« Divina ! Divina ! » Ce surnom, Maria Callas l'a bien mérité, elle qui a consacré chaque instant de sa vie à l'art lyrique au risque de s'y brûler les ailes. Grâce à sa voix hors du commun, à ses six cents représentations et à son désir toujours inassouvi de progresser encore et encore, elle a fait aimer l'opéra au-delà des publics traditionnels.
Découvrons comment la petite fille d'émigrés grecs est entrée dans la légende des divas pour devenir à jamais LA Callas.
La fille du Queens
Quitter la Grèce : c'est l'idée fixe qui pousse un beau matin de 1923 Georges Kaloyeropoulos à embarquer avec sa petite famille sur un paquebot, direction la statue de la Liberté. Pharmacien à Meligalas, au cœur du Péloponnèse, il aurait pu se contenter d'une vie tranquille, mais la mort prématurée de son fils, la mésentente de son couple et l'appel d'amis émigrés en avaient décidé autrement. Il part donc avec sa femme Litsa, enceinte de cinq mois, et leur fille Yakinthi.
C'est donc sur les trottoirs du quartier du Queens de New York, dans la « Nouvelle Athènes », que la future diva allait faire ses premiers pas.
Née le 2 décembre 1923, quelques mois seulement après l'arrivée en terre promise américaine, elle fut enregistrée à l'état-civil sous le nom de Kalos, plus facile à retranscrire, tandis que ses parrains ajoutaient Maria et Anna à son prénom Sophia.
Quelques années plus tard elle faisait déjà les gros titres des journaux puisqu'à l'âge de cinq ans, elle fut renversée par une voiture et s'en sortit de façon miraculeuse, devenant pour la presse « Mary, la veinarde ! ».
À la maison, l'ambiance, rendue lourde par les difficultés conjugales et la crise de 1929 qui fragilisa la nouvelle pharmacie de Georges, n'était allégée que par les disques de grande musique qui tournaient sans arrêt dans l'appartement.
Litsa poussait en effet ses filles à la découverte de cet art et réussit même à se procurer un piano et à engager un professeur pour leur en apprendre les bases.
C'est Maria qui finit par se faire remarquer à l'école par son talent de chanteuse et sa capacité à mémoriser les airs, une aptitude que sa mère l’engagea à travailler au maximum. La petite fille retint vite la leçon : « On m'a toujours enfoncé dans le crâne que j'avais ce talent, et que j'avais intérêt à ne pas le perdre ! » (Maria Callas, interview de 1961).
De la grâce ? Non, du caractère !
En 1937, c'est le coup de tonnerre : Litsa, lassée des infidélités et de la passivité de son mari, décide de rentrer en Grèce pour offrir à Maria la carrière qu'elle pressent.
Les voici donc qui se réinstallent à Athènes chez la grand-mère maternelle, avant de partir immédiatement faire le tour des conservatoires de musique. Tant pis pour les études de Maria !
Heureusement elle parvient assez vite à se faire accepter comme élève auprès de Maria Trivella, du Conservatoire national d'Athènes, même si pour cela elle doit se vieillir de 3 ans. Mais, solidement bâtie, l'adolescente peut facilement se faire passer pour une jeune fille de seize ans.
Forte de sa conviction de devenir un jour célèbre, elle travaille sans relâche son chant, son élocution et son jeu de scène, qui reste le point faible de celle qu'on décrit comme maladroite, voire empotée et même, comme l'affirmera un de ses camarades, « si laide qu'on n'avait pas un regard pour elle ».
On s'étonne : comment peut-elle penser un jour devenir une diva alors qu'elle n'est pas gracieuse et parle avec un curieux accent helléno-américain ? Sans compter que, très myope, elle ne peut même pas suivre les mouvements du chef d'orchestre et hésite à chaque déplacement sur scène ! Mais Maria s'obstine.
En conflit permanent avec sa mère qui peine à éviter la misère, elle se lance à corps perdu dans la musique, sa seule planche de salut. Très vite, les premières représentations se transforment en succès et elle peut sans honte aller demander à la grande cantatrice espagnole Elvira de Hidalgo de lui enseigner son art.
