La France d'outre-mer

Nouvelle-Calédonie, archipel écartelé

Cet archipel du Pacifique a été découvert en 1774  par l'Anglais James Cook qui l'a baptisé Nouvelle-Calédonie du fait de sa ressemblance avec son Écosse natale.  Mais c'est seulement bien plus tard que les Européens vont s'y intéresser. Le 24 septembre 1853  le contre-amiral Febvrier-Despointes en prend possession au nom de l'empereur Napoléon III.

Avec cette annexion, la France renoue avec les aventures ultramarines, un siècle après la perte de son premier empire colonial, lors du traité de Paris

De toutes ses conquêtes coloniales de la fin du XIXe siècle, celle-ci est la seule qui fait l'objet d'une colonisation véritable, au sens traditionnel du terme : après un semblant de négociations avec les habitants, le gouvernement attribue des terres à des colons venus de la métropole, de la même façon qu'en Nouvelle-France (Québec actuel), aux XVIIe et XVIIIe siècles, ou en Algérie au début du XIXe siècle. La tentative va se traduire par de violentes guerres contre les autochtones, des Mélanésiens désignés sous le nom générique de Kanak (note) et finalement se solder par un demi-échec.

Un siècle et demi plus tard, cet archipel à peine deux fois plus étendu que la Corse et aussi peuplé qu'elle (270 000 habitants en 2018) bénéficie d'une complète et généreuse autonomie mais souffre de graves tensions du fait des handicaps sociaux, éducatifs et économiques dont souffre la minorité mélanésienne. Son avenir  reste suspendu au processus électoral enclenché par les accords de Matignon de 1988...

André Larané, avec la contribution des Amis d'Herodote.net de Nouvelle-Calédonie
Difficile cohabitation entre anciens et nouveaux arrivants

La Nouvelle Calédonie aujourd'hui (DR)D'une superficie totale de 18 000 km2, la Nouvelle-Calédonie est constituée d'une Grande Terre, surnommée « le Caillou », et des îles Loyauté (Lifou, Maré et Ouvéa). L'archipel est divisé en trois provinces (Sud, Nord et Loyauté).
La Grande Terre est formée d'une longue arête montagneuse propice à l'élevage extensif. Elle est entourée d'un immense lagon à la faune et à la flore exceptionnelles.
La Nouvelle-Calédonie n'est encore peuplée que de 270 000 habitants (2018). L'essentiel de la population réside au sud, autour de la capitale Nouméa. La majorité des habitants sont issus de la colonisation française. Ce sont  pour un quart des colons et descendants de bagnards européens - Caldoches dans l'argot local - et des métropolitains - ou Zoreilles -, mais aussi pour un tiers des Chinois, Vietnamiens, Polynésiens, métis etc.
Divisés en de nombreuses tribus, les Kanaks sont des Mélanésiens présents sur l'archipel depuis plusieurs millénaires. Ils constituent près de 40% de la population et sont très majoritaires au Nord et dans les îles Loyauté.
La principales ressource de la Nouvelle-Calédonie est le nickel, dont elle est l'un des principaux producteurs mondiaux avec 25% des réserves mondiales. Le prix de cet « or vert » indispensable à la production d'acier inoxydable a atteint 50 000 dollars la tonne en 2007 pour retomber à 12 000 dollars dix ans plus tard.
L'île bénéficie d'une relative prospérité, en comparaison des États voisins ou même de la Polynésie française (Tahiti). Elle souffre toutefois de grandes inégalités sociales et d'une insécurité endémique due au mal-être d'une partie de la jeunesse kanake. 

Le bagne de Nouvelle-Calédonie (fin du XIXe siècle)

Renaissance kanak

C'est seulement dans les années 1920 que la population kanak, tombée de 40 000 à 27 000 individus, a repris sa croissance démographique, face à 14 000 colons et immigrants d'autres origines. Tout change avec la Seconde Guerre mondiale. En 1942, les États-Unis en guerre contre le Japon transforment la Nouvelle-Calédonie en base arrière. L'île en vient à accueillir pas moins de 50 000 Américains ! À leur contact, les Calédoniens accèdent soudainement à la modernité.

