Maître de conférences à l'université de Paris X-Nanterre, Bruno Dumézil fait partie de la jeune génération de médiévistes qui revisite l'époque autrefois appelée les « Âges obscurs », pour en montrer toute la complexité et la richesse (note).
La thèse de Bruno Dumézil, publiée en 2005 chez Fayard, sous le titre Les Racines chrétiennes de l'Europe : conversion et liberté dans les royaumes barbares Ve-VIIIe siècles, a été un grand succès de librairie. Sa biographie de la reine franque Brunehaut, également publiée chez Fayard (2008), a obtenu le prix « Provins Moyen Âge ».
L'historien a publié aussi en janvier 2010 : Les Barbares expliqués à mon fils (Le Seuil, 112 pages, 8 euros). Derrière la couverture qu'on nous permettra de trouver criarde, un texte à la fois scientifique et accessible, sérieux et drôle, vulgarisateur sans être vulgaire, qui permet de mieux comprendre cette époque troublée.
Pour Herodote.net, Bruno Dumézil revient ici, avec Yves Chenal, sur les peuples barbares, leur mode de vie et leurs croyances.
Les barbares viennent d'au-delà des frontières de l'Empire romain. Sur ce point, tout le monde s'accorde. Mais les origines réelles de ces populations demeurent incertaines.
Les sources des VIe et VIIe siècle affirment que les barbares ont accompli un long périple avant de franchir le limes rhéno-danubien, qui forme la limite septentrionale du monde romain.
Leur lieu de naissance serait à chercher au nord de la Germanie, voire en Scandinavie.
Toutefois, depuis une trentaine d'années, historiens et archéologues remettent en cause les affirmations des textes médiévaux.
Beaucoup de spécialistes croient désormais que les peuples barbares se sont constitués au contact direct de l'Empire, à partir de petites tribus déjà largement romanisées.
Disons que tout dépend de l'époque dont on parle. Au temps d'Astérix, les barbares de Germanie servent surtout de mercenaires : ils participent bien à la guerre des Gaules, mais comme auxiliaires de Jules César contre les Gaulois.
Entre le Ier et le IIIe siècle de notre ère, les chefs barbares tentent plutôt de mener des raids de pillages contre l'Empire, avant de repartir chez eux avec le maximum de butin. Il ne s'agit pas d'invasion. Au pire, on peut parler d'incursions à répétition.
Enfin, à partir du IVe siècle, c'est l'Empire lui-même qui « importe » des Barbares pour remplir ses armées ou repeupler des régions frappées par la crise démographique.
Si invasion il y a à ce moment, elle est largement consentie. Cela n'empêche pas des épisodes très violents, comme la dévastation des Gaules en 407. Mais, tôt ou tard, les Barbares finissent toujours par trouver un accord avec Rome.
Les différents peuples barbares sont tous originaux et en même temps très proches les uns des autres. Cela explique qu'ils puissent tantôt se scinder, tantôt se refondre en une entité unique.
D'abord, les barbares partagent une même culture de la guerre. Chez eux, tout homme libre est par définition un guerrier. Évidemment, cela n'est pas très original chez les peuples de l'Antiquité. Toutefois, les talents de combattant des barbares sont indiscutables et font d'ailleurs l'admiration des Romains.
À partir du Ve siècle, les armes des guerriers d'outre-Rhin sont également plus efficaces que celles des légionnaires.
En second lieu, la culture des peuples barbares implique une part de nomadisme, même si elle est souvent plus subie que réellement recherchée.
Il n'en reste pas moins qu'un déplacement sur quelques centaines de kilomètres ne les effraie pas. Cela tranche par rapport aux usages méditerranéens, où l'enracinement d'un peuple à sa ville et à son terroir constitue l'un des fondements de la société. La mobilité des barbares nuit évidemment à la stabilité de leurs cultes.
Incapable de s'enraciner dans des lieux précis, le paganisme germanique se révèle très fragile face aux cultes romains et notamment face au christianisme.
Les hommes barbares peuvent sans doute conserver leurs cultes guerriers par delà la migration, mais les femmes semblent très tôt tentées par la religion romaine.
Sur le plan juridique, on ne peut pas dire que la femme barbare soit totalement différente de son homologue romaine. Elle ne possède pas la gestion totale de ses biens, ni ne peut librement décider de son propre mariage.
Deux éléments en font toutefois un être à part. D'abord, la femme barbare est dépositaire de l'honneur de sa famille ; l'insulter, la blesser, la tuer constitue une humiliation que tout le groupe cherchera à laver. Par conséquent, la dame barbare se trouve assez bien protégée de la violence ambiante.
Ensuite, à la différence du monde romain classique, la société barbare n'est pas totalement opposée au pouvoir féminin. Dans des situations de minorités royales, on voit ainsi apparaître des figures de régentes chez les Ostrogoths ou chez les Francs. On a également retrouvé chez les Huns des tombes féminines contenant des armes ; on ignore toutefois si ces défuntes s'étaient réellement battues ou si on avait voulu montrer par là qu'elles disposaient d'un pouvoir d'essence militaire.
En eux-mêmes, les barbares n'ont pas laissé de traces majeures dans la civilisation européenne, à l'exception peut-être de l'anthroponymie. Près d'un tiers des prénoms français actuels viennent en effet de racines germaniques. Mais les barbares ont surtout été des passeurs sans qui une partie de l'héritage de l'antiquité aurait été perdue.
Ce fut le ministre d'un roi ostrogoth qui donna la première traduction d'Aristote en latin. Il s'agit de Boèce (vers 480-525), ministre de Théodoric (vers 450-526). Et la première encyclopédie de l'histoire, les Étymologies d'Isidore de Séville, a vu le jour dans l'Espagne wisigothique. Les Barbares ont donc transmis la culture romaine, qu'ils ont su enrichir de traditions chrétiennes.
Patrick Cothias et Bernard Dufossé ont débuté une transcription en bande dessinée des Histoires de Grégoire de Tours, sous le titre Les Sanguinaires. Le projet n'est pas allé jusqu'au bout, mais les volumes parus sont assez fidèles au récit du chroniqueur franc.
Pour les amateurs de bande dessinée, rappelons les albums de Patrick Cothias et Bernard Dufossé : Frédégonde, Glénat, 1997, et Le Grand Partage, Glénat, 1999.
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