C’était un temps où une jeune femme analphabète pouvait devenir la confidente, et même la conseillère, des papes. Une foi fervente impressionnait alors davantage que le niveau d’instruction.
Catherine de Sienne ne savait ni lire ni écrire. Elle n’en a pas moins dicté, pendant sa courte existence (elle est morte à l’âge de 33 ans), une œuvre monumentale qui lui a valu d’être proclamée docteur de l’Église par Paul VI en 1970.
Catherine Benincasa naît dans la belle ville de Sienne, en Toscane, en 1347, peut-être le 25 mars. Elle est le vingt-troisième enfant d’une famille de vingt-cinq. Son père est teinturier. Sa mère est la fille d’un matelassier, poète à ses heures.
En 1347-1348, une épouvantable épidémie de peste noire ravage l’Europe. La Toscane n’est pas épargnée. Il s’ensuit une longue période d’instabilité, de misère, de brigandage. C’est aussi le début de la guerre de Cent ans, qui va ajouter au désordre.
À cette époque, et depuis une quarantaine d’années, les papes ont quitté Rome pour s’installer sur les bords du Rhône, en Avignon, où ils jouissent de la douceur provençale.
Une vocation précoce à la charité et l’apostolat
Dès ses six ans, Catherine a une première vision. Jésus, vêtu des ornements pontificaux et coiffé de la tiare, lui apparaît en majesté, sur le trône impérial. Déjà se mêlent mystique et politique. L’année suivante, elle s’engage en secret à consacrer sa vie au Seigneur Jésus-Christ et fait vœu de virginité. Autant de détails hagiographiques qui nous sont connus par le récit de la vie de Catherine que rédigera après sa mort son confesseur, Raymond de Capoue.
En fait, il semble bien que la jeune siennoise ait montré très jeune non seulement une grande piété, mais également un goût prononcé pour la mortification et même des dons surnaturels (de visionnaire ou de médium), qui troublaient son entourage. « On ne comprendra jamais rien à Catherine de Sienne, a écrit Francine de Martinoir, si on élimine de sa vie tout ce qui est du domaine de l’invisible, du paranormal, pour employer un terme qui permet à ceux qui ont évacué du monde l’inexplicable, le surnaturel, de le réintroduire comme délié de toute connotation religieuse. »
Bientôt, ses parents souhaitent la marier. Elle s’y oppose. Frappé par sa détermination, son confesseur du moment lui conseille (pour s’enlaidir ?) de couper ses cheveux. Elle suit son conseil et entre dans un long conflit avec ses proches. Elle s’astreint à de telles privations de sommeil et de nourriture que son physique se détériore et que sont entourage s’inquiète pour sa santé mentale.
Un nouveau songe lui indique qu’elle accomplira sa vocation en entrant dans l’ordre que saint Dominique a fondé un siècle auparavant, les frères prêcheurs ou Dominicains. Il existe à Sienne un tiers ordre dominicain, sorte de fraternité laïque de dames d’œuvres qui portent un grand manteau noir sur leur robe blanche (d’où leur surnom de mantellate). Catherine sollicite son admission, qui lui est refusée. Elle est jugée trop jeune, et surtout très exaltée. Ses crises d’extase, où elle entre dans une sorte de catalepsie, sont spectaculaires.
En 1363, après moult péripéties, elle est enfin reçue et revêt l’habit. Elle vit recluse dans une pauvre chambre du domicile familial, qu’elle ne quitte que pour assister aux offices à l’église Saint Dominique. Puis, d’un coup, tout change. Elle a une nouvelle crise d’extase, connue sous le nom de « Mariage mystique ». Tandis que le Carnaval bruyant et débauché bat son plein dans les rues de la Sienne, elle reçoit dans sa cellule une somptueuse vision. Le Christ entouré de Marie et d’un cortège nuptial de saints et de musiciens la prend pour épouse et lui passe un anneau au doigt. Sa destinée s’en trouve bouleversée. Peu de temps après, une autre apparition lui demande d’entamer une existence de charité et d’apostolat. C’est le début de sa vie publique.
Très vite, Catherine rassemble autour d’elle une petite troupe, sa « belle Brigade », qui se fait connaître par la piété et le dévouement de ses membres. Elle-même ne craint rien, et s’en va soulager les malades d’une peste qui rode toujours. Sa réputation s’étend bien au-delà de sa cité natale, et elle commence à dicter des lettres de conseils spirituels à ceux qui la sollicitent. Si bien que, de proche en proche, sa renommée gagne l’entourage du pape et le pape Grégoire XI lui-même.
Pour mieux s’informer, celui-ci envoie en mission auprès de Catherine un prélat espagnol, Alfonso de Valdaterra, qui avait été le confesseur d’une autre mystique renommée de cette époque, Brigitte de Suède, la fille d’un prince suédois établie à Rome après son veuvage pour y mener une vie de pauvreté. À leur tour, les Dominicains sont intrigués par le mode de vie de la mantellata, et par la vénération qu’elle suscite. Ils la convoquent devant un chapitre général réuni à Florence, l’écoutent, et décident de lui donner un directeur spirituel chargé « de la diriger et de la corriger comme il lui paraîtrait opportun ». Ce sera Raymond de Capoue, âgé de quarante-quatre ans, qui l’accompagnera jusqu’à sa mort et qui, devenu ensuite maître général de l’ordre, aura l’occasion de rendre compte de l’amitié profonde et de l’affection qui les avaient unis.