Après la guerre et le départ des belligérants, la Nouvelle-Calédonie est transformée en collectivité d'outre-mer en 1946 comme la plupart des autres colonies françaises. L'indigénat est supprimé et les Kanaks deviennent citoyens français. Ils exercent leur droit de vote pour la première fois en 1953. Un parti multiethnique est constitué, l'Union calédonienne, avec l'objectif de rassembler tous les habitants. Sa devise ? « Deux couleurs, un seul peuple ». Il va conduire d'importantes réformes (droit syndical, égalité des salaires à compétence égale, allocations familiales, assurance santé calquée sur la sécurité sociale française…). Des inégalités n'en subsistent pas moins dans l'accès au foncier et à l'emploi.

Jean-Marie Tijbaou (1936-1989), figure politique du nationalisme kanak. En agrandissement : Eloi Machoro brisant l?urne de sa mairie à coup de hache en 1984.La loi Deferre accorde en 1956 le statut de Territoire d’Outre-Mer, à la Nouvelle-Calédonie ainsi qu'à la Polynésie française, avec un pouvoir exécutif local largement autonome.

Ces deux collectivités ne sont pas formellement incluses dans la République française et se réservent la possibilité de devenir indépendantes car, à la différence des vieilles colonies devenues départements français (Martinique, Guadeloupe, Guyane, Réunion), elles ont l'une et l'autre une histoire et un peuplement bien antérieurs à la prise de possession par la France.

Mais un retour en arrière se produit en 1963 avec la loi Jacquinot : l’exécutif local revient au Haut-Commissaire  de la République (surnommé « Haussaire »). C'est que depuis l’installation du Centre d’Expérimentation nucléaire du Pacifique en Polynésie Française, Paris veut garder l'oeil sur ses territoires du Pacifique !

Une nouvelle régression survient en février 1969 avec les lois Billotte qui enlèvent des compétences majeures à l’Assemblée Territoriale : l’enseignement, la tutelle des communes et surtout les Mines. C'est afin de permettre à la Société Le Nickel de se développer sans entraves. De fait, sa production va rapidement tripler.

Incompréhension et drame

Le « boom » économique des années 70 accélère l'arrivée de nouveaux habitants en provenance de Polynésie, d'Indochine et bien sûr de métropole.

Les Kanaks deviennent minoritaires dans leur propre pays. La voie démocratique de l’Union Calédonienne est terminée. Place aux jeunes révolutionnaires du Parti de Libération Kanak (Palika) de Paul Néaoutyne et du LKS (Libération Kanak Socialiste) de Nidoïsh Naisseline. L’Union Calédonienne elle-même explose en 1976 et Jean-Marie Tjibaou, un ancien prêtre, en prend la tête avec le mot d’ordre d’« indépendance kanak » cependant que la plupart des Européens s’en vont rejoindre Jacques Lafleur, leader des élus caldoches (habitants d'origine européenne).

Drapeau kanak indépendantiste kanak (Nouvelle-Calédonie)Un Front Indépendantiste est créé en 1979, suivi de la création du FLNKS  (Front de libération nationale kanak et socialiste), le 24 septembre 1984, en vue du boycott actif des élections territoriales du 18 novembre 1984. C’est le point de départ des « événements » de 84-88 avec l’image d’Eloi Machoro brisant l’urne de sa mairie à coup de hache.

Sépultures des victimes indépendantistes de l'assaut de la grotte d'Ouvéa (5 mai 1988), DRLe 5 décembre 1984, en rentrant le soir d’une réunion de village, deux voitures chargées de militants de l'Union calédonienne sont prises dans le feu croisé d’une demi-douzaine de tireurs embusqués. Le but de l’embuscade était de tuer Jean-Marie Tjibaou mais celui-ci était parti dans une autre direction. Il y a dix morts par armes à feu, dont deux frères du leader indépendantiste. Les meurtriers, des métis hostiles à l'indépendance, seront jugés et acquittés au nom de la légitime défense car des maisons de colons avaient été incendiées dans la région et ils se seraient sentis menacés...

