Il y eut au total pendant la Grande Guerre 600 à 1000 soldats français condamnés à mort et passés par les armes, 330 anglais, 750 italiens, 48 allemands (ce dernier chiffre est sans doute sous-estimé quoique les tribunaux allemands, à la différence des français, admissent les circonstances atténuantes en cas d'abandon de poste).
Ces exécutions pour abandon de poste en présence de l'ennemi, mutilation volontaire ou... crime de droit commun (viol, rapine, meurtre) eurent surtout lieu dans la première année du conflit, parfois même sans jugement préalable.
« Les Sentiers de la gloire »
Dans l'armée française, contrairement à une idée reçue, ce ne sont pas les mutineries de 1917 qui occasionnèrent le plus d'exécutions mais les offensives de l'automne 1914, quand le général Joseph Joffre chercha dans la troupe des responsables à la faillite de son plan XVII et à ses propres insuffisances.
On dénombra ainsi 27 exécutions pour faits d'indiscipline collective au printemps 1917, après l'offensive ratée du Chemin des Dames, contre une soixantaine dans le seul mois d'octobre 1914.
La figure emblématique des injustes condamnations de l'année 1914 est le sous-lieutenant Jean-Julien-Marie Chapelant (23 ans), qui crut devoir se rendre, le 7 octobre 1914, alors que sa section du 98e régiment d'infanterie était sous le feu de l'artillerie ennemie, dans la Somme. Blessé à la jambe, il fut fusillé sur son brancard quatre jours plus tard pour « capitulation en rase campagne ».
Ampuis (Rhône), commune d'origine du sous-lieutenant, a inscrit son nom sur le monument aux morts, le considérant « Mort pour la France », et le ministre des Anciens Combattants lui a officiellement reconnu cette qualité le 9 novembre 2012, ce qui est une forme de réhabilitation. Comme lui, une cinquantaine de soldats fusillés ont été réhabilités, dont une trentaine en 1934 par la Cour suprême de justice militaire.
Déjà, dans les années 1920 en France, beaucoup de fusillés furent réhabilités à la demande de leurs compagnons survivants ou de leurs familles et l'on construisit même des monuments en leur souvenir, par exemple à Vingré (Aisne). La plupart ont aussi, comme le sous-lieutenant Chapelant, leur nom sur le monument aux morts de leur village, les concepteurs de ces monuments s'étant rarement appesantis sur les conditions de leur disparition. Les Anglais ont quant à eux attendu 1993 pour une démarche de « pardon » à l'égard de leurs fusillés.
L'histoire du sous-lieutenant Chapelant a inspiré le roman d'Humphrey Cobb : Les Sentiers de la gloire (1935), adapté au cinéma par Stanley Kubrick (1957), avec Kirk Douglas dans le rôle principal. Remarquable sur le plan cinématographique, ce film est cependant très éloigné de la réalité de la guerre.
Un autre film, français celui-là, évoque des soldats jetés sur les lignes ennemies pour s'être volontairement mutilés : Un long dimanche de fiançailles (Jean-Pierre Jeunet, 2004).
Le fait de punir de la sorte des insoumis s'est peut-être produit mais rien ne l'atteste selon Jean-Jacques Becker, spécialiste de la Grande Guerre. L'historien rappelle que le commandement français n'a pas procédé non plus à des « fusillés pour l'exemple ».
En d'autres termes, il n'y a pas eu dans l'armée française de soldats pris au hasard et fusillés pour sanctionner l'indiscipline de leur unité. Au contraire de l'armée italienne où le général Luigi Cadorna, responsable du désastre de Caporetto, ne craignit pas de sanctionner les défaillances de la troupe par « décimation », à la façon de la Rome antique.
L'historien Nicolas Offenstadt note quant à lui que l'armée australienne est allée plus loin qu'aucune autre dans la mansuétude en s'interdisant les condamnations à mort.
Bibliographie
L'ouvrage de référence sur les mutineries et les exécutions demeure celui de l'historien Nicolas Offenstadt : Les Fusillés de la Grande Guerre (Odile Jacob, 2009).
Il est symptomatique qu'en ce début du XXIe siècle, les débats sur la Grande Guerre portent prioritairement sur les mutins et fusillés de 1917, comme pour mieux souligner notre refus d'admettre la simple évidence : dans leur immense majorité, les conscrits et les volontaires de 1914 sont allés au combat sans joie mais avec détermination, parce qu'il le fallait pour leur pays et pour eux-mêmes.
Le plus remarquable n'est pas qu'il y ait eu un millier de fusillés pour cause de « mutinerie » dans l'armée française en 1914-1918 mais qu'il y en ait eu « seulement » un millier, et cela avec très peu de désertions ! Difficile à comprendre pour les petits Occidentaux du XXIe siècle, qui savourent les douceurs d'une société multiculturelle et ouverte.
Livres et documents
Vos réactions à cet article
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Didier L. (17-04-2018 11:06:29)
Il me semble que le fait de choisir 2,3 ou 4 soldats a fusiller parmi 50 ou 100 qui ont refusé soit de monter en ligne ou refusé toute attaque vaine, revient au même qu'être fusillé pour l'exempl... Lire la suite
Hugo (09-04-2017 22:22:42)
D'où l'absurdité de continuer à qualifier cette grande boucherie de "Grande Guerre"........ magnifique........; Il vaudrait mieux dire comme les Allemands "Die große Schweinerei" — ou, d'au... Lire la suite
VILLAIN (28-08-2016 18:30:09)
Il me semble bien que le général italien s'appelait Cadorna et pas Cardona.