De tous les présidents américains, John Fitzgerald Kennedy, le 35e, demeure l'un des plus populaires, malgré la brièveté de son mandat. Celui-ci, qui a débuté le 20 janvier 1961, a été interrompu par le drame de Dallas, le 22 novembre 1963.
Une famille encombrante
Kennedy est le deuxième d'une fratrie de neuf enfants. Il appartient à une riche et influente famille de Boston, de souche irlandaise.
Paysans analphabètes des comtés de Limerick et Wexford, deux de ses arrière-grands-pères, Thomas Fitzgerald et Patrick Kennedy, s'embarquèrent en 1852 sur des bateaux-cercueils à destination de Boston, port le plus proche de l'Irlande !
Son père Joseph fit fortune dans les alcools pendant l'époque de la prohibition, peut-être avec le concours de la Mafia.
Ambassadeur à Londres à la veille de la Seconde Guerre mondiale, il soutint le Premier ministre britannique Neville Chamberlain dans sa politique d'apaisement avec Hitler. Winston Churchill, en arrivant au pouvoir, obtint son rappel. De retour à Washington, Joe milita parmi les partisans de l'isolationnisme qui refusaient d'engager les États-Unis dans la guerre contre Hitler (parmi eux, le pilote Charles Lindbergh).
Joe, qui avait épousé Rose, fille du maire de Boston, n'en poursuivait pas moins de ses assiduités toutes les femmes qui passaient à sa portée et noua une relation suivie avec l'actrice Gloria Swanson.
Plus sérieusement, il reporta sur ses quatre garçons Joe (Joseph), Jack (John), Bob (Robert) et Ted (Edward) ses ambitions contrariées et les engagea à conquérir les sommets. Comme de juste, il misa avant tout sur l'aîné, Joe, son préféré.
Parmi les cinq filles, la jolie Rosemary, née en 1918, souffrait d'un grave retard mental que les parents tentèrent toute leur vie de cacher. Dans l'espoir de guérir leur fille, ils lui imposèrent en 1941 une lobotomie (chirurgie du cerveau) qui aggrava son état.
Lieutenant de vaisseau dans la guerre du Pacifique, John est gravement blessé après que sa frégate eut été coupée en deux par un destroyer japonais qu'il n'a pas su éviter. Il n'en arrive pas moins à sauver son équipage.
Son père magnifie à outrance dans les médias cet acte de bravoure. Joe, qui multiplie les missions aériennes au-dessus de l'Allemagne, en est affecté. En quête de revanche, il se lance dans une mission suicidaire qui lui coûte la vie.
Le vieux Joe reporte dés lors ses espoirs sur John, en dépit de la mauvaise santé de celui-ci.
Sous un jour avenant, le jeune homme endure depuis l'enfance des souffrances persistantes que l'on identifiera ultérieurement comme la maladie d'Addisson, une maladie dégénérative des os. Il porte un corset pour soulager sa colonne vertébrale et se bourre de médicaments pour gommer la douleur.
À deux reprises, dans les années 1950, il subit une opération de la dernière chance et reçoit l'extrême-onction (le sacrement des mourants dans l'Église catholique).
Les médecins ne lui donnent guère de chance de survie au-delà de 45-50 ans (autrement dit, s'il n'avait pas été assassiné à 46 ans, il n'aurait de toute façon pas pu aller au bout d'un deuxième mandat).
La conquête du pouvoir
Après le conflit, auréolé de ses faits d'armes, John se fait élire à la Chambre des représentants puis, en 1952, devient sénateur du Massachusetts.
Pour soigner sa popularité, il publie un livre avec le concours d'un nègre, Theodore Sorensen, dans lequel il dresse le portrait de huit sénateurs méritants : Profiles in courage. Le livre lui vaut le Prix Pulitzer en 1957.
Bon connaisseur des affaires internationales, il s'attire en 1957 les foudres du gouvernement français pour avoir déclaré que l'Algérie devait obtenir son indépendance.
Aux élections présidentielles de novembre 1960, John Fitzgerald Kennedy, candidat du parti démocrate, prône un généreux projet sous le nom de « Nouvelle Frontière » (la Frontière désignait aux États-Unis, au XIXe siècle, le front pionnier de l'ouest).
Il met en avant également sa séduisante épouse d'origine française, Jacqueline Bouvier (31 ans), enceinte de leur troisième enfant (il mourra deux jours après sa naissance).
Mais sous l'apparence d'un couple idéal, le ménage va on ne peut plus mal. Dès 1954, soit un an après leur mariage, Jackie a songé au divorce. Elle n'en pouvait plus des frasques sexuelles de son mari, séducteur compulsif comme le vieux Joe, et deux fausses couches n'ont pas arrangé leur relation. Elle se sent rejetée par le clan Kennedy et, par précaution, négocie avec le patriarche Joe des garanties financières solides en cas de rupture ou de décès de John.
La campagne électorale est des plus incertaines.
