Kingdom of Heaven

Les clés du Royaume des Cieux

Mai 2005 : Ridley Scott, auteur de remarquables films épiques ( Blade Runner, Alien , Gladiator), s'est remis à la tâche avec un sujet périlleux entre tous, les croisades. Son nouveau film d'épopée est une représentation plutôt exacte des croisades.

Le Royaume des Cieux (Kingdom of Heaven) est une oeuvre artistique plutôt fidèle à la réalité historique, à part quelques artifices justifiés par la mise en scène. Une belle leçon d' Histoire des croisades, loin des clichés et des slogans. Tout est vrai ou à peu près dans l'atmosphère sociale, les clivages politiques, l'état d'esprit des contemporains...

Seules concessions au «politiquement correct» contemporain: le cinéaste passe sous silence la foi sincère qui animait la plupart des croisés. Il exagère aussi le poids des Templiers dans les affaires de Palestine et les présente tous sans distinction comme des brutes fanatiques.

Tout est (presque) vrai aussi dans le récit des événements et les personnages. Même le héros Balian d'Ibelin est conforme au portrait qu'en donnent les chroniqueurs de l'époque, quoique moins âgé qu'il n'était en réalité à l'époque des faits.

Le film se déroule dans les années 1180-1187. Voici ci-dessous le récit de ces années... À vous de discerner les quelques libertés qu'a prises le cinéaste avec l'Histoire officielle ! Pour approfondir le sujet, je vous invite à lire L'épopée des croisades (Perrin), le chef-d'oeuvre de l'historien René Grousset (1885-1952), écrit à l'attention d'un très large public.

Le Royaume des Cieux (Kingdom of Heaven), film de Ridley Scott

Les clés du Royaume des Cieux

Ridley Scott a choisi de retracer la période la plus cruciale des croisades, celle qui a vu Jérusalem retomber aux mains des musulmans après 88 ans de domination chrétienne.

Nous sommes dans les années 1180. En Occident, les hommes voient leur sort rapidement s'améliorer (contrairement à ce qui est dit dans le film). La paix et la prospérité vont de pair avec l'expansion de l'art gothique.

En Orient, voilà plus de 80 ans que Jérusalem a été enlevée aux Turcs par quelques milliers de guerriers francs venus de toute l'Europe occidentale.

Les croisés s'étaient donné pour objectif de délivrer le tombeau du Christ mais aussi de sauver l'empire romain d'Orient et sa capitale Byzance, menacés par l'irruption des Turcs.

Ayant atteint leur objectif, beaucoup sont restés sur place. Ils ont établi en Palestine et en Syrie le système féodal, avec de puissantes baronnies et un royaume de Jérusalem.

Au fil des années, ces croisés se sont assimilés à la population locale, en épousant des filles arméniennes, grecques ou syriaques, et en donnant naissance à des enfants de culture mixte appelés «poulains».

Un flux permanent de pèlerins en armes, venus d'Occident par terre et par mer, les aide à défendre leurs territoires contre les musulmans.

Les nouveaux arrivants, impatients d'en découdre avec les infidèles, ne cachent pas leur mépris pour les croisés de Palestine et les «poulains». Ils ne comprennent pas leurs rapports souvent cordiaux avec les voisins turcs ou arabes.

Il est vrai que les États francs de Palestine, coincés entre l'Égypte et la Syrie musulmanes, sont obligés de ménager l'une et l'autre. En évitant les provocations inutiles et par un jeu subtil d'alliances, le roi de Jérusalem fait en sorte d'empêcher leur union.

Malheureusement, cette union tant redoutée survient en 1174 sous l'égide d'un chef providentiel, le kurde Saladin (37 ans), en partie à cause de la mésentente entre les croisés.

La même année, le roi de Jérusalem meurt et c'est son fils qui hérite du trône sous le nom de Baudouin IV. Il est beau, pieux et courageux. Mais il n'a que 13 ans et l'on va découvrir bientôt qu'il est atteint de la lèpre.

Le jeune homme préserve le royaume avec courage et grandeur d'âme, se faisant porter au besoin sur le champ de bataille en litière. A plusieurs reprises, la vue de celle-ci suffit à mettre en déroute l'ennemi.

Le Roi lépreux entretient des rapports d'estime avec son ennemi Saladin, comme lui empreint de sentiments chevaleresques. Il poursuit la sage politique de son père avec le concours de son conseiller, Raimon III de Tripoli, seigneur de Tibériade (celui-ci est appelé Tiberias dans le film de Ridley Scott, d'après le nom anglais de Tibériade).