La soprano invite sa jeune élève à s'adonner au bel canto pour développer prouesses techniques et contrôle de la respiration qui vont lui permettre de travailler l'impressionnante étendue de sa voix, du grave à l'aigu. « Capable d'apprendre un opéra entier en une semaine », selon son professeur, Maria se montre obsédée par la perfection qu'elle souhaite à tout prix atteindre.
La reconnaissance vient dès 1940 avec son entrée à l'Opéra national, d'où elle assiste à l'avancée inexorable de la guerre.
Maria Trivella, chargée de cours au Conservatoire national d'Athènes, se souvient de sa première rencontre avec la toute jeune Callas :
« Ce fut pendant l'année 1937 que je reçus la visite de madame Kaloyeropoulos et de ses deux filles : Maria, toute ronde, cachée derrière de grosses lunettes de myope, et Yakinthi, douce et mince... « Je suis venue vous confier ma fille Marianna, m'a-t-elle dit, pour que vous lui enseigniez la musique et l'opéra. Marianna ne vous donnera guère de mal : elle est obéissante, tenace et travailleuse. [...] ». J'avais le sentiment que cette gamine en socquettes, au regard glacial derrière ses lunettes, devait avoir un immense talent. Madame Kaloyeropoulos s'est assise, sa fille aînée, Yakinthi, debout près d'elle. J'ai commencé à jouer un air connu au piano et Maria Kaloyeropoulos s'est mise à chanter. Mon pressentiment s'est aussitôt vérifié. Sa voix chaude, vibrante, encore qu'un peu brute et totalement inexercée, témoignait de la passion qui dévorait son cœur. Le timbre de cette voix était chaud, lyrique, intense ; elle montait en volutes et s'enflait, emplissant l'air de réverbérations mélodieuses comme un carillon. Je me trouvais là face à un phénomène étonnant ou plus exactement face à un grand talent qui avait besoin d'être canalisé […]. Deux ou trois fois au cours de l'audition, elle arracha ses lunettes d'un geste nerveux et les essuya avec un mouchoir ; je n'aurais pas su dire si elle essuyait la sueur que la tension nerveuse faisait perler sur son front ou les larmes jaillissant de son cœur juvénile » (Interview de Maria Trivella, mars 1957).
La guerre en chansons
Le 27 avril 1941, les Allemands sont à Athènes. Commencent pour Maria trois ans et demi d'occupation marqués par les restrictions et le travail de plus en plus acharné qui l'amène à entraîner parfois jusqu'à dix heures par jour cette voix si puissante que, dit-on, un de ses canaris familiers s'effondra un matin dans sa cage !
Habitués à ce chant, ses voisins ne s'étonnèrent jamais de l'entendre à l'heure des nouvelles de la BBC qu'écoutaient les deux pilotes anglais réfugiés chez sa mère. Mais les temps sont difficiles et la jeune fille doit accepter de chanter pour l'occupant. Sa famille peut ainsi joindre les deux bouts dans une ville où vont périr de malnutrition près de cinquante mille personnes en deux ans.
Le spectacle doit continuer ! Le 27 août 1942, encore peu sensible à ce trac qui ne fera qu'augmenter tout au long de sa carrière, Maria se lance sur la scène d'un théâtre de plein air pour rendre vivant le désespoir de la Floria de Tosca (Giacomo Puccini).
C'est un succès, vite confirmé par sa participation quelques mois plus tard à Tiefland d'Eugen d'Albert et Fidelio de Beethoven. La voilà déjà célèbre !
Mais à la Libération, on lui reproche de s'être abaissée à partager son art avec l'ennemi. L'ambiance professionnelle est de plus en plus insupportable. Il est temps pour elle de quitter la Grèce qui n'a plus grand-chose à lui offrir...
En septembre 1945, à vingt-deux ans, Maria fuit tout à la fois ses rivaux et sa mère, par trop embarrassants.
