulevard des Capucines de Monet, La Classe de danse de Degas, la Danseuse et la Parisienne de Renoir se détachent sur un fond rouge. La scénographie du musée d’Orsay s’inspire de l’accrochage réalisé en 1874 dans les huit pièces de l’ancien atelier du photographe Nadar, au 35 boulevard des Capucines, près du nouvel Opéra.
Du 15 avril au 15 mai 1874, trente-et-un artistes (parmi lesquels sept seulement sont aujourd’hui universellement renommés : Paul Cézanne, Edgar Degas, Claude Monet, Berthe Morisot, Camille Pissarro, Auguste Renoir et Alfred Sisley) présentent au public plus de deux cents œuvres.
Ils viennent de créer en décembre 1873 la Société anonyme coopérative des artistes peintres, sculpteurs, graveurs, etc. », afin d’organiser librement des expositions dont les participants, moyennant le versement d’une cotisation, peuvent présenter et vendre les œuvres de leur choix.
Ils contestent ainsi le système académique et la domination du Salon, exposition annuelle où se joue la carrière des artistes. Les artistes supportent de plus en plus mal le pouvoir du redoutable jury du Salon qui décide souverainement si leurs œuvres sont ou non dignes de figurer dans cette grande manifestation artistique.
Une exposition d’une grande variété
C’est ce désir commun de s’affranchir des règles et des parcours académiques (et non l’adoption d’un nouveau style pictural) qui est donc à l’origine de la première exposition dite « impressionniste ».
Elle réunit en réalité des œuvres d’une grande variété de sujets, de techniques et de styles. Les artistes aujourd’hui qualifiés d’impressionnistes pour leurs paysages et leurs scènes de la vie moderne, rapidement exécutés, grâce à une touche enlevée, sont très minoritaires. Impression, soleil levant de Monet, La Loge de Renoir, La Route de Saint-Germain à Marly de Sisley, Les Châtaigniers à Osny de Pissarro, côtoient des toiles au style plus académique.
Les paysages de Pierre Bureau, les scènes de chasse d’Auguste de Molins, les marines de Louis Latouche voisinent avec les scènes de genre de Adolphe Félix Cals et de Louis Debras, les natures mortes d’Antoine-Ferdinand Attendu ainsi que les vues d’intérieurs de synagogue d’Édouard Brandon.
La peinture est loin d’être le seul art représenté : le dessin, l’aquarelle, le pastel, l’eau-forte, la lithographie, mais aussi la sculpture (en plâtre, en terre cuite, ou en marbre) et jusqu’à l’émail figurent en bonne place.
Félix Bracquemond présente trente-deux estampes parmi lesquelles La Locomotive, d’après J. M. Turner. Léon-Auguste Ottin montre des sculptures de facture très académique, comme son buste d’Ingres et sa Jeune fille tenant un vase. L’émailleur Alfred Meyer expose un Portrait d’homme inspiré par la peinture de la Renaissance. Les noms de certains de ces artistes ont presque totalement sombré dans l’oubli malgré leur participation à cette exposition historique.
La diversité des œuvres, considérée comme l’une des principales caractéristiques de la première exposition impressionniste, a pour conséquence un accrochage qui soulève les critiques (comme c’est d’ailleurs également le cas au Salon). Les juxtapositions de certains tableaux provoquent des confrontations de styles qui peuvent les desservir.
Ainsi, le délicat Berceau de Berthe Morisot, seule femme à participer à cette exposition, est étonnamment placé à côté du tableau provocateur La Nouvelle Olympia de Cézanne qui cherche volontairement à faire scandale.
Cette présentation suscite l’indignation de Joseph Guichard, ancien professeur de Berthe Morisot, qui écrit à la mère de l’artiste : un serrement de cœur m’a pris en voyant les œuvres de votre fille dans ce milieu délétère [...] Comment exposer une délicatesse artistique aussi exquise que la sienne à coudoyer presque Le Rêve du célibataire [Une moderne Olympia] ? Les deux toiles se touchent. »
Le Salon de 1874
En parallèle, le Salon ouvre ses portes le 1er mai 1874 au Palais de l’Industrie et des Beaux-Arts sur l’avenue des Champs-Élysées. La plus importante exposition artistique française accueille 3657 œuvres dans un accrochage très dense, « à touche-touche ».
Les immenses tableaux à sujet historique, religieux ou mythologique, surnommés les « grandes machines », sont entourés de nombreux portraits, paysages et scènes de genre. Gérôme y triomphe avec son Éminence grise et remporte la récompense la plus prestigieuse : la médaille d’honneur en peinture. Mais ce choix est si contesté que l’artiste pense refuser cette distinction.
Dans les salles de peinture, Jean-Jacques Henner expose La femme au parapluie, Jean Jules Antoine Lecomte du Nouÿ Eros, Cupido, Jules Bastien-Lepage, Portrait du grand-père de l’artiste, Henri Fantin-Latour, Fleurs et objets divers, Adélaïde Salles-Wagner, La Leçon de lecture, Jules Breton La Falaise qui est très admirée, etc…
Parmi les sculpteurs, Jean-Baptiste Carpeaux présente un portrait de M. Alexandre Dumas fils, Émile Auguste Carolus-Duran Le Pisan, Antonin Mercié Gloria Victis qui témoigne des blessures encore fraîches de la guerre de 1870.