Les troubles se multiplient et, le 12 janvier 1985, Éloi Machoro, qui a pris en otage un Européen dans sa maison, est tué ainsi qu'un autre indépendantiste par un gendarme du GIGN (Groupe d'Intervention de la Gendarmerie Nationale). L'archipel menaçant de basculer dans la guerre civile, l'état d'urgence est institué.

Le 22 avril 1988, en réaction, un commando kanak prend en otage 27 gendarmes et s'empare d'armes diverses (5 gendarmes sont tués au cours de l'attaque). La grotte d'Ouvéa où se réfugient les rebelles est prise d'assaut par l'armée le 5 mai 1988, entre les deux tours des élections présidentielles. 19 preneurs d'otages sont tués ainsi que deux militaires. Le réalisateur Mathieu Kassovitz a tiré de ce drame un film engagé et instructif, L'Ordre et la Morale (2011).

L'apaisement va revenir enfin grâce à l'entremise du nouveau Premier ministre Michel Rocard et le 26 juin 1988, Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur signent les accords de Matignon : en attendant une éventuelle indépendance, le territoire obtient une complète autonomie avec un gouvernement, un Parlement, une justice et un budget autonomes.

Par ailleurs, la France s'engage à apporter au territoire une aide économique conséquente en vue d'atténuer les inégalités sociales et économiques entre les Kanaks et les autres habitants (malgré cela, l'ONU persiste à ranger la Nouvelle-Calédonie ainsi que la Polynésie parmi les dernières colonies de la planète !).

Las, Jean-Marie Tjibaou ne va guère jouir de ce succès. Le 4 mai 1989, il est assassiné ainsi que son bras droit Yeiwéné Yeiwéné par un dissident kanak.

Les cases du centre culturel Tjibaou (DR)

Fractures politiques et sociales

En signe de réconciliation avec leur Histoire, les indépendantistes kanaks renoncent à faire du 24 septembre, anniversaire de la colonisation française, une journée de deuil. Le gouvernement, de son côté, confie à l'architecte Renzo Piano la conception du Centre Culturel Tjibaou afin de promouvoir la culture kanak. Le centre est inauguré près de Nouméa le 5 mai 1998 par le Premier ministre Lionel Jospin.

Le même jour, un nouvel accord conclu à Nouméa a prévu un premier référendum d'autodétermination le 4 novembre 2018 et ménagé la possibilité d'un deuxième référendum en 2020 et un troisième en 2022.

Du premier référendum, il a résulté un rejet de l'indépendance à près de 60% des votants, la majorité, constituée par les Européens et les autres immigrants venus de Polynésie et d'Asie, préférant une autonomie très étendue, sous l'égide de la France, à une indépendance aventureuse, cependant que les Kanaks, dans leur quasi-totalité, restent attachés au rêve de Jean-Marie Tjibaou.

Le deuxième référendum, le 4 octobre 2020, a traduit une progression du vote indépendantiste à 47%, l'écart avec le vote loyaliste n'étant plus que de dix mille voix au lieu de dix-huit mille en 2018. C'est la conséquence de deux phénomènes :
• Les fractures sociales, éducatives et économiques se sont plutôt aggravées entre les Kanaks, très majoritaires dans la province du Nord et les îles Loyauté, et les autres Calédoniens, majoritaires dans la province du Sud. Cela malgré un effort financier conséquent de la métropole en faveur des premiers et l'ouverture en 2014 d'une usine de nickel dans la province du Nord.
• Les Kanaks bénéficient d'une fécondité plus élevée que le reste de la population et voient leur poids relatif augmenter peu à peu.

Le troisième référendum, le 12 décembre 2021, s'est soldée par une abstention record, les partis indépendantistes ayant prôné l'abstention au prétexte que les contraintes sanitaires liées à l'épidémie de covid-19 auraient entravé le déroulement de la campagne. Il semblerait que les indépendantistes vont plaider pour un nouveau référendum lorsque les Kanaks seront devenus clairement majoritaires dans le corps électoral...


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La France d'outre-mer
Publié ou mis à jour le : 2024-08-20 09:23:57

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