Elle met fin sans regret à ce qu'elle appellera sa « première carrière » et s'embarque pour son pays de naissance avec cent dollars en poche, quelques partitions de musique dans une valise, le nom de « Maria Callas » sur son passeport et plein d'espoir dans la tête.
Au cœur des arènes
« Enfin, me voici de retour dans ma chère Amérique » ! Elle retrouve son père qu'elle n'avait cessé de rechercher dans ses premiers amants. Mais celui-ci ne s'intéresse guère à sa carrière, et le fossé se creuse vite entre eux. La situation est d'autant plus délicate qu'elle a du mal à accepter d'être considérée à nouveau comme une débutante par les impresarios.
Lui propose-t-on d’interpréter un rôle dans Fidelio à Philadelphie ? Elle refuse, se trouvant trop grosse pour remettre le costume masculin de Léonore. Griller ses chances de devenir diva en se ridiculisant ? Pas question ! Elle préfère attendre.
Mais après quelques mois, elle se demande si elle ne doit pas envisager une carrière de vendeuse, quand enfin arrive l'offre tant attendue : à vingt-trois ans, la voilà diva dans La Gioconda à Vérone.
La ville des amoureux sera pour Maria celle de la consécration et de la rencontre avec son futur mari, Giovanni Battista Meneghini, de presque trente ans son aîné.
Entrepreneur dans le secteur de la brique, il se passionne pour l'opéra et subventionne généreusement le festival où s'illustre Maria.
Mais décidément très myope, elle trébuche sur la scène et se blesse à la cheville, douleur qui lui permet peut-être d'ajouter encore un cran à la gamme des émotions qu'elle offre au public.
Malgré cet incident, elle peut désormais prétendre aux plus belles scènes du monde, à commencer par la Fenice de Venise, où elle interprète Turandot en 1947. Elle ambitionne maintenant la Scala de Milan et le Metropolitan de New York !
Dans un premier temps, vingt-quatre heures après son mariage avec Meneghini, elle part pour Buenos Aires et une tournée sud-américaine. Seule. Mais son mari ne l'abandonne pas pour autant : en bon mentor, il finit par lui décrocher le rôle tant rêvé d'Aïda à la Scala (1950). C'est une catastrophe !
Trop grosse, couverte de plaques rouges qu'elle cache derrière des voiles qui ne font qu'augmenter sa mauvaise vue, elle est huée dès la première soirée. Elle part se refaire une réputation au Mexique et remonte la pente sans trop de peine. On la veut, on l'attend, on l'appelle de partout.
LA Callas
Devenue une star en Italie, Maria fréquente le beau monde, à commencer par le cinéaste Luchino Visconti qui a mis en scène pour elle une Traviata à la Scala (1955-1956). Devenu, à défaut d'être son amant, son ami et confident, c'est vers lui qu'elle se tourne pour évoquer ses doutes concernant son apparence. Elle vient en effet de découvrir la silhouette longiligne d'une jeune vedette, Audrey Hepburn, et voudrait avoir le même reflet dans la glace...
Deux ans et un régime draconien plus tard, c'est chose faite : la nouvelle Maria est née, avec trente-cinq kilos de moins, cinq centimètres de talons aiguilles en plus et une nouvelle garde-robe dessinée par les plus grands couturiers.
Mais rien n'arrête plus la diva qui multiplie les contrats et les rencontres : les chefs d'orchestre Herbert von Karajan (Lucia di Lammermoor, Gaetano Donizetti, 1952), Leonard Bernstein (La Somnambule, Vincenzo Bellini, 1955) ou encore Georges Prêtre (Carmen, Georges Bizet, 1962) n'hésitent plus à mettre leur baguette à son service.
Grâce à Visconti, elle a aussi pris de l'assurance sur scène et, avec une voix à son apogée, elle s'épanouit dans son métier. Dans sa vie privée, elle ne peut en dire autant : au firmament de sa carrière, elle n'éprouve plus guère d'admiration pour son mari et ancien mentor, et n'a plus guère besoin de lui.