En prévision de la mort prochaine du roi, on cherche à remarier sa soeur Sibylle. Cette jeune veuve est la mère d'un nourrisson appelé à succéder à son frère sur le trône. Émancipée comme le sont les princesses et les reines de cette époque, à l'image d' Aliénor d'Aquitaine, Sibylle choisit sur un coup de tête d'épouser un cadet sans fortune fraîchement débarqué du Poitou. Il a nom Gui (ou Guy) de Lusignan et son seul atout est d'être le plus beau chevalier de son temps. Faible de caractère et lâche par ailleurs.

Quand le 16 mars 1185, le malheureux et digne Baudouin IV rend enfin son âme à Dieu, Raimon de Tripoli et les barons du royaume tentent d'empêcher Gui de Lusignan de prendre le pouvoir.

Mais ils sont bernés par ce dernier, qui s'empare de la régence au nom de Baudouin V, fils de Sibylle, avant de lui succéder sur le trône. Pour sa prise de pouvoir, Gui bénéficie de la complicité intéressée de trois brigands de haut vol:
- Héraclius, patriarche ou évêque de Jérusalem; fornicateur, cupide, viveur et lâche, indigne représentant de l'Église,
- Gérard de Ridefort, grand-maître de l'Ordre des Templiers, conspirateur qui poursuit d'une haine insatiable Raimon III de Tripoli et n'hésitera pas à trahir son camp pour lui nuire,
- Renaud de Châtillon, prince d'Antioche; comme Lusignan, ce cadet doit sa bonne fortune à l'héritière de la principauté qui l'a épousé en raison de sa prestance et malgré les tares de son caractère.

Avide de pillages, Châtillon enfreint régulièrement les trêves conclues entre Francs et Turcs pour lancer des razzias en terre musulmane. Il lui est même arrivé de lancer une expédition en direction de La Mecque. Renaud ayant une nouvelle fois attaqué une caravane, Saladin demande réparation à Lusignan, lequel refuse. C'est la guerre générale.

Saladin se met en marche avec toute son armée en mai 1187. Une dernière tentative de conciliation menée par Raimon III de Tripoli échoue du fait des Templiers. 150 de ceux-ci, menés par Gérard de Ridefort, attaquent une colonne pacifique de quelques milliers de soldats musulmans. Tous les Templiers sont tués à l'exception de trois... dont, hélas, Ridefort.

départ de templiers pour la croisade (chapelle de Cressac, France, XIIe siècle)

Saladin met alors le siège devant la ville de Tibériade, sur les bords du lac du même nom. Parmi les assiégeants figurent la femme et les enfants de Raimon III de Tripoli.

Ce dernier, par devoir, rejoint Lusignan et le supplie de ne pas tenter de sauver la ville. La route jusqu'à Tibériade est désertique, sans point d'eau, et l'armée des croisés serait anéantie avant d'atteindre le lac...

Lusignan se rallie à son avis... l'espace de quelques heures. La nuit venue, Gérard de Ridefort convainc le roi de se mettre en route malgré tout. On sonne le rassemblement. Bien que conscients de la folie de cette marche, les croisés se résignent.

Après une journée de marche en plein soleil, l'armée fait halte sur la colline de Hattîn, au-dessus des rives rafraichissantes du lac, interdites d'accès par Saladin. Le lendemain matin, 3 juillet 1187, la colline se trouve encerclée par les musulmans. C'est le massacre. Presque toute la chevalerie franque perd la vie. Raimon III parvient toutefois à s'enfuir avec quelques chevaliers.

Le sultan s'empare de la relique de la Vraie Croix, une relique qui accompagnait les Francs sur tous les champs de bataille. Il se comporte vis-à-vis des prisonniers avec une magnanimité relative, faisant seulement exécuter les 300 moines-soldats du Temple et de l'ordre des Hospitaliers...

Il épargne provisoirement le grand-maître Gérard de Ridefort. Celui-ci est conduit sous la tente du sultan avec deux autres prisonniers de marque, le roi lui-même et Renaud de Châtillon.

Le sultan tend une coupe remplie de sorbet à la glace à Lusignan, signifiant par ce geste d'hospitalité qu'il ne saurait tuer un roi, aussi indigne qu'il soit. Lusignan tend la coupe à son voisin, Renaud de Châtillon.

Colère de Saladin qui n'entend pas étendre son hospitalité au brigand. Le sultan tire son épée et brise l'épaule du prince d'Antioche. Des soldats entraînent le prisonnier hors de la tente et le décapitent.

Là-dessus, le sultan gagne la côte avec son armée en vue de s'emparer des ports et de prévenir le débarquement d'une nouvelle croisade. Il échoue devant Tyr, sauvée par l'arrivée providentielle d'un croisé énergique, Conrad de Montferrat. Le 20 septembre 1187, l'armée musulmane se présente devant les murailles de la Ville sainte...