À l'issue des primaires qui départagent les postulants à la candidature du parti démocrate, John F. Kennedy conclut un cessez-le-feu avec son principal rival Lyndon Baines Johnson et lui offre le poste de vice-président. Malgré cette réconciliation de façade, les deux hommes ne cesseront jamais de se haïr.
Pour la suite de la campagne, John fait appel à l'entregent de son ami, le crooner (chanteur à succès) Franck Sinatra, qui est très lié au parrain de la pègre Lucky Luciano. Les deux amis partagent depuis plusieurs années déjà alcools et conquêtes féminines dans la villa de Sinatra à Palm Springs (Californie).
Le patriarche Joe ne craint pas aussi de solliciter ses amis de la Mafia. On s'interroge également sur le rôle du redoutable chef du syndicat des camionneurs, Jimmy Hoffa.
Mais Jack doit par ailleurs composer avec l'inamovible et tout aussi redoutable chef du FBI (la police fédérale), J. Edgar Hoover. Cet autre ami de son père ne supporte pas les opinions progressistes de John et de son frère Robert. Le futur président craint qu'il ne révèle ses relations sexuelles débridées et, plus grave que tout, une liaison au début de la Seconde Guerre mondiale avec une jeune Danoise, Inga Arvad, soupçonnée d'espionnage au profit des Soviétiques.
Avec 120 000 voix d'avance sur 70 millions de suffrages exprimés, John Fitzgerald Kennedy est au final élu d'extrême justesse. Il devient le plus jeune président élu des États-Unis et le premier de confession catholique (notons que le vice-président Theodore Roosevelt avait quant à lui 42 ans et onze mois quant il a succédé en septembre 1901 au président McKinley, assassiné par un anarchiste).
Son rival républicain, Richard Milhous Nixon, vice-président du président sortant, le général Dwight David Eisenhower, se montre beau perdant mais n'en jure pas moins de prendre sa revanche. Ce sera chose faite en 1968 avec son élection à la présidence face à Hubert Horatio Humphrey.
La ségrégation raciale en ligne de mire
Dès son arrivée à la Maison Blanche, Kennedy s'entoure d'une équipe de conseillers plus étoffée que jamais. Il s'agit d'intellectuels tels Arthur Schlesinger, recrutés dans les meilleures universités, comme Harvard. Il veut autour de lui « the best and the brightest » (les meilleurs et les plus brillants). Ces conseillers - les « hommes du Président » - prennent souvent le pas sur les ministres du gouvernement (l'« administration » en anglais).
Au gouvernement, le président appelle également des hommes de qualité. Pour le très important Secrétariat à la Défense, il appelle Robert McNamara (44 ans), un gestionnaire brillant qui a été appelé cinq semaines plus tôt à la présidence de la compagnie Ford, la deuxième entreprise du pays.
Davantage attiré par les affaires internationales que par la politique intérieure, John Kennedy se décharge de celle-ci sur son jeune frère Robert (35 ans) auquel il confie l'influent ministère de la justice avec le titre d'attorney general.
Les États-Unis, grands bénéficiaires de la défaite du nazisme, jouissent au début des années 1960 d'une insolente prospérité mais les rapports entre Blancs et Noirs s'inscrivent encore sous le régime de la ségrégation. Et le parti démocrate, très influent dans le Deep South (Sud profond), y est vivement attaché !
Usant à fond de sa fonction d'attorney general, Bob, très ouvert d'esprit, encourage discrètement les volontaires qui, dans tout le pays, luttent contre la ségrégation en multipliant les « sit in » : Blancs et Noirs mélangés s'attablent par exemple dans un restaurant ségrégationniste le temps qu'il faut pour que le patron se résigne à les servir... ou prenne le risque d'appeler la police (immédiatement suivie de la télévision).
En 1963, la situation devenant explosive, le président prononce un discours solennel pour l'égalité des droits civiques entre Blancs et Noirs. Quelques semaines plus tard, Martin Luther King enfonce le clou en organisant à Washington une manifestation triomphale. Kennedy reçoit avec éclat le leader noir. Le mouvement est désormais lancé. Mais c'est seulement après la mort du président que sont votées les lois abolitionnistes qu'il a mises en chantier.
Martin Luther King et Robert Kennedy seront l'un et l'autre assassinés la même année, en 1968, le premier le 4 avril au Tennessee, le second le 5 juin en Californie au terme d'une succession de triomphes dans les primaires démocrates en vue des élections présidentielles de la fin de l'année.
Au bord du gouffre
Mais John F. Kennedy est également impliqué dans les pires moments de la guerre froide avec l'URSS, l'actuelle Russie.
En arrivant à la Maison Blanche, il découvre un projet de débarquement à Cuba destiné à renverser le régime pro-soviétique de Fidel Castro.
