John Edgar Hoover a dirigé d’une main de fer le FBI (Federal Bureau of Investigation), autrement dit la police fédérale des États-Unis de 1924 à sa mort, 48 ans plus tard, soit sous l’autorité de huit présidents successifs, de Coolidge à Nixon.
Inamovible du fait de son immense popularité, il s'est dans les faits davantage soucié de lutter contre la « subversion » communiste que contre le crime organisé...
Un homme de dossiers
Jeune juriste épris de dossiers et de classements, John Edgar Hoover entre après la Grande Guerre au service du ministre de la Justice (attorney general) Mitchell Palmer, un démocrate obsédé par la menace de subversion bolchévique. Cette « Peur rouge » (« Red Scare » en anglais) fait suite à la Révolution d’Octobre (en Russie). Les vagues d’attentats du 2 juin 1919 et du 1er septembre 1920 lui donnent du crédit dans l'opinion publique.
Le ministre plaide pour la traque des immigrants européens, soupçonnés d’être plus que quiconque sensibles à la propagande révolutionnaire, et réclame des expulsions massives.
Le jeune J. Edgar Hoover organise lui-même quelques rafles à l'extrême limite de la loi. Il ne va plus jamais se défaire de son anticommunisme et exprimera tout au long de sa carrière une haine viscérale à l’égard de tous les déviants (communistes, militants noirs ou féministes, homosexuels…).
Pour le peu que l’on sache de sa personnalité, il semble que lui-même souffrît de déséquilibres affectifs plus ou moins graves. Originaire du Sud puritain, J. Edgar manifeste toute sa vie un racisme anti-noir virulent, ne supportant d'employer des Noirs qu'en qualité de chauffeur ou domestique. Il ne supporte pas les mains moites, dédaigne de voyager à l’étranger, a le complexe de sa petite taille, interdit à ses subordonnés de marcher sur son ombre !…
Affecté par la dépression de son père et pouponné par une mère puritaine et possessive qui nourrit à son égard de grandes ambitions et le met en garde contre l’homosexualité, il va demeurer célibataire. Mais de 1924 à sa mort, il va entretenir une relation très vraisemblablement homosexuelle avec Clyde Tolson, un juriste de huit ans son cadet, au physique agréable, dont il va faire son second au FBI.
Toute sa vie, il se montrera d'une rare férocité à l'égard des homosexuels, cela afin d'écarter le soupçon d'homosexualité le concernant ! Pour plus de sûreté, il ne manque pas non plus d'afficher son amitié avec différentes femmes du monde. On peut le créditer aussi de la fidélité sans bornes de son assistante, Miss Gandy, pendant plus d'un demi-siècle.
Naissance du FBI
En 1924, Hoover prend la direction d’un nouveau service du ministère de la Justice, à Washington : le Bureau of Investigation.
Ce service administratif a été fondé en 1908 par Charles Bonaparte, ministre de la Justice dans le gouvernement du président Theodore Roosevelt... et petit-neveu de Napoléon Ier (l'appellation Bureau, inusitée en anglais, est due aux origines françaises du ministre).
Il est chargé de suppléer aux carences des polices locales et étatiques (chaque État américain assure sa propre police) et de poursuivre les criminels qui échappent à la police des États en passant les frontières. Le service, qui va prendre en 1935 son nom actuel, Federal Bureau of Investigation (FBI), prend son envol avec l’arrivée de Hoover.
Celui-ci le façonne à sa guise, exigeant que ses agents soient des hommes, blancs, portant costume, cravate et chapeau, diplômés d'une université, si possible anciens joueurs de football américain, et surtout absolument intègres, ce qui les distingue des policiers des États, aisément corruptibles.
John Edgar Hoover innove aussi en appliquant les techniques les plus avancées en matière de police scientifique (mise en fiches, analyses biologiques et physico-chimiques...). Mais il ne rechigne pas non plus à pratiquer les écoutes téléphoniques (parfaitement illégales).
Dans le détail, les buts du Bureau évoluent. Durant les années 1930, la lutte contre les braquages de banque et le blanchiment d'argent sont au premier plan. J. Edgar obtient pour ses agents le droit d’être armé et de procéder à des arrestations. Il s'attire une immense popularité dans l'opinion publique en traquant et en exécutant un bandit de légende, John Dillinger, lequel n'a en fait jamais tué personne.
L’enlèvement et la mort du bébé de Charles Lindbergh, en mars 1932, permettent à Hoover de faire voter une loi sur le kidnapping qui étend les moyens de son agence. J. Edgar s'attire le mérite de la capture du ravisseur... bien qu'il n'y soit pour rien et ait au contraire gêné l'enquête.
Les présidents en échec
Durant la Seconde Guerre mondiale, le FBI s'oriente vers le contre-espionnage. Mais malgré l'envie qu'il en ait, Hoover est empêché de s'occuper de l'espionnage étranger. La lutte contre celui-ci sera en définitive dévolue par le président Truman à une nouvelle agence fédérale, la Central Intelligence Agency (CIA).
Après le conflit, dans les années 1950, le FBI prend une part très active dans la chasse aux sorcières, qui vise les espions communistes ou supposés tels.
Hoover devance dans cette chasse le sénateur McCarthy et, une fois celui-ci en selle, met ses agents à son service. Des vedettes du cinéma ou du monde scientifique font l'objet d'investigations secrètes et approfondies de la part du FBI, avec des rapports de plusieurs milliers de pages et au bout du compte pas le moindre indice d'un quelconque manque de fidélité aux États-Unis. Les plus connues sont Charlie Chaplin et Albert Einstein.
