Être ouïghour aujourd'hui, c'est vivre dans une région en état de siège : les stations-services sont enfermées derrière des barbelés pour éviter les attentats, les contrôles policiers s'enchaînent, les déplacements sont minutieusement suivis.
Partout, les caméras surveillent, les derniers systèmes de scanners pour la reconnaissance faciale sont en action tandis que le contenu des téléphones portables est passé au crible. Véritable laboratoire de ce que veut le pouvoir pour le reste de la Chine, le Xinjiang a le triste privilège de tester les plus hautes technologies en matière d'identification, de suivi et de fichage des individus.
Un peuple en péril
Selon une enquête de l'agence Associated Press, l'un des objectifs de Pékin serait de limiter les naissances au Xinjiang, et ce par tous les moyens : tests de grossesses, stérilisation voire avortements forcés. Ainsi le taux de stérilisation des femmes ouïghoures a été multiplié par 7 en deux ans. En quelques années, la démographie au Xinjiang a chuté, plongeant par exemple de 60 % entre 2015 et 2018 à Kashgar (source France24). Il faut dire que les habitants de la région ayant au moins 3 enfants risquent des amendes ou l'emprisonnement.
Cette politique a d'abord pour but d'inverser les chiffres des densités de population, les colons hans étant destinés à devenir majoritaires, selon la vieille idéologie communiste. Alors qu'ils ne représentaient que 10 % de la population du Xinjiang après guerre, ils sont aujourd'hui 30 % des habitants et ce chiffre ne cesse d'augmenter.
En adoptant cette pratique d'« entrave des naissances », la Chine s'expose être accusée de « génocide » puisqu'il s'agit d'un des critères définissant ce crime, selon la convention de l'ONU de 1948.
Par ailleurs, plusieurs rapports internationaux, auxquels s'ajoutent des témoignages, font état de trafic d'organes retirés aux prisonniers ouïghours, ce qui expliquerait le délai extrêmement court qui permet à un malade chinois de subir une transplantation, dans un pays où il est traditionnellement interdit de toucher aux corps des défunts. Il en découle d'ailleurs désormais un véritable tourisme de la transplantation « à la carte ».
Des réactions encore timides
Depuis plusieurs années maintenant, des témoignages multiples ont révélé au monde l'ampleur de la répression au Xinjiang. Pourtant, elles n'ont suscité pendant longtemps que bien peu de réactions. Comment l'expliquer ?
Pour le monde musulman, qui devrait pourtant faire preuve de solidarité envers un peuple partageant la même religion, le silence est de mise. L'Arabie saoudite comme l'Iran souhaitent garder de bons rapports avec la Chine, tandis que la Turquie, qui accueille une forte minorité ouïghoure et avait commencé à réagir l'an dernier, est désormais dans la retenue, occupée sur d'autres fronts (Syrie, Lybie, Chypre...) ou préférant des actions symboliques pour contenter ses croyants les plus fondamentaux (transformation en mosquée de l'ancienne basilique Sainte-Sophie).
Cependant, dans les pays occidentaux, quelques voix se sont fait entendre depuis 2019 pour dénoncer la situation au Xinjiang et réclamer des enquêtes. À la suite de Michelle Bachelet, Haut-Commissaire aux droits de l'Homme de l'ONU qui a demandé en mars 2019 un accès total à la région du Xinjiang, plusieurs pays ont fait le souhait de plus de transparence. On a ainsi assisté à une prise de position claire de 23 États, principalement occidentaux, en juillet 2019, devant ce même Conseil des droits de l'homme.
Mais cet engagement a été suivi d'une lettre destinée à défendre la politique de Xi Jinping et à le féliciter pour sa répression du terrorisme, lettre signée par 37 pays parmi lesquels on compte la Russie, l'Arabie Saoudite, le Qatar ou encore l'Algérie. Il faut dire qu'après le retrait des États-Unis de cette institution, c'est la Chine qui a pris le relais...
En juin 2020 ce sont les États-Unis qui ont fait entendre leur voix avec la promulgation du Uyghur Human Rights Policy Act condamnant la violation des droits des Ouïghours, loi suivie par des sanctions à l'encontre d'entreprises chinoises. Cette prise de conscience, plutôt tardive, de Washington intervient dans un climat de tension entre les deux pays sur fond de Covid-19 et de guerre commerciale, ce qui peut laisser dubitatif sur les véritables intentions des États-Unis.
De son côté la France a à plusieurs reprises fait part de son inquiétude et de son indignation, avec de plus en plus de force. Devant l'Assemblée nationale, le 28 juillet 2020, le ministre des Affaires étrangères réitérait son appel à l'envoi d'une mission internationale indépendante au Xinjiang. La semaine précédente, il avait déjà dénoncé « de[s] pratiques injustifiables, qui ne peuvent être ignorées ». Autre membre du gouvernement, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire, interrogé par France Info le 21 juillet, a qualifié l'internement des musulmans du Xinjiang de pratique « révoltante et inacceptable ».
