26 octobre 2021. Un duel à mort entre deux anciens amis dont l’issue sera décidée par Dieu. Tel est l’événement autour duquel Ridley Scott a tissé la trame de son dernier film. Intrigue classique, qui rappellera aux familiers de la filmographie du réalisateur un précédent film, Les duellistes, réalisé en 1977 et inspiré d’une nouvelle de Joseph Conrad publiée en 1908.
Cette fois, Ridley Scott remonte bien plus loin dans le temps puisqu’il situe l’intrigue à la fin du XIVe siècle et qu’il s’inspire de faits réels. En l’occurrence, il s’agit du dernier « jugement de Dieu » (un duel à mort destiné à révéler qui dit la vérité au terme d’un procès) qui s’est déroulé en France en 1386. Dans la réalité, il a opposé Jean de Carrouges, chevalier à la réputation de combattant bien établi, et Jacques Le Gris, un écuyer lettré, qui sait lire le latin, mais aussi habile et libertin.
Au départ, pourtant, tout va pour le mieux. Le chevalier Jean de Carrouges (Matt Damon) et l’écuyer Jacques Le Gris (Adam Driver) sont amis. Puis le premier commence à subir des revers financiers tandis que l’étoile de Le Gris devient de plus en plus brillante, au point que le voilà l’un des favoris les plus appréciés de la cour du comte d’Alençon (Ben Affleck).
Tout s’envenime lorsque Marguerite de Thibouville (Julie Comer), seconde épouse de Jean de Carrouges, accuse Le Gris de l’avoir violée alors qu’elle avait été laissée seule dans le château de son époux. Celui-ci est d’autant plus furieux qu’il estime avoir déjà été spolié par Le Gris. Comme récompense des services rendus, l’écuyer s’est vu attribuer, grâce aux pressions du comte d’Alençon, un terrain particulièrement rentable qui devait faire partie de la dot de la future épouse de Carrouges…
Le comte d’Alençon, devant qui Carrouges porte l’affaire, prend fait et cause pour son protégé, en dépit de ses aveux. Le chevalier décide alors de porter l’affaire devant le roi Charles VI. Le procès n’aboutissant pas à la manifestation de la vérité, Carrouges demande que soit tenu un duel judiciaire, proposition qu’acceptent Le Gris, le tribunal et le roi. Aucun des protagonistes ne semble avoir cure de la menace qu’une telle procédure fait peser sur l’épouse de Carrouges. Si son mari perd son duel, elle sera considérée comme ayant menti devant le tribunal et sera brûlée vive…
Décantation
Le film lui-même est construit en triptyque qui restitue le récit selon les trois points de vue, celui de Carrouges, de Le Gris, et enfin de Marguerite de Thibouville, l’épouse de Carrouges. Survient alors le procès, très rapidement expédié, puis le combat lui-même dont Jean de Carrouges sortira vainqueur. La reconstitution impressionne, tant par la qualité des costumes que par les décors réels, situés en Dordogne, en Bourgogne et à Paris. Au fil de l’exposé des points de vue, la perception des personnages s’affine, en particulier celui incarné par Matt Damon, le chevalier Jean de Carrouges.
Son interprétation d’un guerrier illettré, impécunieux au point de devoir aller guerroyer pour rétablir ses finances et qui négocie âprement la dot de sa femme afin d’obtenir un terrain rentable qui reviendra finalement à Jacques Le Gris, est saisissante. Il réussit à laisser percer ce sentiment d’humiliation qui rend inévitables les pires extrémités. Son personnage n’attire cependant guère la sympathie car il ne se soucie guère de sa femme ni de ce qu’elle a enduré. Il utilise même ce viol, ou prétendu viol, peu lui importe, pour imposer un combat par lequel il espère une revanche encore plus sociale que personnelle.
