Les élections législatives, quelles qu'elles soient, sont exposées au risque d'une majorité écrasante, auquel cas l'exécutif peut gouverner à sa guise sans se soucier des critiques. Depuis les débuts de la démocratie parlementaire, il y a deux siècles, la France a été confrontée à sept élections de ce type. Il s'ensuit des Chambres dites « introuvables » car elles se signalent par l'absence de débat véritable. Elles ont comme dénominateur commun de survenir dans un contexte politique hors norme, avec un renouvellement profond de la classe politique.
La première a vécu treize mois (août 1815 - septembre 1816) avant d'être dissoute par le roi qui la jugeait trop... royaliste. La deuxième, plus chanceuse, arrive à son terme normal (février 1871 - février 1875) après un considérable travail législatif. Bien qu'à 2/3 royaliste, c'est elle qui met en place les institutions de la IIIe République. La troisième, avec 3/4 de députés républicains, consolide le régime (septembre 1881 - octobre 1885).
La Chambre de novembre 1919 offre une majorité relative (55%) au Bloc national mais amène surtout 369 députés débutants (60% du total). Après un demi-siècle et beaucoup de secousses, voici l'Assemblée de juin 1968, très orientée à droite. Coup de barre à gauche en 1981. Retour à droite en 1993.
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1815 : la première « Chambre introuvable »
Il faut remonter à la Restauration de la monarchie pour trouver pour la première fois une Chambre quasiment monocolore.
Elle est élue en août 1815 dans un contexte politique de crise et de violence. Deux mois plus tôt, la défaite de Waterloo a provoqué la deuxième abdication de Napoléon, la formation d’un gouvernement provisoire dominé par Fouché et Talleyrand et le retour de la Terreur blanche sur fond d’occupation d’une grande partie du territoire par les armées étrangères.
L’heure de la vengeance a sonné pour les royalistes qui veulent en finir avec la Révolution et l’Empire. Après le retour de Louis XVIII à Paris, le 8 juillet, la Chambre des représentants élue durant les Cent-Jours est dissoute. Les 14 et 22 août 1815, on procède à l’élection d’une nouvelle Chambre à partir des collèges d’arrondissements et de départements, soit 72 000 électeurs. 48 500 exercent leur droite de vote.
Sur les 402 sièges de députés à attribuer, 350 reviennent aux ultras royalistes, les autres sont occupés par des royalistes modérés et les défenseurs des libertés constitutionnelles. Une véritable vague réactionnaire. « Chambre admirable », s’émerveille Chateaubriand, le thuriféraire des Bourbons. « Chambre introuvable », s’étonne Louis XVIII, à la fois satisfait mais inquiet des exigences que pourrait avoir une majorité aussi puissante.
« Le désarroi devant la catastrophique expérience des Cent-Jours provoquait un de ces violents mouvements de bascule vers la droite qui ont plusieurs fois marqué les crises politiques de notre histoire contemporaine. Une chambre d’hommes neufs, en majorité hostiles à ce qui rappelait la Révolution et l’Empire », expliquent les historiens André Jardin et André-Jean Tudesq (« La France des notables », Points Seuil,1973).
La très grande majorité, venue des provinces, n’a jamais siégé dans aucune des précédentes assemblées et se trouve quelque peu désorientée. Ces zélés royalistes versent aussitôt dans la surenchère lors des débats sur l’adoption d’une série de législations répressives contre les « complices » des Cent-Jours. Puis, ils s’opposent au gouvernement sur le budget ainsi que sur sa la législation électorale.
Louis XVIII se résout à dissoudre cette assemblée « plus royaliste que le roi » le 5 septembre 1816. Lors des élections suivantes, sur 238 députés, il ne reste plus que 90 ultras, en minorité par rapport aux monarchistes modérés et aux adversaires du régime. Le balancier de la précédente assemblée avait été trop loin.
1871 : le retour des monarchistes
C’est encore un contexte de troubles qui sert de toile de fond aux élections du 8 février 1871.
Suite à la captivité de Napoléon III à Sedan, la République a été proclamée à Paris le 4 septembre 1870, avec formation d’un gouvernement de la Défense nationale. Ce gouvernement provisoire doit se résoudre à capituler face à la Prusse le 28 janvier 1871.
Comme en 1815, le pays est en partie occupé. Le chancelier allemand Bismarck exige que les préliminaires de paix ne soient signés qu’après l’élection d’une nouvelle Chambre afin de traiter avec un pouvoir légitime et non avec un gouvernement provisoire. C’est la raison pour laquelle ces élections sont organisées en quinze jours dans un pays démoralisé et déstabilisé, un laps de temps trop court pour donner la possibilité de faire une véritable campagne.
