21 juillet 2024. C’est une opinion publique abasourdie qui a appris la tentative d’assassinat dont a été victime Donald Trump lors d’une réunion politique à Meridian en Pennsylvanie. Mais loin des apparences, cet attentat n'infléchit pas la tendance à la pacification de nos démocraties sur le long terme...
Ce drame, survenu le 13 juillet 2024, souligne bien sûr le caractère endémique de la violence aux États-Unis. Profitant d’une législation très souple sur la vente d’armes, des activistes aux mobiles souvent flous voire futiles ont recours, davantage qu’ailleurs, aux assassinats ciblés de personnalités. Ainsi, sur un total de 46 présidents américains, quatre ont été abattus, cela en moins d'un siècle (1865-1963). Tous par arme à feu.
Les tentatives manquées, comme celle qui a visé Donald Trump, semblent bien plus nombreuses.
Candidat à un nouveau mandat, comme Trump, l'ex-président républicain Theodore Roosevelt fut ainsi la cible d’un tireur en plein meeting à Milwaukee le 14 octobre 1912.
Atteint à la poitrine, il fut sauvé par son étui à lunettes et continua même son discours pendant une heure et demie, la chemise maculée de sang. Il fut toutefois finalement battu par le démocrate Thomas W. Wilson du fait de la division de son propre parti.
Plus près de nous, le 15 mai 1972, l’ancien gouverneur démocrate d’Alabama George Wallace, candidat aux primaires du parti démocrate, est lui aussi visé par un déséquilibré en mal de notoriété, Arthur Bremer.
Il restera hémiplégique et ne pourra poursuivre la course à la présidence, qui sera remportée par Richard Nixon.
L'attentat de Meridian est également loin d’être isolé dans le monde. Ces dernières années, plusieurs personnalités politiques ont elles aussi été victimes de tentatives d’assassinat. Le 16 juin 2016, une semaine avant le référendum sur le Brexit, la députée britannique travailliste Jo Cox est tuée par un loup solitaire d'extrême-droite, Thomas Mair (52 ans).
En 2018, en pleine campagne présidentielle, le leader populiste brésilien Jair Bolsonaro a été poignardé à l’abdomen par un illuminé. Cela ne l'a pas empêché de se faire élire. Bien au contraire. En mai dernier, un activiste de 71 ans a fait feu sur le Premier ministre slovaque, Robert Fico, le blessant grièvement. L’ancien Premier ministre japonais Shinzo Abe eut quant à lui moins de chance. Le 8 juin 2022, il fut assassiné de deux balles dans la tête durant une réunion politique.
Cela fait en huit ans (2016-2024) deux assassinats et trois tentatives visant des personnalités politiques. Ces drames interviennent pour la plupart dans un contexte électoral chahuté marqué par la montée de courants dits populistes, en contestation des partis traditionnels et des classes dirigeantes.
On peut y voir un tournant par rapport aux treize années précédentes dont on ne retient que la mort tragique de Benazir Bhutto, chef de l'opposition pakistanaise, tuée ainsi qu'une vingtaine d'autres personnes dans un attentat à la bombe à Rawalpindi le 27 décembre 2007. L'attentat sera aussitôt revendiqué par le mouvement terroriste al-Qaida...
Nous constaterons à la lumière de l'Histoire que les attentats politiques procèdent par vagues tout en ne frappant - cruelle injustice - que les démocrates et jamais les dictateurs et les tyrans ! Cela se vérifie même en Russie où le seul tsar assassiné par des agitateurs politiques est le tsar Alexandre II qui avait mérité le surnom de « libérateur ».
XXe siècle : brèves éruptions de violence
Il faut remonter à 2002-2003 pour constater une nouvelle éruption de violence en Europe. En France, le 27 mars 2002, survient une tuerie au conseil municipal de Nanterre . Elle cause huit morts. Le tueur est un Français de 33 ans, Richard Durn, né en Slovénie. Là-dessus, lors du défilé du 14 juillet 2002, un militant d'extrême-droite de 25 ans, Maxime Brunerie, tire sur le président Jacques Chirac. Enfin, lors de la Nuit blanche du 5 octobre 2002, le maire de Paris Bertrand Delanoë est poignardé à l'Hôtel de ville par un dénommé Azedine Berkane qui sera plus tard interné. Cette année 2002 se signale aussi et surtout par l'accession de Jean-Marie Le Pen (Front national, extrême-droite) au second tour de l'élection présidentielle, le 21 avril 2002.