Le siège de Jérusalem

La ville, à la surprise de Saladin, s'est mise en état de défense, cela grâce à un chevalier qui faisait partie des prisonniers d'Hattîn. Ce chevalier est l'un des principaux barons palestiniens. Il s'appelle Balian d'Ibelin, du nom d'une localité du sud de la Palestine.

Balian est le type même du «courtois chevalier» si l'on en croit l'historien René Grousset. Il a épousé en secondes noces Marie Comnène, petite-nièce de l'empereur byzantin Manuel Comnène. C'est la deuxième épouse du roi de Jérusalem Amaury 1er et la belle-mère de Baudouin IV le Lépreux et Sibylle de Lusignan.

Comme beaucoup d'autres croisés de Palestine, Balian d'Ibelin nourrit des rapports courtois avec les musulmans, de sorte qu'il obtient de Saladin, après sa capture, le droit de rejoindre Jérusalem pour protéger sa femme.

En arrivant dans la Ville sainte, le baron est ému par la détresse de la population, grossie par les réfugiés des campagnes environnantes. Les malheureux craignent d'être massacrés ou au mieux réduits en esclavage par les vainqueurs de Hattîn.

Il prend en main la défense de la ville. Comme il manque de chevaliers et de guerriers professionnels, il adoube collectivement tous les hommes en état de se battre, autrement dit leur confère la qualité de chevalier avec les obligations qui s'y rattachent!

Pour prendre la ville, Saladin va devoir mettre en branle une douzaine de machines de siège. Ses sapeurs arrivent à percer une brèche dans la muraille.

Le patriarche Héraclius, dont la lâcheté le dispute à la cupidité, dissuade les assiégés de tenter une sortie. Balian sollicite alors une entrevue avec Saladin.

Ce dernier, irrité par la résistance des Francs, exige une reddition à merci et menace : «Je ne me conduirai pas envers vous autrement que vos pères envers les nôtres, qui ont tous été massacrés ou réduits en esclavage!»

A quoi Balian répond : «En ce cas, nous égorgerons nos fils et nos femmes, nous mettrons le feu à la ville, nous renverserons le Temple et tous ces sanctuaires qui sont aussi vos sanctuaires. Nous massacrerons les cinq mille captifs musulmans que nous détenons, puis nous sortirons en masse et aucun de nous ne succombera sans avoir abattu l'un des vôtres !» ( *).

Saladin, interloqué, accorde la possibilité aux chrétiens de se racheter à raison de dix besants pour les hommes, cinq pour les femmes, un pour les enfants. Balian d'Ibelin prend alors le sultan par les sentiments et lui demande de fixer aussi un prix forfaitaire pour les pauvres.

Marché conclu à ce détail près que le grand-maître des Hospitaliers, sur qui l'on compte pour payer la rançon des pauvres, n'accepte de payer que pour 7.000 personnes, en condamnant 11.000 à 16.000 autres à l'esclavage !

Les cohortes de réfugiés sont conduites sous la protection des soldats de Saladin vers les ports de Tyr et de Tripoli, encore aux mains des croisés. Le patriarche Héraclius eut soin d'emporter avec lui tous les objets précieux des églises.

Entré le 3 octobre dans la Ville sainte, Saladin fait aussitôt abattre la croix dorée érigée 88 ans plus tôt au sommet du dôme de la mosquée d'Omar. Puis il se rend sur la côte. Poussant l'ignominie à son comble, ses prisonniers Gui de Lusignan et Gérard de Ridefort ont le front d'exhorter les défenseurs des ports à se rendre.

Lusignan obtient bien plus tard le royaume de Chypre, enlevé aux Byzantins par Richard Coeur de Lion! Sa dynastie va régner sur l'île jusqu'en 1489. Ridefort reçoit quant à lui la juste récompense de ses forfaits. Il es torturé et exécuté dans sa cellule sur ordre de Saladin.

Ainsi prend fin la grande entreprise inaugurée par le pape Urbain II. Pendant un siècle encore, les chrétiens d'Occident vont tenter de reprendre Jérusalem mais sans vigueur ni succès.

Une réussite cinématographique

Le Royaume des Cieux (Kingdom of Heaven) apparaît comme une représentation très réussie de ce grand moment de l'Histoire.

L'atmosphère, les personnages et les faits apparaissent aussi vrais que possible. Une belle leçon d'Histoire. À voir absolument, en famille, de préférence en langue française (la langue que parlaient la plupart des croisés).

André Larané
Publié ou mis à jour le : 2020-04-09 14:40:41
Moreau (09-12-2008 13:13:36)

Reste tout de même le défaut des Occidentaux de croire que le progrès technique ne peut venir que d'eux depuis la nuit des temps. Le réalisateur laisse paraître que les croisés apportent aux Ara... Lire la suite

Auradou (10-09-2006 13:46:05)

J'ai bien aimé, cela est clairement exprimé et fidèle à mes souvenirs au demeurant assez confus

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