N'est-elle pas désormais la diva des divas, celle que la Scala retient sur scène par ses applaudissements pendant vingt-quatre longues minutes, à la fin d'Anne Boleyn (Gaetano Donizetti, 1957) ? Celle qui se présente aux réceptions couverte de fourrures et de diamants ?
Pour le monde entier, la petite Sophia Kalos est entrée dans la légende sous le nom de scène de La Callas. Elle n'en sortira plus.
Le chant du cygne
En juillet 1959, la vie de Maria s'apprête à basculer dans les colonnes des journaux à potins : elle vient de rencontrer, à Venise, l'armateur grec Aristote Onassis. Né en 1906 à Smyrne (empire ottoman), survivant des massacres de 1922, il est opiniâtre, séducteur et richissime.
Il n'a pas de goût pour l'opéra, mais l'amour ne s'embarrasse guère de détails et le couple se forme quelques semaines après la première rencontre. En septembre est annoncée officiellement la fin du couple Meneghini tandis qu'Athina, épouse Onassis, demande de son côté le divorce.
Malgré une séparation compliquée, Maria respire le bonheur et multiplie les concerts avec plaisir. Pourtant, les alertes concernant sa santé se multiplient, sa voix présente des défaillances, elle rate des notes.
Accusant les sinus, elle annule des représentations et laisse les journaux annoncer la fin de sa carrière. Mais c’est pour mieux ressusciter sur le vieux théâtre d'Épidaure avec la représentation, désormais légendaire, de Norma (1960). « Elle chantait de tout son être, jusqu'à ses sandales » dira d'elle sa sœur Yakinthi pour expliquer ce triomphe devant un public ému aux larmes.
Maria vit désormais entre Monaco et Paris, où Onassis lui a offert un appartement qu'ils ne partagent pas. Elle poursuit ses activités mondaines et est même invitée en 1962 à chanter à l'anniversaire du président John F. Kennedy, quelques minutes avant qu'une blonde platine prénommée Marilyn ne lui vole la vedette.
Pour la consoler d'une saison à la Scala en demi-teinte, Onassis lui propose une croisière en compagnie du gratin : Winston Churchill, la danseuse Margot Fonteyn et Lee Bouvier, sœur de Jacqueline Kennedy, deux femmes qui deviendront les maîtresses de l'armateur.
Mais la diva n'en a que faire. Elle veut épouser Onassis et, pourquoi pas, avoir un enfant. En vain : lui ne veut ni l'un ni l'autre et l'incite même, dit-on, à avorter.
Encore amaigrie, elle se lance en 1965 sur la scène de l'Opéra de Paris pour interpréter Norma, mais elle ne peut aller au bout et perd connaissance au milieu du second acte. Le plaisir de chanter n'est plus. Elle s'essaye au cinéma dans Médée de Pasolini (1965) et donne des cours de chant à la Julliard School de New York (1971).
En 1968, Onassis épouse Jackie Kennedy pour une union qui sera brève puisqu'il meurt sept ans plus tard. Maria reste seule, à peine entourée de quelques fidèles comme Rudolf Noureev qui tente de la rassurer.
Mais quel avenir, à cinquante-trois ans, maintenant que même sa voix l'a abandonnée ? Le 16 septembre 1977, quelques semaines après avoir donné voix à une œuvre inédite pour elle : le Requiem de Verdi, elle s'éteint dans son appartement de Paris, victime vraisemblablement d'une embolie pulmonaire.
Il fallait pour la diva une sortie théâtrale : c'est donc au-dessus de la mer Egée, qu'elle aimait tant, que seront dispersées ses cendres.
Maria Callas était une soprano (de sopra : au-dessus), c'est-à-dire qu'elle avait une voix aiguë qui pouvait monter très haut, avec la particularité d'être aussi à l'aise dans les graves. Elle possédait également dès son plus jeune âge une puissance exceptionnelle et un timbre très particulier, un peu rauque, qui nous permet encore de reconnaître ses prestations entre toutes.
