13 janvier 2018 : François Kersaudy, dont la célèbre biographie de Churchill fait référence, a vu Les Heures sombres, un film britannique de Joe Wright (2017) sur les deux semaines de mai 1940 qui ont conduit l'Angleterre à affronter seule Hitler. Il nous livre son regard d'historien sur ce biopic « presque » conforme à l'Histoire..
Voilà un film que les lecteurs du Monde ont été encouragés à ne pas voir : ils ont pu lire dans leur journal que Churchill a « précipité le cataclysme dans lequel son pays fut plongé en 1940 par sa complaisance à l’égard du camp franquiste pendant la guerre d’Espagne » (sic) et que « quelques jours après le début de l’offensive nazie en France, le Premier ministre Neville Chamberlain est contraint à la démission » (resic).
Lorsque l’assurance idéologique et la carence historique ruissellent jusque dans la rubrique cinématographique, c’est le lecteur qui est noyé… Bref, un film qui suscite des critiques de ce calibre peut-il être entièrement mauvais? On se souvient de ce conseil d’un cinéphile averti nommé Josef Staline : « Dovieriaï, a provieriaï ! » - « Fais confiance, mais vérifie ! »
Quand le cinéma prend des libertés avec l'Histoire...
Ce qui frappe dès l’abord, ce sont les acteurs : si Gary Oldman déguisé en Churchill est moins ressemblant que Brian Cox dans le récent navet de Jonathan Teplitzky, il le fait très vite oublier, tant sa prestation est extraordinaire ; par ailleurs, on reconnait aisément Clementine Churchill, Neville Chamberlain, Clement Attlee et le général Ismay, un peu plus difficilement lord Halifax, et l’on constate avec intérêt que George VI n’est plus le rugbyman bodybuildé du Discours d’un roi.
Les dialogues sont le plus souvent authentiques, même si l’on retrouve concentrées en trois semaines les réparties churchilliennes de quatre décennies. L’ambiance dans les salons feutrés de Westminster et les tunnels crépusculaires des Cabinet War Rooms est remarquablement rendue, et les effets de lumière comme les mouvements aériens de la caméra ne peuvent que susciter l’admiration.
Bien sûr, le spectateur se rend bien compte du fait qu’un biopic n’est pas un documentaire, et que le cinéma à grand spectacle a ses exigences que l’histoire ne connaît pas.
Après tout, peu importe si en réalité, la secrétaire de Churchill, Miss Layton, n’a été engagée qu’en 1941, et si la cabine téléphonique spéciale pour appeler le président Roosevelt n’a été installée qu’en 1943. (En 1940, les deux hommes ne correspondaient que par télégrammes chiffrés). Mais s’il veut se rapprocher des faits historiques, le spectateur doit également savoir que Churchill ne hurlait pas au Parlement, et Clément Atlee - que Churchill présentait comme « un mouton déguisé en mouton » - moins encore !
Il lui faut également admettre que le complot de Chamberlain, de Halifax et du roi pour renverser Churchill est purement imaginaire, que le discours défaitiste dicté, puis déchiré, l’est tout autant, et que le Premier ministre de Sa Majesté n’est jamais descendu dans le métro pour se livrer à des exercices de démocratie participative.
Enfin, il doit se rendre compte du fait que durant ces vingt-cinq jours séparant son accession au pouvoir de la fin de l’évacuation de Dunkerque, Churchill n’a passé qu’une infime fraction de son temps à préparer des discours et à stimuler quelques ministres réticents ; le reste de son emploi du temps durant cette période - et surtout durant le mois qui a suivi - pourrait faire l’objet d’un film plus passionnant encore.
Mais l’essentiel n’en reste pas moins que l’on sorte de ce film à grand spectacle du réalisateur Joe Wright avec l’impression d’avoir suivi un récit haletant, tout en ayant côtoyé l’Histoire… et l’un de ses plus fabuleux acteurs.
Sur l'état d'esprit de Churchill en mai 1940, on peut lire avec profit l'entretien de François Kersaudy avec Marie-Noëlle Tranchant (Le Figaro, 2 janvier 2017).
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Aucune réaction disponible