Fin mars, après l'irruption du centriste François Bayrou sur le devant de la scène, la campagne des présidentielles commençait à tourner en rond faute d'argument nouveau.
Tout d'un coup, un déclic : Nicolas Sarkozy, candidat de la majorité sortante, promet un «ministère de l'immigration ET de l'identité nationale».
Chacun dans l'opposition de se demander en quoi peut consister le travail d'un ministre de l'«identité nationale» et s'il est pertinent de rapprocher ce concept de l'immigration.
L'identité nationale serait-elle menacée ? Si elle l'est, je pense que c'est avant tout par le comportement de quelques gens comme Jean-Claude Trichet, président de la Banque Centrale Européenne, qui entame un discours en bafouillant avec un accent inimitable : «I am not a Frenchman» !
Beaucoup de Français de «qualité» affectent comme lui de mépriser leur langue maternelle et lui substituent l'anglais international, le «globish», ce charabia aux antipodes de l'anglais littéraire. Que ne prennent-ils exemple sur leurs homologues japonais, demeurés fidèles à une langue et une écriture difficile sans que cela leur ait porté préjudice dans la conquête des marchés mondiaux !
Sur la foi de quelques sondages, la candidate de la gauche socialiste, Ségolène Royal, s'est crue obligée de surenchérir sur le discours identitaire de son principal adversaire.
Elle se flatte désormais de faire chanter laMarseillaise à son public et engage tous les Français à pavoiser leurs fenêtres aux couleurs tricolores... Pour le Parti socialiste, c'est une révolution culturelle si l'on songe que son ancien leader, Lionel Jospin, rechignait à prononcer ne serait-ce que le mot France. Il préférait parler «des hommes et des femmes de ce pays».
Dans une campagne présidentielle dont sont absents l'Europe et les enjeux internationaux, que penser de cette mise en avant de la Nation et de ses symboles par les principaux candidats ?...
Hasardons-nous à un petit rappel historique.
Jusqu'à la Révolution, il y a 200 ans, ni la France ni le reste de l'Europe n'utilisaient de symboles nationaux (drapeau, hymne...). C'était en général l'attachement à la dynastie régnante qui servait de liant à la communauté nationale, comme c'est encore le cas en Angleterre (le socialiste Tony Blair l'a bien compris en protégeant la famille Windsor après la mort de la princesse Diana, en 1997).
Lorsqu'en France, en 1792, le roi cesse de jouer sa fonction fédératrice, les révolutionnaires inventent des symboles en remplacement. C'est d'abord, dans les jours qui suivent l'entrée en guerre du pays contre l'Autriche, un chant de guerre pour galvaniser les troupes. Ce Chant de guerre pour l'Armée du Rhin sera rebaptisé un peu plus tard la Marseillaise.
Quelques mois passent. L'invasion menace. La Révolution se durcit. On proclame la Patrie en danger. On instaure la Terreur. Et en 1794, l'Assemblée de la Convention impose un drapeau tricolore, celui que nous connaissons aujourd'hui. Auparavant, il n'y avait de pavillon national que pour les navires, afin qu'ils puissent s'identifier. Dans l'armée, par contre, chaque régiment avait ses propres couleurs. Désormais, tout le monde se range sous la même bannière.
Peu avant, en 1791, soulignons-le, l'église Sainte-Geneviève est transformée en Panthéon pour honorer les gloires nationales (on adorne son fronton de l'inscription célèbre : «Aux grands hommes la patrie reconnaissante»). Cette innovation, comme les précédentes, vise à rassembler les Français, orphelins du roi, autour d'une mystique républicaine.
Après la Révolution et l'Empire, en 1814, la monarchie est restaurée en la personne de Louis XVIII, frère de Louis XVI. Le souverain et son entourage rejettent avec horreur le drapeau tricolore et lui substituent le drapeau blanc, qu'ils prétendent être celui d'Henri IV (allusion au panache blanc de la bataille d'Ivry).