Pour la diva, ce phénomène n'avait qu'une explication : « Il n’y a pas de miracle : un grand travail et des années de sacrifice ». On comprend mieux son désarroi lorsque sa voix commença à montrer des marques de faiblesse pour des raisons qu'elle analysa elle-même : « Je n'ai jamais perdu ma voix, mais la force de mon diaphragme. À cause de cette affection physiologique, j'ai perdu mon courage et mon audace. Mes cordes vocales étaient et sont toujours en excellent état, mais mes caisses de résonance ne fonctionnent plus très bien, bien que j'aie consulté toutes sortes de médecins. Le résultat, c'est que j'ai surmené ma voix, ce qui a provoqué son vibrato » (interview à Gente, 1977).
Sa spectaculaire perte de poids a-t-elle eu un rôle dans ce déclin ? En tous cas, il est sûr qu'il lui permit de développer son second atout, son talent de comédienne. Jouant avec sa silhouette élancée, avec son profil d'aigle et ses longues mains trop maigres, elle parvient à exercer une fascination sur le public par sa seule présence. Elle habite chaque rôle avec la même intensité, faisant vivre dans ses yeux rendus immenses par le maquillage tous les tourments de Médée ou Norma. Plus qu'une chanteuse d'opéra, Maria Callas est parvenue à devenir une véritable tragédienne lyrique. Ne lui restait plus qu'à fréquenter la jet set et connaître des amours difficiles pour devenir un mythe si puissant qu'il est toujours bien vivant aujourd'hui.
L'opéra, un genre à part
Mais qui a bien pu avoir, un jour, l'idée de ne plus simplement déclamer ou chanter sur scène, mais de mêler l'art du théâtre et celui du chant ? Certes, il était habituel de faire intervenir au milieu des représentations des artistes, chanteurs et danseurs, pour animer quelque peu les spectacles, que ce soit les mystères religieux ou les madrigaux où se confrontaient des groupes vocaux.
C'est d'Italie, pays alors considéré comme la Mère des Arts, que va venir la révolution. En cette année 1600, à Florence, les Médicis unissent leur fille Marie à Henri IV et souhaitent montrer à cette occasion la toute-puissance de leur famille à l'Europe entière.
À souverains d'exception, fête prodigieuse ! La réception est en effet rendue inoubliable par le spectacle Euridice, créé par Jacopo Peri au cœur du Palazzo Pitti.
Membre du groupe de la Camerata, il souhaite avec ses acolytes gentilshommes mettre fin à la mode de la polyphonie qui rend les textes inaudibles et revenir à la pureté des tragédies antiques, supposées chantées.
Au fameux dilemme « la parole ou la musique d'abord ? », Peri répond sans hésitation : la parole ! Il faut mettre non seulement les instruments au service du texte, mais aussi tout ce qui fait le spectacle : décors, costumes, scénographie... Fruit de plusieurs disciplines, l'opéra (pluriel du latin opus, œuvre) est multiple dès son origine.
Rapidement, le nouvel art sort du cercle de l'aristocratie italienne et gagne toute l'Europe grâce à la construction de salles de plus en plus somptueuses, à la suite du San Cassiano de Venise en 1637.
Après Monteverdi qui, dit-on, aurait assisté au premier Eurydice, les nouvelles générations de compositeurs insistent sur l'expression des sentiments et offrent aux interprètes des morceaux de bravoure pour mettre en avant leur virtuosité.
C'est en Italie l'époque des castrats et du bel canto tandis que la France préfère se tourner vers une forme originale de « tragédie en musique », la comédie-ballet du duo Molière-Lully. Le modèle italien va finalement triompher sous sa forme noble (opera seria) ou comique (opera buffa) que n'hésitera pas à adopter le génial Mozart.
La mélodie envoûtante de l'« Air de la Reine de la nuit », extrait de La Flûte enchantée de Mozart, magistralement interprétée par Maria Callas...