Il en ira de même plus tard pour les militants de la cause noire, tel Martin Luther King, qui font l'objet d'un espionnage obsessionnel de la part de Hoover, par des méthodes souvent illégales au demeurant (écoutes téléphoniques, vols de documents...). Le chef du FBI ne limite pas ses investigations aux affaires politiques ou financières, loin de là, mais porte un soin maniaque à explorer les moeurs sexuelles de ses contemporains.
Ainsi accumule-t-il des informations (photos, lettres, écoutes) sur les infidélités conjugales de Martin Luther King comme sur les prestations sexuelles du président Kennedy et des sénateurs et ministres susceptibles de lui porter tort. Hoover doit à ses dossiers secrets d'avoir pu demeurer à la tête du FBI jusqu'à sa mort et en dépit des premières atteintes de la sénilité. Le 2 mai 1972, à son décès, il semble d'après son biographe Anthony Summers que 20% de l'activité du Bureau était encore consacré à ce genre d'enquête de « moralité ».
Les sunlights de la gloire
Tout au long de sa carrière, communicant habile, Hoover a harcelé les producteurs d'Hollywood pour obtenir que ses agents soient présentés sous un jour favorable dans les films. C'est ainsi que la star James Cagney incarne un agent pourvu de toutes les qualités dans « Les Hors-la-loi » (en anglais : G-men, pour « hommes du gouvernement »), en 1935. Plus récemment, la série télévisée Les Incorruptibles illustre le combat de la police fédérale contre les gangs de Chicago au temps de la Prohibition.
Les résultats sont à la hauteur des attentes. L’opinion publique se prend de passion pour ces policiers fédéraux, triés sur le volet et différents en tous points de la police ordinaire des États. Les vocations affluent à l’agence.
Le président Franklin Roosevelt, qui craint Hoover, envisage dès sa prise de fonction en 1933 de le démettre. Mais l’homme qu’il a pressenti pour devenir ministre de la Justice (attorney general) décède dans le train qui l’amène à Washington. Et il n’est pas impossible que Hoover, habile à collecter toutes sortes de renseignements intimes sur les personnalités influentes, ait menacé Roosevelt de laisser filtrer des révélations sur les amitiés particulières de son épouse Eleanor.
Roosevelt se résigne à maintenir Hoover à son poste mais va se servir de sa notoriété pour mieux faire passer des lois destinées à réprimer le crime organisé.
Les présidents suivants, malgré l’envie qu’ils en aient, se retiendront de contredire le puissant chef du FBI, craignant tout comme Roosevelt des révélations embarrassantes. Harry Truman a plus de mal que son prédécesseur à cacher sa détestation de Hoover, lequel lui livre une guerre feutrée à coup de faux rapports et d'enquêtes tordues.
Le président Eisenhower, en pleine guerre froide, s'accommode d'un collaborateur plus anticommuniste que quiconque. Il en va autrement de son successeur John Fitzgerald Kennedy et surtout de son jeune frère Bob, nommé à 35 ans, en 1961, attorney general et, donc, supérieur direct du vieux Hoover.
Le chef du FBI a noué des relations d'intérêt et d'amitié avec le patriarche de la famille Kennedy, un affairiste assez proche des milieux mafieux, et il supporte d'autant moins les velléités moralisantes de son fils Robert. Les deux hommes sont à couteaux tirés pour des raisons parfois mesquines. Ainsi Hoover, qui a toujours allumé les interrupteurs en arrivant le matin au ministère, accepte mal que le nouveau ministre le devance dans cette mission.
La mort tragique du président Kennedy puis celles de son frère et de Martin Luther King, autre bête noire du chef du FBI, vont mettre fin à ses tourments.
Mort à la tâche, John Edgar Hoover va bénéficier de funérailles nationales, privilège exceptionnel concédé par le président Richard Nixon, malgré le peu d’empathie entre les deux personnages.
Pour limiter aussi l'influence de ses successeurs, Nixon fait voter une loi qui limite à dix ans l'exercice des directeurs du FBI.
Le journaliste Anthony Summers a publié en 1983 une passionnante biographie : Official and Confidential, The secret life of J. Edgar Hoover. Celle-ci a été traduite en français sous le titre autrement plus explicite : Le plus grand salaud d'Amérique (Seuil, 1995). Reconnaissons que ce titre français exprime mieux que l'anglais la tonalité de l'ouvrage.
En 2005, Marc Dugain a publié une fiction distrayante autour de Hoover : La malédiction d'Edgar (Gallimard, Paris, 2005), sous la forme d'un testament apocryphe de Clyde Tolson, son ami de toujours. Le romancier expose dans ce livre une théorie très personnelle de l'assassinat de Kennedy.
Hoover continue d'inspirer la télévision et surtout le cinéma avec J. Edgar (2012, film de Clint Eastwood avec Leonardo DiCaprio dans le rôle-titre).
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Eugenie (17-05-2017 13:45:44)
J'ai trouve très intéressant le fait qu'il a fait partie de l'équipe de Joseph Alois Schumpeter, qui travaillait à Harvard sur les "Business Cycles"(fortement inspiré par Mikhail Ivanovitch Touga... Lire la suite