La même année, le leader d’extrême droite néerlandais Pim Fortuyn est abattu le 6 mai 2002 à Hilversum en pleine campagne législative. Dix jours plus tard, son parti devenait le 2e parti néerlandais avec 17% des voix.
L'année suivante, le 11 septembre 2003, la ministre suédoise des Affaires étrangères Anna Lindh, est poignardée dans un magasin de Stockholm par un fils d'immigrants serbes, Mijailo Mijailovic, trois jours avant le référendum sur l’euro pour lequel elle appelait à voter Oui. Notons qu'elle s'était aussi opposée à l'agression américaine en Irak, comme Chirac, Schröder et Poutine.
Les deux décennies antérieures sont marquées par quatre attentats mortels d'une grande portée symbolique et géopolitique. Le 31 octobre 1984, c'est Indira Gandhi, Premier ministre de l'Union indienne, qui est assassinée à New-Delhi par ses gardes du corps sikhs. Le 28 février 1986, le Premier ministre Olof Palme est tué à bout portant par un inconnu alors qu'il sort paisiblement d'un cinéma de Stockholm avec son épouse. Sa mort signe le crépuscule de l'exemplaire social-démocratie suédoise. Le 29 juin 1992, l'éphémère président de la République algérienne Mohamed Boudiaf est assassiné en public par un officier islamiste. Sa mort tue l'espoir d'une démocratisation du pays. Enfin, le 4 novembre 1995, le Premier ministre israélien Itzhak Rabin est tué à l'issue d'un discours à Tel Aviv par un extrémiste juif qui lui reprochait la signature des accords d'Oslo avec le Palestinien Yasser Arafat.
La décennie 1970 coïncide en Occident avec la contestation de la guerre du Vietnam, la lutte des noirs américains pour leur droits civiques, une flambée de terrorisme (les « années de plomb ») et les derniers feux de la guerre froide USA-URSS, sans compter l'émergence du terrorisme islamiste. Faut-il s'en étonner ? Cette violence va de pair avec une recrudescence des attentats politiques.
La série débute par anticipation en Amérique du nord. Le 4 avril 1968, Martin Luther King est abattu au balcon de sa chambre d'hôtel de Memphis par un repris de justice blanc de 36 ans, James Earl Ray. Deux mois plus tard, le 5 juin 1968, c'est au tour de Robert Kennedy, jeune frère du président assassiné et favori aux primaires démocrates des présidentielles de novembre. Il est tué de deux balles à bout portant par un jeune Palestinien, Sirhan Sirhan, en sortant de son hôtel de Los Angeles.
Le 17 octobre 1970, Pierre Laporte, ministre du Travail du Québec, est retrouvé mort dans le coffre d'une voiture sur le parking de l'aéroport de Montréal. Il a été enlevé et assassiné par les activistes du Front de Libération du Québec (FLQ). Le 9 mai 1978, le corps sans vie d'Aldo Moro, président respecté de la démocratie-chrétienne italienne est également retrouvé dans le coffre d'une voiture au centre de Rome. Il a été enlevé et assassiné par les Brigades Rouges. Notons encore le 27 août 1979, la mort du très populaire Lord Mountbatten ainsi que de trois de ses proches dans un attentat à l'explosif commis par l'IRA dans un petit port irlandais.
En Amérique même, le 30 mars 1981, un nouvel attentat politique vise cette fois Ronald Reagan. À peine deux mois après le début de sa présidence, celui-ci est blessé en sortant d'une conférence à l'hôtel Hilton de Washington. Plusieurs autres personnes de sa suite sont blessées et son porte-parole James Brady succombera à ses blessures. Le tueur, John Warnock Hinkley (26 ans), voulait ce faisant séduire l'actrice Jodie Foster, héroïne de Taxi Driver ! Le 13 mai de cette même année 1981, le pape polonais Jean-Paul II est grièvement blessé par un terroriste turc, Ali Agça, manipulé par les services secrets bulgares et soviétiques.