L’atmosphère s’alourdit encore à deux jours du scrutin avec la démission de Léon Gambetta après l’annulation par le gouvernement de Paris du décret qu’il avait pris frappant d’inéligibilité les plus hauts membres du personnel politique du second Empire.
La droite se revendique comme le camp de la paix et de la défense des libertés et accuse les républicains d’être autoritaires et favorables à la guerre. À l’issue de ce scrutin les monarchistes conquièrent 400 sièges sur 645, dominant une quinzaine de bonapartistes et 150 républicains.
On parle à nouveau de « chambre introuvable ». Cette assemblée royaliste comporte en effet 230 nobles. Là encore, les élus sont en grande majorité des hommes neufs peu compromis avec le précédent régime. Afin de se protéger des Prussiens, la Chambre émigre le 12 février à Bordeaux, et se donne pour président le républicain modéré Jules Grévy.
Le 17 février 1871, Thiers est nommé « chef du pouvoir exécutif de la République française ». La nouvelle assemblée se fixe comme priorité de traiter la question des négociations de paix, préférant remettre à plus tard la nature du régime.
1881 : l’enracinement de la République
Onze ans après la chute du Second Empire et deux ans après la démission du président monarchiste Mac-Mahon, les élections législatives du 21 août et du 4 septembre 1881 marquent l’enracinement de la République.
Contrairement au contexte chaotique qui avait pesé sur l’élection des deux précédentes « chambres introuvables », ce scrutin ne se déroule pas sous la pression d’une guerre, et il est organisé dans une atmosphère politique relativement apaisée sous la présidence du toujours modéré Jules Grévy.
La campagne est sans passion et, en l’absence de partis organisés, elle est marquée par le rôle des comités et des notabilités locales. Le camp républicain (Union républicaine de Gambetta, Gauche républicaine, centre-gauche) l’emporte haut la main avec 411 sièges sur 545, les conservateurs (bonapartistes et royalistes), n’en occupant que 88. Mais c’est l’Union républicaine qui se taille la part du lion avec 204 élus.
Cette assemblée poursuit et approfondit l’œuvre républicaine : adoption des lois sur l’enseignement obligatoire, sur les syndicats, les municipalités et le divorce.
1919 : la « Chambre bleu horizon »
Reconstruction du pays après la Grande Guerre, réintégration des démobilisés, désorganisation économique, inflation, grèves, tensions sociales : c’est à nouveau un contexte hors norme qui caractérise les élections de novembre 1919. Elles donnent à la droite et au centre droit une très ample victoire, inédite depuis 1876.
Le Bloc national conduit par Clemenceau se veut le prolongement de l’Union sacrée. Il recueille 4,3 millions des voix (55% des voix), s’adjugeant 338 sièges sur 626 après avoir axé sa campagne électorale sur la lutte contre le « bolchévisme » et sur l'intransigeance vis-à-vis de l’Allemagne.
« Mais ce sont surtout les dispositions de la loi électorale (avec sa prime à la majorité) ainsi que l’incapacité des socialistes et des radicaux à s’allier qui expliquent l’ampleur de la victoire électorale. Avec 86 élus, les radicaux perdent la moitié de leurs sièges. Quant aux socialistes, ayant progressé en nombre de voix, ils doivent abandonner un tiers de leurs sièges », écrit l’historien Jean-Michel Guieu (« Gagner la paix », Seuil, 2015).
L’une des particularités de cette nouvelle Chambre est qu’elle compte un grand nombre d’anciens combattants (44% d’élus), d’où son nom de « Chambre bleu horizon », en référence à la couleur de l’uniforme des soldats.
Elle présente aussi une autre caractéristique des majorités pléthoriques : une grande quantité de néophytes puisque 60% des élus n’ont jamais occupé de fonction parlementaire auparavant.
Contrairement aux apparences, ce Bloc national ne constitue pas une formation homogène puisqu’il englobe quatre groupes parlementaires (l’Entente républicaine, l’Action républicaine et sociale, la Gauche républicaine démocratique et les Républicains de gauche). Cette coalition ne compose pas non plus une majorité stable car les élus n’obéissent pas à une discipline de groupe et disposent de la liberté de vote.
Victime de ses dissensions, des difficultés économiques et de l’échec de l’occupation de la Ruhr, le Bloc national sera battu aux élections de 1924 par le Cartel des gauches.