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Comme on pouvait le pressentir avec l'impressionnant « Air de la Reine de la nuit » (La Flûte enchantée, 1791), l'évolution de l'opéra va vers une mise en valeur de la puissance des voix, souvent dans les langues nationales : italien bien sûr pour Verdi, allemand pour Wagner, russe pour Moussorgski et même français pour Bizet.
Lorsque Maria Callas se fait connaître dans les années cinquante, l'opéra est un genre resté élitiste sous sa forme première de spectacle mais qui commence aussi à se faire apprécier des classes populaires grâce à la diffusion de ses plus grands airs sur les ondes et les platines de disques. Petite fille du Queens, la Callas incarnera à la perfection la capacité de cet art de pouvoir s'adresser à tous.
Être diva...
Les premières divas (« déesses ») étaient... des divos ! Jusqu'à la fin du XVIIIe siècle on ne jure en effet que par les castrats, ces jeunes hommes émasculés avant la puberté dont les voix cristallines font la joie des cours d'Europe, privées d'interprètes féminines par décision papale. Mais les années de ces chanteurs d'exception sont comptées : désormais acceptées sur scène, les femmes les concurrencent et même les surpassent vite dans le registre suraigu qui plaît au public comme aux compositeurs.
De plus en plus considérés comme des « monstres », les castrats laissent peu à peu leur place aux cantatrices. Elles ne vont pas se contenter de donner de la voix mais vont aussi se faire tragédiennes, à l'exemple de Caroline Branchu célébrée dans la Chambre impériale de Napoléon Ier et dans le monde entier comme une souveraine.
Comédiennes, beaucoup le seront aussi dans leur vie privée en se faisant remarquer par leurs fameux caprices. C'est ainsi que la Colbran, égérie et épouse de Rossini, se faisait un point d'honneur à mener grand équipage et à collectionner les bijoux. Mais dans cette époque romantique qui aime se voir souffrir, on pardonne tout à ces prima donna qui sont brûlées par la passion sur scène comme dans la vie.
Henriette Sontag, morte du choléra lors d'une tournée au Mexique (1854), Maria Malibran, victime d'une chute de cheval à 28 ans (1836), Cornélie Falcon dont la voix s'éteint alors qu'elle n'a que 23 ans... Les grandes chanteuses romantiques semblent décidément maudites !
L'époque suivante, celle de Verdi et Wagner, est moins glorieuse pour les divas qui sont rabaissées au rang de faire-valoir des compositeurs, voire incitées à devenir courtisanes pour briller sous le Second Empire.
Dans une société où la morale fait un retour en force, on ne s'amuse plus : « Le mot diva s'applique à des cabotines de bas étage qui transforment en trottoir la scène du théâtre » (Dictionnaire Larousse, 1870).
Si Adelina Patti parvient à se faire respecter en chantant jusqu'à 71 ans, on se souvient aujourd'hui de l'Australienne Dame Nellie Melba davantage pour le dessert à la pêche qui porte son nom que pour sa carrière, pourtant exceptionnelle.
Entre l'indomptable Carmen de Bizet et les terrifiantes walkyries de Wagner, la fin du XIXe siècle fait la part belle aux fortes personnalités, voire aux fortes carrures à l'image de la soprano Felia Litvinne qui lance la mode des silhouettes quelque peu arrondies.
Bousculées par les Années folles et l'arrivée de nouveaux types de spectacles, nos chanteuses se tournent vers les industries du cinéma et surtout du disque qui leur permet d'entrer dans les foyers.
Fuyant les régimes totalitaires, le monde de l'opéra se déplace vers le Metropolian de New York où se fait connaître une fille de boulanger, Rosa Ponselle qui, aux côtés du ténor Caruso, subjugue les foules.
La chute du nazisme et le retour de la paix, enfin, sont marqués par la Callas qui inspirera nombre de ses consœurs de la fin du siècle, pour certaines rendues populaires par le petit écran : l'Espagnole Montserrat Caballé, les Américaines Jessye Norman, Barbara Hendricks ou encore Julia Migenes. Dans cette internationalisation de la profession, la France peut s'enorgueillir d'une belle vitalité dans l'art lyrique avec la réussite de Natalie Dessay.
