Depuis la mort de Cléopâtre, sinon plus tôt, les paysans du Nil ont toujours courbé l'échine sous la férule de maîtres étrangers, qu'il s'agisse de soldats ou d'administrateurs. Voués à fournir des produits pour l'exportation (blé, coton), pressurés au-delà de toute mesure, sans accès à la direction du pays, ils n'ont jamais eu la maîtrise de leur destin.
Songeons que c'est seulement au XIXe siècle, sous le gouvernement de Méhémet Ali, que des Égyptiens ont été recrutés dans l'armée. Encore ont-ils dû attendre 1863 pour avoir accès aux grades d'officiers et aux postes de commandement, ceux-ci étant jusque-là réservés aux mercenaires d'origine circassienne ou ottomane.
En 1952, un coup d'État militaire a porté à la tête du pays Gamal Abd el-Nasser. C'est le premier dirigeant issu du peuple qu'ait eu l'Égypte depuis plus de deux millénaires ! Mais il n'est pas sûr que cela ait changé le sort des Égyptiens...
Une si longue occupation !
Après les Romains et les Byzantins vinrent les Arabes. En 969, les Fatimides, une dynastie chiite originaire de Kairouan (Tunisie actuelle) et rivale du califat de Bagdad, s'installe au Caire. En 1171, les Fatimides laissent la place à un guerrier kurde, le célèbre Saladin.
La dynastie des Ayyoubides qui en est issue est à son tour renversée en 1250 par sa garde mamelouk. Les Mamelouks sont des guerriers musulmans astreints au célibat et voués au métier des armes depuis leur enfance. Il s'agit de garçons enlevés à des vaincus généralement chrétiens et convertis de force. La plupart viennent d'Asie mineure ou du Caucase.
Attachés à leur chef, les Mamelouks font main basse sur l'Égypte, les chefs se partageant les villages et les revenus qui s'y attachent. En 1517, le sultan ottoman Sélim 1er s'empare de l'Égypte. Mais très vite, faute de solution de rechange, il doit restituer le gouvernement du pays aux Mamelouks.
Ceux-ci sont défaits en 1798 par Bonaparte et, après le départ de celui-ci, rendent enfin les armes à un mercenaire ottoman d'origine albanaise, Méhémet Ali. Ce dernier va tenter de moderniser le pays en recourant massivement à des experts européens, les fellahs n'ayant jamais voix au chapitre. Sa dynastie ne s'émancipera de la Sublime Porte (le gouvernement du sultan d'Istamboul) que pour tomber sous la tutelle britannique en 1882.
Espoirs trahis
L'accession au pouvoir d'officiers issus du peuple, en 1952, a laissé entrevoir un renouveau de la nation égyptienne mais cet espoir fait long feu. En 1958, le prestigieux président (raïs) Gamal Abd el-Nasser tente une union politique avec la Syrie, l'Égypte ne suffisant pas à son ambition.
Plus raisonnable, son successeur Anouar al-Sadate - un Frère musulman repenti - revient à des objectifs strictement égyptiens. Après une semi-victoire sur Israël en octobre 1973, il fait courageusement la paix avec son voisin et tourne le dos aux illusions arabes. Mais son assassinat en octobre 1981 remet tout en cause.
Désireux d'éloigner l'armée égyptienne de la tentation de relancer la guerre contre Israël, les États-Unis la gavent de subsides. Les monarchies du Golfe en rajoutent pour écarter la tentation révolutionnaire.
L'armée, ou plutôt le corps des officiers généraux, est devenue de la sorte la seule force constituée du pays et sa principale composante économique. Elle possède l'essentiel des entreprises et des terres. Sous la présidence de Moubarak, comme l'ancienne dynastie issue de Méhémet Ali, elle est le faux-nez qui cache la mainmise de l'étranger sur le pays.
L'alternative islamiste, représentée par les Frères musulmans, n'est pas plus représentative de la nation égyptienne, même si ses opérations caritatives, nourries par l'argent de l'étranger, lui valent la sympathie des fellahs, les paysans du Nil. Ces derniers demeurent prisonniers de leur sujétion passée et ne disposent d'aucune instance locale représentative qui leur permettrait de faire pression sur le pouvoir central, en l'occurrence les militaires.
La démocratie n'est pas pour demain, malgré les espoirs nés de l'éviction du président Hosni Moubarak, le 11 février 2011, et il est peu vraisemblable que la contestation politique sorte du cercle étroit de la bourgeoisie urbaine du Caire et d'Alexandrie.
L'expédition d'Égypte
Vos réactions à cet article
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jean-louis (22-08-2013 18:38:53)
merci pour cette article, mais que faire on ce sent vraiment impuissant devant tant de problèmes
Jean Louis Taxil (22-08-2013 12:15:50)
Article courageux. Le sociologue Hérodote doit bien sûr assurer sa mission éducative à l'égard d'un Occident parfois éloigné de son passé culturel; 5000 ans d'une Histoire bien connue, n'est p... Lire la suite
Lardy jp (20-08-2013 18:10:39)
Bonjour Il me semble que la première phrase est fausse : "Depuis la mort de Cléopâtre VII Ptolémée, dernière reine d'Égypte" les égyptiens ont été sous la coupe étrangère. Co... Lire la suite