Le Salon lui-même devient même un sujet pictural. Il inspire à Camille Cabaillot-Lassalle une toile intitulée Le Salon de 1874 dans laquelle les sept reproductions de tableaux ont été peintes par leurs créateurs. Corot y reprend ainsi son paysage dans un format miniature.
Exposer au Salon ou non ?
Si la grande majorité des tableaux présentés au salon de 1874 sont d’une facture académique, d’autres adoptent un style et des sujets résolument modernes.
Une trentaine de toiles font écho aux évolutions les plus récentes et à l’avènement d’un mode de vie urbain, représentent les nouvelles rues du Paris haussmannien, les lieux de spectacle, les gares…
Antoine Guillemet expose ainsi une grande vue de Bercy en décembre à la facture très libre. Et même Manet, pourtant très proche des organisateurs de l’exposition chez Nadar (pour laquelle il prête d’ailleurs une œuvre de Berthe Morisot provenant de sa propre collection), continue à exposer au Salon qui constitue selon lui le seul véritable champ de bataille pouvant mener au succès. Son Chemin de fer y attire en effet l’attention… et beaucoup de railleries.
D’autres artistes adoptent une position plus mitigée. Douze artistes, comme Giuseppe De Nittis, Stanislas Lépine ou Zacharie Astruc, préfèrent augmenter leurs chances de se faire connaître (et de vendre) en présentant leurs œuvres à la fois au Salon et à l’exposition de la Société anonyme.
Sans compter que certains tableaux présentés dans l’ancien atelier de Nadar ont déjà figurés au Salon au cours des années précédentes : la Route en Italie de Giuseppe De Nittis avait été montrée au Salon de 1872, le pastel de Berthe Morisot, Portrait de Madame Edma Pontillon, née Edma Morisot, sœur de l’artiste, figurait au Salon de 1871.
La distinction traditionnelle entre un Salon aux œuvres académiques et une exposition entièrement impressionniste au boulevard des Capucines demande donc à être nuancée.
Le bilan de la première exposition « impressionniste »
L’exposition a attiré environ 3500 visiteurs en un mois et fait l’objet d’une soixantaine d’articles ou de mentions dans la presse. Seules 4 œuvres (sur 200) ont trouvé acquéreur.
À titre de comparaison, le Salon de 1874 a accueilli près de 300 000 visiteurs, et a donné lieu à 168 acquisitions d’œuvres par l’Etat. Malgré le prix du billet d’entrée et la vente du catalogue, la Société anonyme coopérative des artistes peintres, sculpteurs, graveurs, etc. » est déficitaire et doit être dissoute.
Si le résultat financier est décevant, l’exposition fait date dans l’histoire de l’art car elle donne lieu à la création des termes « impressionniste » et « impressionnisme ». Ils sont employés pour la première fois par Louis Leroy dans un article satirique publié le 25 avril dans Le Charivari : « L’exposition des impressionnistes », dont le titre fait directement référence à Impression, soleil levant de Monet.
Quatre jours après, le critique Jules Castagnary utilise ce nouveau vocabulaire dans Le Siècle, mais cette fois de manière positive : « Ils sont impressionnistes en ce sens qu'ils rendent non le paysage, mais Ia sensation produite par le paysage. »
La nouveauté de l’impressionnisme consiste en effet à transcrire une atmosphère, un effet fugitif de la lumière, une sensation subjective, et non à reproduire objectivement un paysage. Malgré la liberté de la touche qui suggère une exécution rapide, les tableaux sont réalisés en atelier, souvent après plusieurs études en plein air, « sur le motif ». Ce sont des œuvres qui sont soigneusement travaillées, afin de donner… l’impression d’une impression.
Vers l’ « exposition des impressionnistes »
Au fur et à mesure des expositions, les tableaux des expositions impressionnistes gagnent en cohérence stylistique ce qui donne naissance à un véritable mouvement artistique.
Après une deuxième exposition en 1876, la troisième manifestation qui s’ouvre le 4 avril 1877 au 6 rue Le Peletier s’intitule « exposition des impressionnistes ». Organisée grâce à la détermination et au financement de Gustave Caillebotte, elle réunit 245 œuvres de 18 artistes.
Par son exceptionnelle qualité et la primauté accordée à la célébration de la vie moderne, cette présentation est considérée comme la plus impressionniste de toutes les expositions (cinq autres suivront pourtant jusqu’en 1886).
Avec des chefs-d’œuvre comme le Bal du moulin de la Galette, La Balançoire, et La Seine à Champrosay de Renoir, Les Toits rouges, coin de village, effet d’hiver de Pissarro, les Peintres en bâtiment de Caillebotte, ou encore Les Dindons et La Gare Saint-Lazare de Monet, elle marque l’apogée d’une effervescence créatrice qui constitue l’une des plus grandes révolutions picturales de l’histoire de l’art.
Expressions artistiques
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Louchard (21-04-2024 15:38:48)
Bravo, j'ai bien apprécié et compris la naissance de l'impressionnisme, moi qui suis "ancienne mode". Merci