Évêque du modeste évêché de Luçon, Armand Jean du Plessis, duc de Richelieu, se fait remarquer aux états généraux de 1614 par Marie de Médicis, mère de Louis XIII. Il obtient un poste de secrétaire d'État puis la barrette de cardinal.
Il dirige enfin le Conseil du roi à partir de 1624, en qualité de « principal ministre » ou Premier ministre, et révèle dès lors son génie politique : il met au pas la noblesse, prompte aux duels et aux révoltes, assoit l'autorité du roi (on appellera plus tard ce régime « absolutisme ») ; combat les protestants de l'intérieur et leurs alliés anglais ; garantit les frontières en s'alliant aux protestants allemands, jette aussi les bases du premier empire colonial. On lui prête cette formule qui viendrait de ses Mémoires : « La politique n’est pas l’art du possible, c’est de rendre possible ce qui est nécessaire »...
Habile négociateur
Né le 5 septembre 1585, Armand Jean du Plessis, fils d'un capitaine des gardes d'Henri IV, entre dans les ordres et devient en 1606 évêque du modeste évêché de Luçon (aujourd'hui en Vendée). Bien qu'il eut préféré une carrière militaire, il va toute sa vie manifester une piété forte et sincère.
Il administre avec brio son diocèse et travaille à la conversion des protestants avec le concours des moines capucins. C'est ainsi qu'il se lie d'amitié avec François Leclerc du Tremblay, qui sera son plus proche conseiller.
Délégué par le clergé du Poitou aux états généraux de 1614, il se fait remarquer par la mère de Louis XIII, la régente Marie de Médicis et par son favori, le marquis d'Ancre, ex-Concini. C'est ainsi qu'il obtient un poste de secrétaire d'État pour l'Intérieur et la Guerre. Mais trois ans plus tard, quand le jeune roi fait assassiner Concini et écarte sa propre mère, il est chassé du gouvernement, Marie de Médicis n'étant plus en situation de le soutenir. Exilé à Blois puis Avignon, il en profite pour écrire une manière de catéchisme, L'Instruction du chrétien.
Habile négociateur, il rentre dans les bonnes grâces de la reine-mère en la réconciliant avec son fils en 1620. Cet exploit est récompensé par la barrette de cardinal le 12 décembre 1622.
Peu après, Marie de Médicis est à nouveau écartée du pouvoir. Son propre fils lui interdit d'assister aux séances du Conseil d'en haut (aussi appelé « Conseil ordinaire » ou « Conseil des affaires », il se réunit en présence du roi en personne et traite des sujets majeurs). À force de persuasion, la reine-mère obtient toutefois de son fils qu'il y fasse entrer le cardinal dont elle espère qu'il servira ses intérêts.
Le jeune roi s'y résout vite car, confronté à une situation internationale embrouillée, il doit bien constater l'impéritie de son chef de gouvernement, le surintendant des Finances Charles de la Vieuville. Il a noté a contrario la pertinence des avis du cardinal, transmis par sa mère.
Très vite, le cardinal se fait remarquer du roi par son talent et son dévouement. Il prend l'habitude de s'entretenir en tête-à-tête avec le roi avant chaque Conseil de façon à faciliter ses interventions. Quatre mois plus tard, le 13 août 1624, La Vieuville est arrêté sous l'accusation de malversations et Louis XIII offre à Richelieu la direction du Conseil d'en haut. À ce poste de « principal ministre » ou Premier ministre, le cardinal va dès lors révéler jusqu'à sa mort son génie politique. Il en sera récompensé dès 1629 par les titres de duc et pair.
Le cardinal s'entoure de conseillers compétents dont le plus connu est le père Joseph, de sept ans son aîné. Ce moine capucin né François Leclerc du Tremblay se montre passionnément dévoué à la cause de l'Église mais sert l'État sans faillir. Il transforme l'ordre des capucins en un réseau d'informateurs efficace. Habile négociateur, il négocie l'intervention de la Suède dans la guerre de Trente Ans et prépare les traités de Westphalie qui y mettront fin.