Lors de la révolution des Trois Glorieuses, qui installe en 1830 la famille d'Orléans sur le trône en la personne de Louis-Philippe 1er, le drapeau tricolore fait un retour remarqué. On le voit en bonne place sur la célèbre toile de Delacroix : La Liberté guidant le peuple car il est la marque de reconnaissance des révolutionnaires.
Cela dit, les Français ne pratiquent guère le culte des trois couleurs. La preuve en est qu'à la révolution suivante, en 1848, il faut toute l'éloquence de Lamartine pour imposer leur maintien face aux manifestants qui réclament le drapeau rouge. La Marseillaise, quant à elle, échappe à la France et s'internationalise. Dès 1830, elle est devenue le chant révolutionnaire favori de tous les Européens.
Jusqu'à la fin du Second Empire, en 1870, les symboles de la Révolution suivent une vie paisible, sans affectation ni exaltation. Que ce soit sous la monarchie de Juillet (1830-1848), sous la Seconde République (1848-1852) ou sous Napoléon III, on s'en sert sans plus.
Tout change après la chute du Second Empire, l'invasion du pays par l'Allemagne, l'écrasement de la Commune et la perte de l'Alsace-Lorraine.
Les républicains peinent à imposer leur légitimité face aux monarchistes, encore très influents dans les campagnes.
Mais ceux-ci s'éliminent d'eux-mêmes par la faute de leur prétendant, le comte de Chambord, qui exige de remonter sur le trône avec le drapeau blanc, souvenir des mauvais jours de la Restauration !
Au terme de la décennie, la IIIe République, enfin installée, restaure activement les symboles de la Révolution.
La Marseillaise est proclamée hymne national le 14 février 1879. Et l'on exalte comme jamais les trois couleurs, à preuve la toile célèbre de Claude Monet (ci-contre) : Rue Montorgueil, fête nationale du 30 juin (Claude Monet, 1878, musée d'Orsay).
Un peu plus tard, le Panthéon, qui avait été rendu au culte par Napoléon 1er, est laïcisé sous sa forme actuelle à l'occasion des funérailles de Victor Hugo, en 1885.
Cette ferveur nationaliste se double d'un élan anticlérical et antireligieux. Normal ainsi que l'analyse l'historien René Rémond : «La nation se substitue à l'Église comme société globale. Elle se suffit à elle-même : elle n'a plus besoin de se référer à un principe transcendant. Émancipée de toute dépendance à l'égard de la religion, elle devient une réalité séculière.
(...) La nation devient religion à son tour, religion séculière : elle se mue en absolu et le sentiment du sacré qui délaisse la religion se reporte sur la nation : on lui dévoue sa vie, on meurt pour elle, on lui dédie toutes ses pensées, on combat pour sa liberté ou sa grandeur» (Religion et société en Europe, Stock, 1998).
C'est l'époque où le philosophe Ernest Renan définit et exalte la Nation française dans une conférence célèbre (1882). C'est aussi l'époque où Jules Ferry engage la République dans l'aventure coloniale, qualifiée de «mission civilisatrice», et prépare la revanche sur l'Allemagne. Cette revanche viendra une génération plus tard. Ce sera la Grande Guerre !...
Entre les deux guerres mondiales, Jeanne d'Arc vient s'ajouter aux symboles républicains. Le Parlement décrète une fête en son honneur le 8 mai et pour faire bonne mesure, le pape la canonise en 1920.
Il faut attendre l'arrivée du général de Gaulle à la tête du pays en 1958 pour que la République, décrispée et fière d'avoir retrouvé une place honorable dans le concert des nations, cesse de gémir sur son identité menacée...
Le général est mort il y a près de 40 ans et, depuis lors, la voix de la France s'est singulièrement atténuée au point de devenir inaudible. Les symboles de la République seraient-ils redevenus, comme au temps de Jules Ferry, le dernier recours contre l'adversité ?
Remerciements à Catherine Castets, journaliste au Nouvel Economiste, qui m'a conduit à cette réflexion à travers un entretien sur le drapeau tricolore.
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