De la charité à la diplomatie pontificale
Grégoire XI (Pierre Roger de Beaufort), quoique Français (il est Corrézien d’origine), souhaite rétablir à Rome le siège pontifical – afin de renforcer l’unité de l’Église. Cette intention se heurte à de nombreuses oppositions. La vie est douce dans le Comtat Venaissin, et les cardinaux n’ont guère envie de retrouver le méchant climat romain. De leur côté, les princes italiens ne sont pas mécontents de tenir éloignée une autorité spirituelle toujours prompte à intervenir dans leurs affaires temporelles. Pour Catherine, c’est une carrière diplomatique qui débute. Deux grands projets lui tiennent à cœur : la croisade pour reconquérir Jérusalem et la réforme de l’Église. Le retour du pape d’Avignon à Rome est un préalable à la réalisation de ces objectifs.
Qu’à cela ne tienne ! En mai 1376, elle part avec sa Brigade de disciples pour Avignon, où elle arrive le 18 juin. Elle souhaite convaincre le pape de regagner la Ville éternelle, tout en négociant par lettres le ralliement des Florentins à cette initiative. Il semble qu’elle échoue sur les deux plans. Grégoire XI la reçoit, mais peut-être par simple curiosité, parce qu’il avait été alerté sur ses dons de voyance. Quant aux Italiens, ils continuent à très bien se porter sans pape romain. Et pourtant…
Le 13 septembre 1376, Grégoire XI quitte le Palais d’Avignon et entame, par terre puis par mer, un voyage vers l’embouchure du Tibre. Catherine lui écrit pour renforcer sa détermination : « Je vous prie, par l’amour de Jésus crucifié, d’aller le plus vite que vous pourrez prendre la place des glorieux apôtres Pierre et Paul. » Le 17 janvier 1377, le peuple de Rome fait à son évêque, précédé par Catherine de Sienne, un accueil triomphal (immortalisé en 1572 par Giorgio Vasari dans la Sala Regia du Vatican).
La joie sera de courte durée. La réinstallation romaine ouvre bientôt l’une des plus graves crises que l’Église ait connue, et dont elle ne s’est peut-être jamais remise : le Grand Schisme d’Occident.
Amères désillusions
À la mort de Grégoire XI, le peuple de Rome exige l’élection d’un pape italien. C’est fait avec le choix d’Urbain VI, le 7 avril 1378. Or, voilà que le mauvais caractère du nouveau pontife, et la nostalgie d’Avignon, entraînent une dissidence. Au bout de quelques semaines, des cardinaux français déclarent nulle l’élection d’Urbain VI. Avec l’appui du roi de France Charles V et de la reine Jeanne de Naples, il lui choisissent comme remplaçant un cardinal français qui prend le nom de Clément VII et se réinstalle en Avignon. Le schisme va durer quarante ans.
Catherine consacre toutes ses forces à tenter de réduire la fracture et à convaincre les souverains européens de la seule légitimité d’Urbain VI. Installée à Rome, elle tonne, multiplie les médiations, sans succès. « Ils disent, écrit-elle à l’une de ses dirigées, Agnès Toscanella, que le pape Urbain VI n’est pas le vrai pape. Il est bien le vrai souverain pontife, le vicaire de Jésus-Christ, je le déclare devant Dieu et devant toutes les créatures. » Entre temps, entre l’automne 1377 et le début de l’automne 1378, elle a dicté son chef d’œuvre, le Dialogue, ou Livre de la doctrine divine, où elle a rassemblé ses intuitions mystiques et son expérience spirituelle. Ce sera sa dernière satisfaction.
L’Église est déchirée. La croisade n’aura pas lieu. Accablée par les « démons », les mortifications et les jeûnes, elle endure les pires souffrances à partir du début de l’année 1380. Elle s’éteint le 29 avril, dimanche avant l’Ascension, aux environs de midi.
Elle avait encore eu la force d’écrire à Raymond de Capoue, lui confiant le soin de conserver l’essentiel de son message spirituel : « Je vous demande aussi de recueillir le livre et tous les écrits que vous trouverez de moi […], et vous en ferez ce que vous croirez le plus utile à la gloire de Dieu. » Ce qu’il fit, ouvrant la voie à la canonisation de sainte Catherine de Sienne par le pape Pie II en 1461.
Déclarée patronne de l’Italie par Pie XII en 1939, et de l’Europe par Jean-Paul II en 1999, elle est également la patronne de tous les métiers de la communication en raison de son œuvre épistolaire au service de la papauté.
Bibliographie
Francine de Martinoir, Catherine de Sienne. Ou la traversée des apparences, éditions du Rocher, 1999
Bernard Sesé, Petite Vie de Catherine de Sienne, Desclée de Brouwer, 2005
La correspondance de Catherine de Sienne est éditée aux Editions du Cerf, et il existe une édition au format de poche du Livre des dialogues au Seuil.
Brève histoire de la papauté
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Osmane (26-03-2023 12:12:18)
excellent article
claude lerat-gentet (29-04-2014 20:25:20)
Bonjour
Vos illustrations sont très souvent remarquables et je vous en remercie Il serait bien de nous indiquer les noms des peintres
Merci d'avance
Bien cordialement