Pour répondre à ces accusations, Pékin s'est contenté d'évoquer des « mensonges ». Et de nouveau, 46 États ont signé une lettre de soutien officiel à la politique de Xi Jinping, lors de la session du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU de 2020.
S'en prendre à l'économie de la Chine sera-t-il plus efficace ? Certaines marques de vêtement comme Lacoste et Adidas commencent ainsi à déclarer vouloir cesser dès que possible tout accord commercial ayant un lien avec la région. Le chantage semble cependant de bien peu de poids face aux grandes manœuvres entreprises par Pékin pour garder la mainmise sur le Xinjiang et ses richesses.
« Il est question d'internement des Ouïgours, de camps de détentions massives, de disparitions, de travail forcé, de destruction du patrimoine culturel ouïghour, en particulier des lieux de culte, de surveillance de la population et, plus globalement, de tout un système répressif mis en place dans cette région.
Nous ne pouvons accepter cette situation. Nous nous sommes exprimés à de nombreuses reprises lors de nos échanges avec nos partenaires européens, en soulignant nos préoccupations concernant les camps d'internement, dont nous avons demandé la fermeture. Nous continuerons, mesdames, messieurs les sénateurs, à condamner fermement ces pratiques.
Je constate que les autorités chinoises ont réagi aujourd'hui à mes propos. Nous avons bien pris note de leur réponse. Pour autant, nous maintenons nos positions. Elles sont bien connues des autorités chinoises, puisque le Président de la République, lorsqu'il s'était rendu en Chine en novembre dernier, en avait fait part avec beaucoup de fermeté ».
Les Xinjiang Police Files
À l'automne 2019 a couru sur les réseaux sociaux une vidéo postée sur YouTube par le compte anonyme "War on Fear". Le film, réalisé par drone, montre des hommes à terre, yeux bandés et mains attachés dans le dos avant d'être transférés dans des trains. Confrontés à la vidéo, l'ambassadeur de Chine au Royaume-Uni a simplement parlé de déplacement de prisonniers, « comme dans n'importe quel pays »...
Mise au second plan par la pandémie de Covid-19, la situation des Ouïghours ne fut pas pour autant totalement oubliée : en avril 2021, c'est l'ONG Human Rights Watch qui, dans un rapport rédigé en coopération avec l'université de Stanford, accuse la Chine de « crimes contre l'Humanité ». Quelques mois plus tard, les États-Unis de Joe Biden dénoncent un « génocide », suivis le 20 janvier 2022 par les députés français qui adoptent une résolution portant sur « la reconnaissance et la condamnation du caractère génocidaire des violences politiques systématiques ainsi que des crimes contre l’humanité actuellement perpétrés par la République populaire de Chine à l’égard des Ouighours ».
Pour autant, la France décide de ne pas suivre le boycott diplomatique des Jeux Olympiques de Pékin lancé par les États Unis, le Royaume-Uni et le Canada. Est-ce pour répondre à cet élan d'indignation que le gouvernement chinois choisit une skieuse d'origine ouïghoure pour allumer la flamme lors de la cérémonie d'ouverture ? Le symbole, fort, est un véritable pied-de-nez lancé aux critiques.
Les opposants ne désarment pas pour autant : le jour de l'arrivée dans le Xinjiang de Michelle Bachelet, Haute-Commissaire de l’ONU pour les Droits de l’Homme, pour une visite à huis clos, un groupe de 14 médias internationaux, dont Le Monde , publient de nouveaux documents accusateurs. Ces Xinjiang Police Files, des milliers de fichiers informatiques datés de 2000 à 2018, sont autant autant de preuves de la répression s'exerçant dans la région. Discours officiels encourageant la politique d'emprisonnement, informations sur les centres de détention, photographies de près de 3 000 détenus, hommes et femmes de tous âges... En s'emparant des dossiers de la préfecture de Shufu, dans l'ouest de la région, les hackers apportent une nouvelle preuve de l'existence d'un système policier répressif très organisé. Lors de sa rencontre avec Mme Bachelet, Xi Jinping aurait simplement expliqué qu'« Il n’existe pas de pays parfait en matière de Droits de l’Homme »...
Vos réactions à cet article
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Christian (03-12-2022 06:00:41)
"(Dans le cas des Ouïgours), on a affaire à une entreprise planifiée de grande ampleur, ce qui est l’essence même du concept de génocide. La répression est culturelle, linguistique, ethnique, ... Lire la suite
Shaï (28-09-2020 12:08:16)
Chaque siècle a connu ses génocides, ses horreurs. Il y a tellement de colossales sommes d'argent en jeux, que ce soit en Orient ou en Occident, tellement de happy fews qui en profitent et s'engrais... Lire la suite
Jacmé (28-09-2020 08:55:07)
Nous assistons ici à une "réédition" modernisée de ce qui s'est passé au Tibet il y a quelques décennies: génocide lent, résistance assimilée au banditisme (ou, actuellement, au terrorisme) a... Lire la suite