L’interprétation de Jodie Comer, qui incarne Marguerite de Thibouville, l’épouse de Jean de Carrouges, laisse une impression mitigée tant elle semble tout droit sortie de l’époque actuelle et transplantée telle quelle dans un Moyen Âge âpre, violent, aux manières si rustres comparées à son raffinement… Dans le rôle de Jacques Le Gris, Adam Driver semble quant à lui très à son aise. Il sait rendre son personnage insaisissable car les motifs qu’avance son personnage pour justifier ce viol, en résumé un flot de passion impossible à arrêter, restent dans l’ordre du discours.
Peut-être est-ce là une faiblesse du film : ce décalage entre un discours ou des discours – sur le motif du viol, sur la nécessité de la justice de Dieu – et un film à grand spectacle qui accorde l’essentiel du temps aux versions des trois protagonistes impliqués et ne s'attarde pas à saisir les particularités et la sensibilité de l'époque. Quant à Ben Affleck, il surprend en comte libertin et lettré, qui méprise le chevalier Jean de Carrouges et se montre soucieux avant tout de protéger son favori Jacques Le Gris.
Le mariage selon les Germains
Paradoxalement, si la parole de Marguerite de Thibouville, l’épouse de Carrouges, est prise avec un tel sérieux, d’abord par son époux puis par tous les protagonistes de l’intrigue, jusqu’aux juges et au roi, cela tient en premier lieu à une misogynie que le mari, Jean de Carrouges, restitue de façon très crue : c’est son bien que Le Gris a violé, bien qui se trouve par ailleurs être son épouse.
Derrière cette première lecture, que le réalisateur a peut-être conçue comme un message de son engagement en faveur de la cause des femmes, il ne faut pas négliger aussi le poids du passé, dans le réel cette fois. Le Moyen-Âge hérite des évolutions majeures qui ont eu lieu à la fin de l’Empire romain et lors de l’instauration de l’empire carolingien.
Les Germains qui envahissent l’Empire apportent une vision très moderne du mariage, en tout cas aux yeux des Romains. L’historien Tacite se fera l’écho de cet étonnement puisqu’il rapporte que « les mariages là-bas [chez les Germains] sont pris au sérieux ». Il ajoute : « Aucun autre aspect des mœurs des Germains n'est plus digne d'éloges. » (note) Comble de la stupéfaction, il relève que les Germains sont les seuls, parmi les Barbares, à se contenter d’une seule épouse, même si les hommes de haut rang reçoivent de très nombreuses propositions de mariage. Cette pratique du mariage va aussi contribuer à valoriser l’épouse sans pour autant toujours en faire un être dont la dignité humaine mérite d’être prise en considération.
La structure et le rythme du film suscitent moins d’appréciations positives. Alors qu’il nous a habitués avec ses autres réalisations à une réelle maîtrise du récit, capable de capter l’attention du spectateur, dans ce dernier opus, Ridley Scott s’enferre dans l’exposé de trois points de vue en grande partie redondants et guère palpitants. Les efforts des comédiens, la beauté des costumes et la splendeur des extérieurs atténuent à grand peine une langueur monotone qui s’approfondit à mesure que s’égrènent les minutes. Le spectateur en vient à s’intéresser à de curieux détails.
Dans plusieurs scènes, les protagonistes se trouvent dans des pièces pourvues de cheminées imposantes. À chaque fois, comment ne pas être frappé par ce qui tient plus du brasier, avec de hautes flammes, plutôt que du feu de cheminée traditionnel ? Ridley Scott a-t-il voulu créer un effet de contraste saisissant dans des pièces plongées dans une semi-pénombre ?
Un autre détail, plus cocasse, étonne aussi. Lorsqu’elle quitte la grande table où le comte d’Alençon ripaille, son épouse s’éloigne à pas rapides avec une démarche inattendue pour une femme parvenue à un tel stade de grossesse, mais surtout, sa robe rebondie dissimule mal les mouvement d’un coussin visiblement mou et flottant. Détails certes mais qui passeraient inaperçus avec moins de redondances et de longueurs.
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