22 septembre 2016 : ce n'est pas dans nos habitudes de promouvoir un livre de 1680 pages et sans illustrations (32 euros tout de même). Mais cet ouvrage collaboratif, écrit par deux cents historiens sous la direction de Bruno Dumézil, est appelé à devenir une référence dans son domaine, l'histoire des barbares et de la barbarie.
À travers un millier d'entrées simplement classées par ordre alphabétique, il raconte les personnages et les événements liés à cette histoire, depuis les guerres médiques, quand les Grecs ont pour la première fois employé le mot barbare pour désigner ceux qui ne parlaient pas leur langue.
Le dictionnaire fait ainsi défiler les chefs de guerre, les peuples, les batailles mais aussi les chroniqueurs et les historiens qui jusqu'à nos jours, chacun à sa façon, se sont penchés sur cette Histoire.
Les Barbares insiste moins sur les faits et les hommes que sur le regard que nous leur portons.
Il examine de façon claire la façon dont évolue la notion de barbarie chez les civilisés et chez les barbares eux-mêmes ! C'est assurément la partie la plus déroutante du livre - et la plus instructive -.
Qui est Barbare ?
Les Grecs, à l'origine de la notion de barbare, ont eux-mêmes eu du mal à la définir. L'historien Thucydide, au Ve siècle av. J.-C., y introduit déjà une nuance péjorative. Chez lui, le terme « englobe aussi bien d'authentiques non-Grecs, comme les Thraces ou les indigènes de Sicile, que des peuples du nord-ouest de la Grèce tels que les Illyriens, les Étoliens ou la Acarnaniens. Si Thucydide désigne ces derniers comme des barbares, c'est parce qu'il considère comme arriérées ces populations des marges de la Grèce qui n'étaient pas organisées en cités ».
À l'époque romaine ou plutôt gréco-romaine, cette vision tend à prévaloir, par exemple dans le regard que portent Grecs et Romains sur les Gaulois, au IIe siècle av. J.-C. « Que les Gaulois aient dès cette époque incarné la figure du barbare sauvage par excellence, les sources grecques en attestent amplement. L'accent est mis sur l'impiété des Gaulois, pillards, sacrilèges que seule l'intervention d'Apollon put détourner de Delphes, mais aussi sur leur férocité guerrière, comme en témoignent les statues du type du Galate mourant en provenance du royaume hellénistique de Pergame. »
Cette vision change au début de notre ère à mesure que Rome étend son empire. « L'ex-ennemi barbare devient un provincial, construit temples et thermes, et adopte la toge, en un mot se romanise (...). Ainsi, les auteurs de l'époque impériale décrivent les Germains au combat en des termes identiques à ceux dont usaient César ou Tite-Live à propos des Gaulois ». Au terme de cette évolution, après l'édit de Caracalla (212) qui accorde la citoyenneté à tous les hommes libres de l'empire, le barbare n'est plus que l'étranger qui vit en-dehors de l'empire.
Comment gérer les Barbares ?
En 235, la fin de la dynastie des Sévères marque le début du Bas-Empire ou de l'Antiquité tardive, ainsi que l'irruption des barbares sur la scène intérieure de l'empire romain. « Le péril barbare devint progressivement un facteur central de la vie de l'Empire ».
Au siècle suivant, sans que les barbares en soient forcément responsables, les richesses tendent à se concentrer. Dans les campagnes, une poignée de grandes villae au luxe démonstratif se substituent au tissu de villae antérieur. « L'ancienne pyramide sociale s'orienta dès lors vers une bipartition entre les puissants et les pauvres (...). Dès lors, les pauvres pouvaient être facilement amenés à se révolter, si le maître dont ils dépendaient était trop dur, si la pression fiscale devenait trop forte, si la justice impériale était trop favorable aux puissants. Quitte à passer dans le camp des ennemis de l'Empire s'ils estimaient ne plus rien avoir à perdre. Parmi les barbares du IVe et surtout du Ve siècle, on trouvait probablement beaucoup de Romains déclassés, notamment dans les espaces frontaliers où les identités étaient malléables ».
Les vrais barbares, en échange de leur accueil dans l'Empire, sont astreints à une forme de service, dont le plus saillant est le service militaire. Quelques-uns mènent une belle carrière et parviennent même au consulat malgré le handicap de leurs origines. Plusieurs tentent de faire oublier celles-ci. « En 397 et 398, Stilicon, devenu régent de l'Empire d'Occident, fit ainsi passer des lois pour interdire le port de vêtements non romains à l'intérieur de la ville de Rome » (hum, hum).
À côté de ces barbares qui servent l'Empire avec loyauté et diligence, « on voit se multiplier les groupes résidant sur le sol romain mais dont le statut est difficile à définir : entrées plus ou moins légalement, ces troupes réglaient leur comportement sur l'attitude que le pouvoir impérial avait envers elles. Correctement nourries et soldées, elles soutenaient loyalement le prince qui les payait. Mais si leurs chefs s'estimaient mal traités ou mésestimés, ils menaient des opérations d'intimation, voire de pillage ».
À partir des années 370, les autorités concluent avec les nouveaux arrivants des traités (foedus) qui en font des « fédérés ». « Une fois installés dans une province, les barbares fédérés avaient le droit de conserver leurs chefs et leur organisation interne ; ils recevaient en outre un ravitaillement en vivres ou en terres permettant de se nourrir ».
Comment devient-on Barbare ?
Les historiens et archéologues contemporains tendent à s'accorder sur le fait que les tribus barbares qui ont assailli l'empire romain étaient moins des ethnies que des groupes d'intérêts.
« Pour comprendre la naissance des royaumes barbares, sans doute faut-il considérer que beaucoup de peuples dont les historiens romains nous relatent les ravages au Ve siècle étaient avant tout des groupes militaires. On y trouvait des individus d'origines très variées, et notamment beaucoup de populations de la frontière, que rejoignaient un nombre important de Romains déclassés. Parfois, il est vrai, le chef d'une armée errante s'appuyait sur une identité ethnique jugée prestigieuse : Alaric se présenta ainsi comme un roi des Goths, même si tous ses hommes n'étaient pas d'ascendance gothique.
Chez ces groupes militaires, le sentiment d'appartenance ethnique s'accroissait à mesure que l'on remportait des victoires en commun ».
Paraphrasant Simone de Beauvoir (et Guillaume Tabard, Le Figaro, 20 septembre 2016), nous pourrions écrire à la suite de Bruno Dumézil : « On ne naît pas Goth, on le devient ». À vrai dire, ce processus d'acculturation nous semble universel. Ainsi, en Afrique australe, au début du XIXe siècle, le prestigieux chef Chaka réunit autour de lui des aventuriers de diverses origines et constitue par le fer et le sang la nation zouloue.
Aux siècles mérovingiens, les qualificatifs de Francs et Romains n'ont plus rien d'ethnique. À l'époque carolingienne, au IXe siècle, la fusion est consommée entre les différentes populations. La frontière entre civilisation et barbarie redevient géographique et distingue les chrétiens des païens.
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