5 septembre 2001 : Éric Rohmer nous offre avec L'Anglaise et le Duc un très beau film sur la Révolution française.
Curieusement, la Révolution française a assez peu inspiré les cinéastes jusqu'à ce jour. On compte sur les doigts des deux mains les films marquants qui traitent de cette époque.
C'est donc avec une certaine audace qu'Éric Rohmer s'est lancé dans le pari de brasser en deux heures les quatre années qui ont conduit les Français de l'euphorie joyeuse de la fête de la Fédération (14 juillet 1790) à la chute de Robespierre (27 juillet 1794).
Pari réussi, ô combien ! À 81 ans, le cinéaste nous offre avec L'Anglaise et le Duc un film déconcertant sans jamais donner prise à l'ennui.
En matière de mise en scène, il innove de façon magistrale en faisant évoluer ses personnages sur fond de toiles peintes représentant le Paris de l'époque. L'effet est superbe, déroutant et crédible. Il vaut largement les effets spéciaux de Steven Spielberg. Amoureux du beau langage, Éric Rohmer (Le genou de Claire...) se complaît avec une jouissance évidente dans le phrasé élégant du XVIIIe siècle, de Choderlos de Laclos et de Rousseau.
Le plus intéressant est l'histoire.
Éric Rohmer se montre insensible à une certaine mythologie contemporaine qui exalte les vertus de la dictature révolutionnaire. Il présente la Révolution à travers le regard lucide d'une Anglaise amoureuse de la Liberté mais haineuse de la violence, et celui, ô combien naïf, du duc d'Orléans, qui déclenche le cataclysme avant d'y succomber.
L'affrontement feutré entre l'Anglaise et le prince s'est perpétué jusqu'à nos jours dans l'opposition entre les démocrates, qui font confiance aux vertus individuelles et au respect du droit, et les révolutionnaires, généralement issus de la bourgeoisie intellectuelle, qui aspirent à la rédemption du « Peuple » par une minorité éclairée.
Eric Rohmer a mis en images et en paroles les Mémoires authentiques d'une Anglaise qui vécut à Versailles et Paris, avant et pendant la Révolution, au milieu des aristocrates et des courtisans. Grace Elliott fut l'amante du duc Philippe d'Orléans, cousin du roi Louis XVI et ennemi avoué de la reine Marie-Antoinette. Elle conserva après leur liaison des relations d'amitié que retrace le film.
Celui-ci débute le 13 juillet 1790, à la veille de la Fête de la Fédération, qui va réunir le peuple parisien autour de La Fayette et du roi. Un an après la prise de la Bastille, tout sourit à la Révolution. La Liberté est en marche. Le duc d'Orléans se félicite d'y avoir contribué par ses diatribes et ses pamphlets contre la monarchie et la reine.
Au fil des séquences, la situation se dégrade. La France entre en guerre. Le 10 août 1792, la populace parisienne se rend aux Tuileries et massacre les gardes suisses auxquels le roi a interdit de riposter. Ce dernier est emprisonné au Temple avec sa famille.
Début septembre 1792, la même populace, à l'appel de quelques hystériques de la plume (Marat...), investit les prisons et massacre de nombreux « suspects » qui y sont détenus. Ces « massacres de septembre », en réaction aux menaces des souverains étrangers adressées aux révolutionnaires qui ont déposé le roi, sont le premier grand dérapage de la Révolution. Eric Rohmer les illustre en montrant, au bout d'une pique, la tête de la duchesse de Lamballe, confidente de la reine.
Inspirée par les nobles français qui ont émigré à l'étranger, une coalition européenne déclare la guerre à la France. Elle est conduite par le Premier ministre anglais, William Pitt, farouche opposant de la Révolution, à la différence du chef de l'opposition libérale, Charles Fox.
Quelques mois après la victoire des volontaires à Valmy, les armées françaises reculent sur tous les fronts. La menace de l'invasion entraîne en France un raidissement politique. C'est la «Grande Terreur», l'irruption nocturne des gardes chez les particuliers, les emprisonnements et les condamnations sur de factices soupçons... Un officier noble, entré avec fougue au service de la République, ne comprend pas qu'on l'arrête. Le général Dumouriez, vainqueur à Valmy mais battu à Neerwinden, passe à l'ennemi pour échapper à la guillotine.
Inconséquent et lâche, le richissime duc d'Orléans, médiocre député jacobin à la Convention, se fait appeler « Philippe-Egalité ». Il en vient à voter la mort de son cousin le roi. Son vote fait basculer la décision de l'Assemblée en faveur d'une exécution immédiate.
Ce film déconcertant et superbe sur la Révolution se regarde avec un intense plaisir et sans ennui. Pédagogique et lumineux, il convient à tous les publics, adultes et adolescents. Mais mieux vaut se doter de quelques clés avant la séance.
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Aucune réaction disponible