Du fait de sa robe de bure grise, qui fait contraste avec la robe rouge du cardinal, le père Joseph est surnommé « Éminence grise » et l'expression va dès lors désigner tout conseiller de l'ombre. À sa mort, le 17 décembre 1638, Richelieu écrira : « Je perds ma consolation et mon unique secours, mon confident et mon appui ». Deux siècles plus tard, l'historien Jules Michelet va dresser du père Joseph un portrait tout en noirceur qui va faire oublier ses qualités politiques et sa piété sincère.
Un homme d'État moderne
Hypocondriaque et de santé fragile, Richelieu est aussi un travailleur infatigable, ne dormant guère plus de quatre heures par nuit. Il va se dévouer jusqu'à sa mort au service de l'État.
Dans un premier temps, il met au pas la noblesse factieuse, habituée à l'indiscipline depuis la disparition d'Henri IV. Par l'édit du 2 juin 1626, il interdit les duels et punit de mort les récidivistes. Il ne craint pas de mettre la menace à exécution.
Jusqu'à sa mort, le cardinal devra renouveler de vigilance face aux complots de la noblesse, lesquels impliquent le propre frère du roi, Gaston d'Orléans ! Le plus sérieux se solde par la décapitation du duc de Montmorency à Toulouse en 1632. Dix ans plus tard, le dernier coûtera la vie au jeune marquis de Cinq-Mars et à son ami de Thou, exécutés à Lyon. Gaston fera enfin, à cette occasion, amende honorable...
Richelieu assoit ainsi l'autorité du roi (sous la Révolution, bien plus tard, on appellera ce régime « absolutisme »), sans excès d'humanité (même s'il est improbable qu'il ait dit : « Qu'on me donne six lignes écrites de la main du plus honnête homme, j'y trouverai de quoi le faire pendre »).
Le cardinal est habile aussi à s'attacher les hommes de talent, nombreux dans la France de cette époque. Ainsi constitue-t-il l'Académie française et soutient-il Théophraste Renaudot dans ses initiatives philanthropiques et la création de la Gazette.
Visionnaire, il encourage les expéditions lointaines. Passionné par les questions maritimes, il se donne en 1626 le titre de grand maître et surintendant général de la Navigation et du Commerce. Il crée des compagnies à monopole pour faciliter les entreprises de colonisation et jette les bases du premier empire colonial français (Martinique, Canada, Madagascar...). L'objectif de ces compagnies est avant tout d'approvisionner la métropole en sucre, une denrée de luxe traditionnellement achetée dans les pays musulmans et qui occasionne d'importantes sorties de métaux précieux. Selon la doctrine mercantiliste de l'époque, ces sorties de numéraire sont le principal facteur d'appauvrissement de l'État.
C'est ainsi qu'après la compagnie des Cent Associés de la Nouvelle-France, fondée en 1627, viennent la Compagnie royale du Levant, la Compagnie du Sénégal et de Gambie, la Compagnie de Saint-Christophe (ou des Indes occidentales), qui sera transformée en 1635 en Compagnie des Isles d'Amérique.
Conscient de l'importance à venir du commerce maritime et soucieux de concurrencer les Hollandais, précurseurs en ce domaine, le cardinal de Richelieu achète en 1626 un navire de commerce hollandais. Rebaptisé Fleur de Lys, il est mis à la disposition des armateurs français afin qu'ils s'en inspirent pour la construction de leurs propres navires.
La France, principale puissance européenne
Soucieux d'abaisser les Habsbourg qui gouvernent l'Espagne et les États autrichiens, le cardinal se garde de mêler religion et diplomatie. Dès 1625, il noue une alliance avec l'Angleterre contre l'Espagne. L'alliance est concrétisée par les fiançailles de la soeur de Louis XIII, Henriette de France, avec le prince de Galles, le futur roi d'Angleterre Charles Ier.
Mais les périls intérieurs obligent Richelieu à se raccommoder avec l'Espagne par le traité de Monzon, dès l'année suivante. Les Anglais, du coup, se retournent contre la France et apportent leur appui aux protestants de La Rochelle, en rébellion contre le pouvoir royal.
Richelieu y voit une raison supplémentaire de combattre les protestants de l'intérieur, non qu'il veuille remettre en cause l'Édit de tolérance de Nantes mais il n'accepte pas plus leur aspiration à l'autonomie que les complots de la haute noblesse. Après le siège de La Rochelle et l'Édit d'Alès, il ne va plus rester plus grand-chose de la puissance politique du protestantisme : les protestants français se voient garantir la liberté de culte et l'égalité civile avec les catholiques mais perdent leurs places fortes.