L'année s'achève sur la mort d'Anouar el-Sadate le 6 octobre 1981. Le tout-puissant président égyptien est tué par des militaires dans un stade du Caire alors qu'il célèbre avec faste l'anniversaire de sa demi-victoire de la guerre du Kippour. Ses assassins lui reprochaient d'avoir conclu un traité de paix avec Israël. Sa mort, comme celle de Rabin, quatorze ans plus tard, s'inscrit dans l'interminable conflit israélo-arabe.
Le quart de siècle qui suit la fin de la Seconde Guerre mondiale se réduit à l'assassinat du Mahatma Gandhi, le 30 janvier 1948 et de John Kennedy, le 22 novembre 1963. Le premier est abattu à Delhi, en se rendant à la prière, par un extrémiste hindou qui lui reprochait sa politique de conciliation interreligieuse. Le second est victime lors de son entrée officielle à Dallas d'un désaxé de 24 ans, Lee Harvey Oswald, aux motivations inconnues.
En France, dans le cadre de la guerre d'Algérie, les ultimes partisans de l'Algérie française manigancent des attentats contre le général de Gaulle, auquel ils reprochent de les avoir trahis. Le 22 mars 1962, le président échappe de peu à la mort dans un guet-apens visant sa voiture, au Petit-Clamart, dans la banlieue sud de Paris.
Quatre siècles d'attentats politiques
Au regard de l’Histoire longue, les périodes de tensions ou de crises favorisent incontestablement le passage à l’acte des exaltés. C’est durant les guerres de religion, au XVIe siècle, qu’apparaît en Europe la figure du « loup solitaire » assassinant un homme d’État. Guillaume le Taciturne en 1584, Henri III en 1589 et Henri IV en 1610 en furent les premières victimes.
Après presque deux siècles d’accalmie, les crimes politiques ressurgissent avec la Révolution française et ses suites : assassinat de Marat par Charlotte Corday le 13 juillet 1793, meurtre du Premier ministre britannique Spencer Perceval dans le palais de Westminster le 11 mai 1812, nombreux attentats contre Napoléon.
Un pic sera atteint au tournant du XXe siècle, à la « Belle Époque » (la mal-nommée). De 1894 à 1914, les inégalités sociales, l'exacerbation des rivalités interétatiques et la montée des revendications sociales concourent à la multiplication sans précédent des attentats à visées anarchistes ou nationalistes. Faut-il s'étonner que tout cela débouche sur la Grande Guerre ?
Ainsi sont tués le président Sadi Carnot en 1894, l'impératrice Élisabeth d'Autriche en 1898, le roi d'Italie Humbert Ier en 1900, le président William McKinley en 1901, le roi de Serbie Alexandre Ier en 1903, Charles Ier du Portugal en 1908, le Premier ministre russe Stolypine en 1911, enfin l'archiduc François-Ferdinand et Jean Jaurès en 1914.
Entre les deux guerres mondiales, notons encore le meurtre de Paul Doumer (75 ans). Il est tué lors d'un salon littéraire par un médecin russe, Paul Gorgulof, le 6 mai 1932, soit à peine un an après avoir été porté à la présidence de la République française. Deux ans plus tard, le 25 juillet 1934, le chancelier autrichien Engelbert Dollfuss est assassiné à Vienne par des nazis autrichiens commandités par Hitler. Il avait été le premier dirigeant européen à tenter de s'opposer au Führer et le premier à mettre des nazis en prison ! La même année, le 9 octobre 1934 le roi Alexandre Ier de Yougoslavie est assassiné par des activistes croates (Oustachis) en débarquant à Marseille pour un voyage officiel. Le ministre français des Affaires étrangères Louis Barthou meurt aussi du fait de l'attentat. Il avait tenté de bâtir une alliance en vue de résister à la menace hitlérienne...
