2 décembre 2023. Ridicule est le premier qualificatif qui vient à la vision du film de Ridley Scott. Ridicule et soporifique tant est grande l’envie de fuir la salle après une heure de grimaces ineptes... Nous en venons à nous interroger sur la puissance d’un système commercial et médiatique qui arrive à promouvoir ce genre de navet au détriment d’autres oeuvres de bien meilleure facture, du point de vue cinématographique comme de la vraisemblance historique…
Entendons-nous bien. Nous n’idolâtrons pas le moins du monde Napoléon !
Herodote.net s’attache à montrer toutes ses facettes, y compris les plus sombres. On peut faire des films ou des livres (souvent remarquables) sur ses mauvais côtés comme sur les meilleurs, la plus virulente et la plus cruelle de toutes les critiques demeurant celle de son contemporain Chateaubriand dans De Buonaparte et des Bourbons (1814).
Mais nul ne peut rester indifférent à une personnalité et un parcours hors du commun, que l’on pourrait seulement comparer à Alexandre le Grand ou au Premier Empereur chinois par les changements apportés à la marche du monde. « Quel roman que ma vie ! » aurait dit l'ex-empereur lui-même à Sainte-Hélène. De fait, aucun romancier ni aucun scénariste n'aurait jamais osé l'imaginer !
Jean Tulard, spécialiste de Napoléon comme du cinéma, était plus qualifié que quiconque pour décrypter le film de Ridley Scott et quelques-uns de ses innombrables contresens. Dans un entretien savoureux avec Henri Capron, il nous offre une vision éclairée du règne du « petit caporal »...
Une offense à la connaissance et au savoir
Si la geste napoléonienne est plutôt bien connue des anciennes générations d’Européens, ce n’est pas le cas des plus jeunes ni surtout des Américains pour lesquels Napoléon est juste un nom égaré dans le brouillard d’un lointain passé, comme Pancho Villa ou Barbe-Noire.
Le film de Ridley Scott ne va rien arranger à l’affaire. On peut le voir comme un cas d’école… et un exploit ! Sous des prétentions vaguement didactiques avec une succession de séquences décousues et introduites par un sous-titre, il a réussi à réduire la vie ô combien romanesque de Napoléon à une succession décousue de batailles et de dialogues de chambre à coucher sans conséquence. La psychologie des personnages ? Restons simples. Le contexte géopolitique ? Bien merci. Le génie et la gloire ? Pas de nouvelles.
Ses contresens à foison posent le problème de la responsabilité du cinéaste dans la présentation des faits historiques au grand public. Beaucoup de spectateurs sortiront de la séance en se disant que Marie-Antoinette a été guillotinée en costume de cour avec des épluchures de concombres dans son épaisse chevelure blanche, que Robespierre avait la tête bouffie de Danton et que les Français ont bombardé la pointe des pyramides, et il sera difficile de changer cette opinion. Heureusement, on a échappé à la mutilation du Sphinx (qui, comme le savent les lecteurs d’Uderzo et Goscinny, a perdu son nez sous le poids d’Obélix !).
Le cinéaste pèche aussi par anachronisme en faisant assaut de féminisme... Dire que Napoléon est revenu d'Égypte dans le seul but de punir son épouse infidèle, alors qu'en réalité il l'a fait parce que la France se trouvait au bord de l'abîme et que, par conséquent, des opportunités de carrière s'ouvraient pour lui, c'est une autre histoire. Toujours d'après Ridley Scott, l'ex-empereur fuit l'île d'Elbe, où il était confiné après sa première abdication, pour retrouver Joséphine, dont il est séparé depuis 1809, pour qui il n'éprouve plus qu'une affection fraternelle et qui était décédée presque un an auparavant ! L'invraisemblance atteint ici son paroxysme.
C’est bien simple. Il n’y a pas une séquence, pas même une image du film de Ridley Scott qui ait une touche de vraisemblance. Aussi nous garderons-nous d’aligner ici les erreurs. Il y faudrait plus de temps et de travail que dans la rédaction du Mémorial de Sainte-Hélène pour un résultat qui n’en vaut pas la peine.
D’un point de vue strictement cinématographique, tous les médias, même les plus critiques, se sont évertués à saluer la performance d’acteur de celui qui figure l’Empereur. Ah bon ? Le seul mot juste à son propos vient d’un personnage du film (nous ne dirons pas lequel) : « L’Empereur a l’air endormi ». Endormi, benêt, taciturne, pleurnichard (comme l’empereur Commode dans le film Gladiator). Comment croire qu’un tel homme ait pu conduire des centaines de milliers d’hommes aux extrémités du monde et mettre en place des institutions et des codes qui règlent encore nos existences en France et en Europe ?
Retenons de tout cela que le Britannique Ridley Scott (86 ans) fut un très grand cinéaste. Il excella dans la science-fiction (Alien, 1979 ; Blade Runner, 1982) comme dans le genre historique (Gladiator, 2000 ; Le Royaume des Cieux, 2005) avant de commettre des échecs piteux dans ce genre (Robin des Bois ; Le dernier duel et maintenant Napoléon).
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Voir les 24 commentaires sur cet article
Marina RC (01-01-2024 07:31:33)
Tout à fait d'accord. Quelle perte d'argent et de talents ! Je serais d'avis de lancer une souscription nationale pour aligner 200 millions d'euros à notre tour pour réaliser un vrai "Napoléon" ! ... Lire la suite
kari32 (08-12-2023 14:32:24)
Il y a plusieurs filières de fabrication cinématographique: a) films d'art b) films documentaires c) films scientifiques d) films politiques e) films à but financier "pur": Hollywood, Bollyw... Lire la suite
Alban Sertorius (07-12-2023 11:36:35)
Notre époque est formidable ! N'importe quel cinéaste - ou prétendu tel, ce qui n'est pas tout à fait le cas de Ridley Scott - peut se saisir d'un personnage historique et en donner sa perception ... Lire la suite