1968 : la réaction à la « chienlit »
Les résultats des élections législatives de 23 et 30 juin sont une réaction aux « événements » de Mai 68. Pendant un mois la France avait été paralysée par les mouvements étudiants relayés par les grèves des salariés, et par les manifestations souvent violentes. Le gouvernement de Georges Pompidou avait été débordé et le général de Gaulle s’était éclipsé pendant deux jours à Baden Baden sans même prévenir son Premier ministre.
Pouvoir dépassé, voire vacance du pouvoir au plus haut sommet de l’État, « anarchie » dans la rue, l’explosion de mai 68 plongeait la France dans un chaos dont on ne voyait guère le débouché politique car la gauche n’avait pas été à la hauteur pour exploiter les événements à son avantage.
Le 30 mai, pour reprendre la main et mettre fin à ce qu'il appelle la « chienlit », de Gaulle dissout l’Assemblée nationale et fixe de nouvelles élections législatives au 23 et 30 juin. Dans l’après-midi, près de 400 000 personnes descendent dans la rue pour manifester leur soutien à de Gaulle et à un pouvoir qui vacillait. Cette démonstration de force de la droite ne faisait que présager le raz-de-marée qui allait se traduire sur le plan politique un mois plus tard.
À l’issue du second tour des législatives, la majorité enlève 358 des 485 sièges de la nouvelle Assemblée (291 pour l’UDR soit la majorité absolue, et 62 pour les Républicains indépendants).
Le pays a voté pour le retour à l’ordre, traumatisé par les grève et les violences qui ont mis le pays sens dessus dessous pendant un mois et produit là encore une situation hors norme. Un an plus tard, le divorce est néanmoins consommé entre les Français et le général de Gaulle qui quitte le pouvoir après son échec au référendum sur la réforme du Sénat.
1981 : la vague rose
Une vague bleue avait submergé l’Assemblée en 1968 ; en 1981 c’est au tour d’une vague rose de se répandre dans l’hémicycle bien qu’elle fût un peu moins étendue. Elle fait suite à la victoire historique de François Mitterrand à la présidentielle le 10 mai 1981.
Afin de se tailler une majorité lui permettant de gouverner confortablement, le nouveau chef de l’État dissout l’Assemblée. Au soir du deuxième tour le 21 juin, le Parti socialiste dépasse largement la majorité absolue avec 285 sièges sur 491, son allié communiste en obtenant 44.
La gauche triomphe après 23 ans d’opposition. Mais dès 1984, le PC quitte le gouvernement. En 1986, les déceptions provoquées par la politique gouvernementale entraînent la victoire de la droite. Se met alors en place la première cohabitation de la Vème République, avec François Mitterrand, président de la République, et Jacques Chirac, Premier ministre.
1993 : la plus large majorité de la Vème République
Le mitterrandisme au pouvoir depuis 12 ans est à bout de souffle. François Mitterrand est rongé par la maladie et sa succession se prépare plus ou moins ouvertement. En deux ans, le Président a nommé deux Premiers ministres.
Pierre Bérégovoy, qui a succédé à Édith Cresson en 1992, mène une politique qui brouille un peu plus le clivage gauche-droite et qui est perçue comme libérale. La gauche s’éloigne un peu plus des classes populaires, et le chômage progresse. C’est une gauche crépusculaire qui aborde les élections législatives 1993.
Au soir du deuxième tour, le 28 mars 1993, la droite est triomphante. Avec 488 sièges sur 577, elle détient la plus large majorité de la Vème République. Encore plus fort qu’en 1968 ! Édouard Balladur est nommé Premier ministre : c’est la deuxième cohabitation. Cette déferlante de la droite à l’Assemblée nationale annonce la victoire de Jacques Chirac à la présidentielle de 1995 malgré le duel fratricide qui l’oppose à son « ami de trente ans » Édouard Balladur.
Après l'échec cuisant du parti présidentiel aux élections législatives anticipées de 1997, la Vème République va connaître une troisième cohabitation au niveau de l'exécutif avec un président de droite et un Premier ministre socialiste, Lionel Jospin.
Il va s'ensuivre vingt années de tangage jusqu'aux campagnes présidentielle et législative de 2017 qui voient les partis de gouvernement traditionnels balayés par un raz-de-marée inattendu, celui de La République en Marche d'Emmanuel Macron. Ici on déborde le cadre de l'Histoire pour entrer dans la grande incertitude de l'avenir.
Société française
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