Une violence moins tolérée que jamais
Il serait donc trompeur de voir dans l’attentat manqué contre Donald Trump le signe d’une exacerbation de la violence politique dans les démocraties avancées. En France, c’est même précisément l’inverse qui s’observe. Cette violence est moins que jamais tolérée...
Si en ce mois de juillet 2024, certains députés nouvellement élus de La France Insoumise (extrême-gauche) se sont faits remarquer en refusant ostensiblement de serrer la main de leurs adversaires du Rassemblement national (extrême-droite), ceux de la Troisième République n’hésitaient pas à se traiter d’« assassins » ou de « tas de vermines », se battaient en duel au premier sang quand ils n’échangeaient pas directement des coups dans l’hémicycle. En 1936, Léon Blum fut aussi violemment agressé par des militants de l’Action française, en plein Paris, échappant de peu au lynchage. On est ici bien loin de la gifle adressée par un quidam au président Macron le 8 juin 2021 lors d'un déplacement à Tain-L'Hermitage (Drôme).
La violence politique était tellement admise il y a un siècle que les auteurs de crimes politiques bénéficiaient d’une extraordinaire clémence. Henriette Caillaux qui a abattu le journaliste Gaston Calmette, Raoul Villain, assassin de Jean Jaurès, ou encore Sholem Schwartzbard, meurtrier à Paris du nationaliste ukrainien Simon Petlioura, furent tous trois acquittés par les jurys d’assises…
Même les premières décennies de la Cinquième République apparaissent bien plus violentes sur le plan politique. Durant le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, pas moins de deux ministres sont assassinés (de Broglie et Fontanet).
Les jeunesses d’extrême gauche et d’extrême droite s’affrontent alors dans de véritables batailles rangées qui culmineront à la fin des années 1970 avec l’« exécution » le 23 mars 1977 de Jean-Antoine Tramoni, un agent de sécurité de Renault qui avait tué cinq ans plus tôt le militant maoïste Pierre Overney, l'enlèvement du baron Empain le 23 janvier 1978, l’attentat contre l'intellectuel d'extrême-droite François Duprat, tué le 18 mars 1978 et l’assassinat de Pierre Goldman le 20 septembre 1979. Les années Mitterrand ne seront pas en reste avec les attentats d’Action directe, dont le meurtre de l'industriel Georges Besse, le 17 novembre 1986 à Paris, l’assassinat de René Bousquet le 8 juin 1993 ou le meurtre de la députée Yann Piat le 25 février 1994.
La récente recrudescence des attentats dans les États démocratiques pourrait s’expliquer moins par la radicalisation des débats que par la politisation de la violence ! C'est ainsi que le 9 novembre 2023, Alejo Vidal-Quadras Roca, un des leaders du parti d’extrême droite espagnol Vox, a été grièvement blessé d’une balle au visage par un tueur à gages lié à la « Mocro Maffia ». Établie aux Pays-Bas, cette organisation mafieuse marocaine, spécialisée dans le trafic de cocaïne, a ouvertement menacé de mort le Premier ministre espagnol et la famille royale. Encore plus édifiant : au Mexique, lors de la campagne législative de juin 2024, les cartels de la drogue ont assassiné pas moins de 30 candidats tandis que 400 autres ont été victimes d’agressions et de menaces de mort.
Qui sait si la principale menace à venir n'est pas là, dans la montée en puissance des gangs corrélativement à la perte d'autorité des États nationaux ?
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Voir les 4 commentaires sur cet article
Gramoune (09-10-2024 12:15:08)
Pour les États Unis, les armes à feu sont admis dans la Constitution, donc il ne faut pas s'affoler du nombre de tués (plus de 1000 par an), et les politiciens ne représentent que très peu. La ... Lire la suite
jarrige (09-08-2024 17:04:46)
à Roland Berger:
La thèse d'un faux attentat me paraît stupide: essayez de viser l'oreille de quelqu'un à 100m de distance avec un fusil ou pistolet mitrailleur, armes qui "arrosent" !!!
Christian (22-07-2024 10:00:05)
Trump est sans doute capable de tout ou presque, mais s'il s'agissait d'un faux attentat, le risque était quand même énorme : " Tu tireras à telle heure précise et je tournerai la tête de quelqu... Lire la suite