30 juillet 2023 : trois heures, il n’en fallait pas moins pour mettre en images le livre flamboyant de Martin J. Sherwin et Kai Bird dédié à Oppenheimer, le « père de la bombe atomique ». Le cinéaste Christopher Nolan nous avait déçu avec son précédent film, Dunkerque (2017). Ici, il se hisse à la hauteur de Stanley Kubrick et de son 2001, Odyssée de l’espace.
Le film combine la réalité à des images oniriques de la Bombe et de l’Univers. Il déroute aussi le spectateur par des sauts temporels et l’alternance de la couleur et du noir et blanc.
Tout en relatant avec brio la vie agitée d'Oppenheimer et le déroulement du « projet Manhattan » destiné à produire la bombe atomique, le film comme le livre mettent l'accent sur l'injuste mise en accusation du savant et sa descente aux enfers, alors qu'il était devenu après la Seconde Guerre mondiale l'un des hommes les plus populaires du monde.
Le noir et blanc concerne une séquence qui se déroule en 1959 au Congrès américain. C’est par là que débute le film. Elle voit un triste personnage, Lewis Strauss, solliciter des sénateurs la validation de sa nomination comme Secrétaire au Commerce dans le gouvernement du président Eisenhower.
L’homme, né en 1896, se flatte d’être un autodidacte très vite devenu immensément riche par des moyens équivoques. Il s’est acquis l’honorabilité en multipliant les dons à des organisations juives puis en finançant la campagne présidentielle du général Dwight David Eisenhower. Il attend d’en être récompensé par une intégration ferme dans son gouvernement avec la validation du Congrès.
Celle-ci n’est d’habitude qu’une formalité mais cette fois, le scrutin s’avère serré. La raison en est que Lewis Strauss, cinq ans plus tôt, en 1954, a évincé l’illustre Oppenheimer de l’AEC (Atomic Energy Commission, « Commission de l'énergie atomique ») à l’issue d’une audition de quatre semaines, d’une humiliation et d’une brutalité sans précédent dans l’histoire de la démocratie américaine.
La deuxième séquence temporelle concerne précisément cette séquence du printemps 1954. Dans un local sordide, un préfabriqué voué à la démolition, l’illustre savant, connu pour une intelligence et une culture hors du commun, se défend mollement face à trois représentants de l’AEC qui sont censés renouveler son « habilitation de sécurité » afin de lui permettre de poursuivre ses activités de consultant au sein de l’AEC.
Quand il est entré à 38 ans, en 1942, dans le « projet Manhattan », J. Robert Oppenheimer avait déjà fait l’objet d’une enquête approfondie du FBI du redoutable J. Edgar Hoover comme tous les autres participants du projet. Il s’agissait bien évidemment de s’assurer de son patriotisme et de sa loyauté.
Les enquêteurs avaient mis à nu la vie du savant, notamment ses liens très étroits de 1936 à 1942 avec les communistes, alors très nombreux dans les milieux universitaires et intellectuels américains. La propre femme du savant, Kitty, avait été ainsi une militante communiste très active. Jean, une femme qu’Oppenheimer avait passionnément aimée, était également communiste. De nature dépressive, elle se suicida dans sa baignoire en 1944, à moins de trente ans, au grand désespoir de son amant.
En 1954, les trois représentants désignés par Lewis Strauss, président du conseil exécutif de l’AEC, n’ont aucune connaissance du dossier « Secret défense » dans lequel sont détaillées la vie privée du scientifique et ses divagations passées d’étudiant et d’intellectuel. Oppenheimer et son avocat ne connaissent pas davantage son contenu même s’ils en ont une idée. Par contre, le procureur invité par Lewis Strauss à assister les trois membres de la commission a pu l’éplucher au préalable et il va s’en servir habilement pour orienter le jugement de la commission.
Il va faire valoir que les amitiés qui avaient pu paraître bénignes en 1942 quand l’Union soviétique combattait l’Allemagne aux côtés des États-Unis ne le sont plus en 1954, en pleine « guerre froide ». Mais il va aussi soutenir que l’opposition d’Oppenheimer à la bombe H pour des raisons « morales » porte tort aux intérêts vitaux de la nation.
C’est ainsi que par des retours en arrière en couleurs et bien enlevés, le cinéaste développe les aspects les plus glorieux comme les plus sombres de la vie du savant, depuis la fois où, jeune homme, il découvre avec ravissement un lieu désertique du Nouveau-Mexique qui a nom… Los Alamos et où il construira vingt ans plus tard la base militaire du projet Manhattan, jusqu’à son départ triomphal de cette même base.
Entretemps, on entraperçoit la pomme empoisonnée qu’il avait préparée pour son professeur de Cambridge, ses crises d’angoisse et ses rapports compliqués avec les militaires et ses collaborateurs, dont beaucoup sont des Prix Nobel plus primés que lui.
Enfin, le film développe avec clarté et passion les enjeux liés à la bombe atomique et sur lesquels se déchirent les scientifiques de Los Alamos. Fallait-il la lâcher sur le Japon dès lors que l’Allemagne, contre laquelle elle avait été conçue, avait déjà capitulé ? Fallait-il déjà préparer la prochaine guerre contre les Soviétiques en engageant la construction de la suivante, la bombe à hydrogène, la « Super », cent plus puissante que la précédente ?...
À condition donc de s’être au préalable informés sur cette histoire et ses nombreux protagonistes, les spectateurs sortiront pleinement satisfaits de la séance.
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oree (22-08-2023 07:41:27)
On replonge dans la période du maccarthysme et l'envie d'en découdre avec le communisme vu comme satanique. Bien rendu dans le film. Des effets spéciaux pour l'essai nucléaire de Los Alamos dans ... Lire la suite
jagey (03-08-2023 15:57:41)
J'ai lu votre article avec beaucoup d'intérêt. il donne envie de voir le film et de lire le livre sur cet homme qui sans le prévoir aura marqué l'histoire de l'humanité!
maquet (30-07-2023 12:59:00)
voir avec interet, une video sur youtube évoquant la realisation de ce film en 70 mm, et les problèmes que la diffusion de ce film dans ce format peut poser.... dans cette video, les journalistes fo... Lire la suite