À l'instigation d'Allan Dulles, un ami de son père qui dirige les services secrets (la CIA, Central Intelligence Agency), il reprend le projet à son compte et c'est l'expédition calamiteuse de la baie des Cochons : les opposants cubains, malgré le soutien logistique de la CIA, sont écrasés par l'armée de Fidel Castro le 17 avril 1961.
Allan Dulles est renvoyé et remplacé par son adjoint Richard Helms, mais l'opinion publique sait gré au Président d'assumer la responsabilité de son pitoyable échec. Le président cesse quant à lui de prendre pour argent comptant les propos des experts de l'armée comme des services secrets.
À la lumière de cette affaire, les Soviétiques croient pouvoir miser sur la faiblesse du président américain. En juin 1961, à Vienne, le tout-puissant secrétaire général du parti communiste d'URSS, Nikita Khrouchtchev, rencontre Kennedy à Vienne.
Les deux rivaux semblent enterrer la hache de guerre. Ils se serrent la main et donnent au monde l'espoir d'une coexistence pacifique. Illusion... Deux mois plus tard, les Allemands de l'Est, sous protectorat soviétique, érigent un mur en travers de Berlin. La guerre froide rebondit.
L'année suivante, on découvre sur des photos aériennes que les Soviétiques sont en train d'installer des rampes de lancement de missiles à tête nucléaire sur le sol de Cuba, à 200 kilomètres des côtes américaines. Pour les Américains, cette épée de Damoclès est inadmissible.
La tension est à son comble le 22 octobre 1962. Ce jour-là, dans un célèbre discours télédiffusé, Kennedy affiche sa fermeté. Il ordonne une « quarantaine » autour de Cuba pour empêcher les navires communistes de livrer le matériel destiné aux bases de missiles. Avec ce blocus (un acte de guerre qui ne dit pas son nom), on frôle à tout moment l'incident qui pourrait dégénérer en troisième guerre mondiale.
Devant cet ultimatum à peine voilé, Nikita Khrouchtchev s'incline et retire ses fusées. Il obtient en contrepartie l'engagement de Washington de ne rien entreprendre contre Cuba. Par une clause secrète, Washington s'engage aussi à démanteler ses missiles en Turquie, aux frontières de l'URSS.
Pour le monde entier, il devient clair qu'aucun des deux Super-Grands n'est prêt à prendre le risque d'un conflit nucléaire. C'est une première faille dans la guerre froide et l'amorce timide de la détente.
Un an plus tard, le 26 juin 1963, à Berlin, Kennedy ne craint pas d'afficher le soutien des États-Unis aux Berlinois de l'Ouest, victimes du blocus soviétique et de l'érection du mur de la honte. « Ich bin ein Berliner », leur lance-t-il du balcon de la mairie.
Une présidence brève mais riche de promesses
Le bilan de la présidence Kennedy ne se limite pas à ses actions en faveur de l'intégration raciale et contre l'URSS.
Dès son arrivée à la Maison Blanche, le président relève le défi spatial des Soviétiques. Il lance le programme Apollo et fait la promesse d'envoyer un Américain sur la Lune avant la fin de la décennie. Promesse tenue à titre posthume.
Les Américains lui sont aussi reconnaissants d'avoir relancé la lutte contre la pauvreté (un programme qu'il a lui-même qualifié pendant sa campagne de « Nouvelle Frontière ») ainsi que d'avoir inauguré des rapports plus équilibrés avec l'Amérique latine, avec en particulier la création de l'Alliance pour le progrès et d'un corps de coopérants volontaires, le Peace Corps.
Mais Kennedy a aussi le douteux privilège d'engager au Viêt-nam les premiers soldats américains. Il y avait 600 conseillers militaires sur place lors de son arrivée à la Maison Blanche ; à sa mort, on y compte 16 000 soldats. Il y en aura jusqu'à 500 000 sous son successeur, Lyndon Baines Johnson.
Depuis l'attentat de Dallas, les Américains cultivent la nostalgie du président défunt, associée au souvenir d'une incontestable prospérité et d'une relative homogénéité des conditions de vie. Même si son image commence à être altérée par les révélations sur sa sexualité et ses frasques.
Il a eu une relation suivie avec des actrices comme Marlène Dietrich et sans doute aussi la sulfureuse Marylin Monroe, qui se suicida dans le cours d'une mystérieuse relation avec les frères Bob et John Kennedy.
Mais il a aussi enchaîné les conquêtes à la Maison Blanche, avec les stagiaires, les journalistes et aussi de simples prostituées que des agents du Secret Service conduisaient jusque dans le Bureau ovale de la Maison Blanche, en totale infraction avec leur obligation d'assurer avant tout la sécurité du Président.
Les États-Unis
Vos réactions à cet article
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Jérôme Chiffaudel (28-08-2013 23:37:13)
John Kennedy est assassiné en 1963, et son frère Robert Kennedy en 1968, les deux dates sont correctes dans l'article.
DELORME (08-08-2012 08:42:26)
Kennedy est mort en 1963 et non en 1968 comme indiqué dans cet article