« Ah ! Je ris... »
« Un chanteur d'opéra, c'est un type qui reçoit un couteau dans le dos et qui, au lieu de saigner, se met à chanter » (Henri Jeanson). Les préjugés ont la vie dure ! Qualifié de spectacle élitiste, hors de prix, abscons voire inutilement bruyant, l'opéra n'a pas bonne réputation.
Regardez-moi ces êtres étranges, déguisés de brocard hors de prix et maquillés outrageusement, qui restent figés au milieu de fausses ruines en hurlant pendant des heures des phrases auxquelles on ne comprend fichtre rien ! Sans compter qu'ils sont tous énooormes...
Mettons fin aux idées reçues : vous ne deviendrez pas chanteur d'opéra parce que vous êtes en surpoids, il n'y a pas de lien entre talent et fourchette. Certes, il faut du coffre, mais il peut très bien se nicher dans l'anatomie anorexique d'une Callas.
Véritables athlètes, les chanteurs s'astreignent à un entraînement très exigeant qui malheureusement ne les mène pas tous à la Scala de Milan.
Les places de monstre sacré étant rares, la compétition est féroce et les personnalités exacerbées : pas de cantatrice sans excentricités, scandales et manteaux de fourrure !
Parmi toutes ces étoiles, il en est une qui reste inoubliable à jamais dans nos mémoires : j'ai nommé le Rossignol milanais, plus connu sous le nom de la Castafiore !
À force de rire de se voir si belle en ce miroir, elle a fait connaître à des générations d'enfants « L'Air des bijoux » de Charles Gounod. Quel talent !
La Callas se fit un soir remarquer en abandonnant la scène au milieu d'une représentation à l'Opéra de Rome ! Voici sa version de l'incident :
« […] j'ai de la fièvre, je souffre d'une laryngite et je suis aphone : joli brelan de maux ! Comme il arrive qu'un enrouement s'envole en chantant, j'essaie : nous verrons bien... […]. Après le premier acte, je décide d'arrêter les frais : je veux bien me battre avec la foule, à condition d'avoir tous mes moyens. Je demande qu'on présente mes excuses au public et, particulièrement, au président [de la République italienne] Gronchi. Dans l'annonce du régisseur, il n'est pas question d'excuses, on se borne à signaler que le spectacle est terminé. Et allez donc ! C'est l'émeute ! »
Forcément, pour le public, voilà un beau caprice ! Et l'artiste aura beau jeu de se défendre : « Contrairement à ce que tout le monde dit, je ne fais pas de caprices : j'éprouve des désirs subits, dont personne au monde ne peut me détourner. Que voulez-vous, je suis très vieux jeu ! » [interview au Figaro littéraire, 1965].
Bibliographie
Anne Edwards, Maria Callas intime, éd. L'Archipel, 2002,
Nicolas Petsalis-Diomidis, La Callas inconnue, éd. Plon,
André Segond, Divine Divas, éd. Gallimard (Découvertes »), 1993.
Exposition « Maria by Callas » jusqu'au 14 décembre 2017 à La Seine Musicale (Boulogne-Billancourt).
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Voir les 4 commentaires sur cet article
Pierre (29-01-2018 12:19:18)
Une compilation intéressante d'un point de vue historique ; mais l'extrait de La Flûte enchantée (fameux air de la Reine de la Nuit) n'est absolument pas interprété par Maria Callas. Il est vrai ... Lire la suite
pierre (11-12-2017 10:40:29)
Pourquoi, parmi les cantatrices françaises, avoir oublié Mado Robin ou Mady Mesplé ? La première, malgré son apparence, a laissé une empreinte indélébile...
thorepenn (22-11-2017 19:32:40)
Tout a été dit depuis des années,il n'y a qu'à se taire, écouter,fermer les yeux et rèver!!!!!!