Le ministre garantit la tranquillité de la France sur ses frontières. En mars 1629, les troupes françaises forcent le passage des Alpes au pas de Suse et occupent les États du duc de Savoie, lequel n'a pas d'autre issue que d'accepter la cession de la forteresse de Pignerol, dans les Alpes, et une présence militaire permanente à Mantoue.
Cette politique hostile à l'Espagne catholique vaut à Richelieu l'hostilité du parti dévot, regroupé autour de la reine-mère. Marie de Médicis tente de l'évincer mais c'est finalement Richelieu qui gagne la partie à l'issue de la « Journée des Dupes ».
Pendant que Richelieu s'efforce de restaurer l'ordre intérieur, l'Allemagne et le monde germanique endurent la plus terrible guerre de leur histoire, entamée en 1618 par l'entrée en guerre des princes protestants contre l'empereur catholique.
Richelieu a eu d'abord le souci de s'en tenir à l'écart. Mais en 1635, il doit se résoudre à s'allier aux protestants allemands pour contrer les Habsbourg. Les hostilités s'engagent mal avec la prise de Corbie (Picardie) par les Espagnols venus d'Artois, le 15 août 1636. À Paris, c'est la panique. Le cardinal, sans se laisser perturber, lève une armée de 40 000 hommes et vient assiéger Corbie. Au bout de trois mois, affamés, les Espagnols doivent se retirer.
Richelieu réprime avec autant de fermeté les révoltes paysannes qui se multiplient pour cause de misère et de guerre. Ainsi de la révolte des Croquants du Limousin en 1637 et des va-nu-pieds de Normandie en 1637.
Enfin le sort des armes se retourne en faveur de la France avec la prise de Brisach en Alsace en 1638, le siège d'Arras et les victoires de Casal et Ivrée en 1640. Dans le même temps, il est vrai, l'Espagne est déstabilisée par les révoltes des Catalans et des Portugais. La France en profite pour occuper le Roussillon en 1642. Cette province deviendra définitivement française en 1659 avec le traité des Pyrénées.
La postérité reconnaissante
Victorieux de toutes les cabales grâce au soutien constant du roi Louis XIII, Richelieu apparaît comme le premier homme d'État moderne, soucieux de l'intérêt national envers et contre tout. Impopulaire au demeurant. Quand il meurt d'épuisement et de maladie, le 4 décembre 1642, le peuple parisien, dit-on, allume des feux de joie.
Louis XIII, qui lui-même ne se porte guère mieux et ne lui survivra pas longtemps, laisse échapper laconiquement : « C’est un grand politique de moins ».
Et le grand Corneille, mieux inspiré : « Qu’on parle mal ou bien du fameux cardinal, ma prose ni mes vers n’en diront jamais rien, il a trop fait de mal pour en dire du bien, il a trop fait de bien pour en dire du mal ».
Le cardinal sera inhumé dans la chapelle de la Sorbonne, qu'il a fait ériger. Il y reposera jusqu'à la profanation de son tombeau par les révolutionnaires le 5 décembre 1793.
Soucieux de tenir son rang, le cardinal s'est fait construire un splendide hôtel particulier près de la résidence royale du Louvre. Dénommé Palais-Cardinal, il deviendra Palais-Royal après qu'il l'aura légué à Louis XIII.
Soucieux également de sa postérité, le cardinal a fait construire à la fin de sa vie une ville à sa gloire sur un plateau au sud de Saumur et Tours. Baptisée comme il se doit Richelieu, la ville est tracée au cordeau avec une place d'armes et deux grandes avenues.
Richelieu exige des grands personnages du royaume qu'ils y bâtissent chacun une maison en pierre le long de l'avenue principale, dans le prolongement de la route de Paris. À la sortie de la ville, au sud, cette avenue débouche sur le palais du cardinal et son immense parc.
Sous la Restauration, au XIXe siècle, un héritier indigne livrera le palais à la pioche des démolisseurs ; un autre héritier, plus attentionné, lèguera un pavillon et le parc à l'Institut de France. De ce projet pharaonique interrompu par la mort de son promoteur reste une bourgade tranquille, à l'abri de ses remparts et de ses douves, parfait reflet de l'urbanisme classique.
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