1er novembre 1347

La peste entre à Marseille

Le 1er novembre 1347, les responsables du port de Marseille acceptent un bateau génois dont ils savent pourtant qu'il est porteur de la peste. Ils déclenchent ce faisant une catastrophe à l'échelle du continent. Elle va clore pour de bon le temps des cathédrales parfois qualifié de « beau Moyen Âge »...

Une si longue absence...

Après plusieurs siècles d'absence, la peste bubonique (avec apparition de « bubons » ou tumeurs à l'aine) fait sa réapparition en 1320 en Mongolie. De là, elle se répand alentour et atteint la mer Noire. À Tana, un comptoir de la mer Noire aux mains des Vénitiens, une querelle éclate entre un marchand et Djanibeg, petit-fils de Gengis Khan. L’affaire s’envenime et Djanibeg demande réparation mais le marchand vénitien s’enfuit à Caffa (aujourd'hui Féodossia, en Crimée), un comptoir pontique sous tutelle génoise, la solidarité occidentale passant avant tout.

Le khan mongol accourt des steppes pour se faire justice et débute en 1344 le siège de Caffa. Le siège s’éternise car les Génois sont ravitaillés par la mer tandis que la maladie décime les rangs des assiégeants. Désespérant d'en finir, les Mongols se servent d’une de leurs armes de siège, le trébuchet, pour catapulter derrière les murailles les cadavres infectés. Face à cette attaque inédite, de nombreux Génois prennent la fuite par bateau jusqu’à Constantinople, puis atteignent l’Europe, emportant sans le savoir avec eux le terrible bacille.

En accostant à Marseille, ils vont ouvrir au fléau les portes de l'Occident. Un mois plus tard, la peste atteint la Corse et Aix-en-Provence. En janvier 1348, elle est à Arles et Avignon où, en six semaines, elle fait onze mille morts. En avril, la voilà en Auvergne, à Toulouse et Montauban. En juin à Lyon, en juillet à Bordeaux et dans le Poitou. Le 20 août 1348, on la signale à Paris. En décembre, elle atteint Metz...

Durant les premiers mois, le fléau progresse à une moyenne de 75 km par jour en profitant des circuits d'échanges, en particulier fluviaux et maritimes. Sa diffusion est favorisée par le surpeuplement des villes et aussi le goût des habitants pour les bains publics, lesquels vont devoir être fermés les uns après les autres. La peste fait 100 000 morts à Florence. À Paris, on compte 500 morts par jour.

Selon Froissart, un tiers de la population française décède mais sans doute s'agit-il d'une exagération manifeste. Les estimations varient selon les régions d'1/8 à 1/3 de la population. L'épidémie va tuer en quelques mois jusqu'à 40% de la population de certaines régions européennes, ressurgissant par épisodes ici ou là. En quatre ans, 25 à 40 millions d'Européens vont néanmoins mourir de la « Grande Peste » ou « Peste noire ».

Bûcher de Juifs durant la peste noire (Hartmann Schedel, La Chronique de Nuremberg, 1493, Paris, Bibliothèque Mazarine

Impuissance de la médecine

Les médecins médiévaux attribuent quant à eux la peste aux humeurs ou à l'empoisonnement de l'air. Ils pratiquent la saignée et les purges avec des résultats catastrophiques et récusent l'idée pourtant évidente de la contagion. Les citadins n'ont rien de plus pressé, lorsque l'épidémie atteint une ville, que de fuir celle-ci. Le poète Boccace raconte cela dans le Décaméron, son recueil de contes écrit après que Florence ait été atteinte par la Grande Peste de 1347. Cette fuite est la pire attitude qui soit car elle a pour effet d'accélérer la diffusion de l'épidémie.

La population, en de nombreux endroits, soupçonne les juifs d'empoisonner les puits ! Dès 1348, une quarantaine sont massacrés à Toulouse. « La cruauté du monde se déchaîna contre eux », note le chroniqueur Jean de Venette. Le pape Clément VI, faisant preuve de charité et de courage, prend néanmoins leur défense (note).

En 1349 apparaît le mouvement des flagellants ; c'est la résurgence d'un mouvement localisé en Italie au XIe siècle. Il se répand dans toute la chrétienté occidentale et ne tarde pas à se structurer. Ses membres s'engagent à se flageller pendant 33 jours et demi (autant que d'années passées sur terre par le Christ). Les flagellants finissent par s'en prendre à l'Église institutionnelle à laquelle ils reprochent son comportement indigne. Le mouvement s'éteint néanmoins en quelques mois, aussi vite qu'il est apparu.

Un ordre social bouleversé

L'épidémie se développe d'autant mieux et plus vite que la population est épuisée. Après trois siècles d'expansion démographique, l'Europe est saturée d'hommes que les sols peinent à nourrir. Les disettes, famines et « chertés » se font plus fréquentes et à ces pénuries alimentaires s'ajoute la guerre entre Français et Anglais. Par milliers, des villages sont désertés. Les friches, la forêt et les bêtes sauvages regagnent le terrain perdu au cours des deux siècles précédents qui avaient vu les campagnes se développer et se peupler à grande vitesse...

Les prix des céréales qui avaient chuté dans les premiers mois de l'épidémie, du fait du manque de consommateurs, remontent très vite dans les années suivantes du fait du manque de bras !

Dès la génération suivante, la vie reprend le dessus. Paysans et manouvriers, profitant de la raréfaction de la main-d'œuvre, imposent aux seigneurs et aux employeurs des libertés nouvelles et des augmentations de salaires. Ces revendications s'accompagnent de graves crises sociales, la plus célèbre étant la Grande Jacquerie de 1358. Le servage achève de disparaître et les petites seigneuries rurales sont ruinées.

Un monde nouveau émerge suite à la Grande Peste. Après une rémission, l'épidémie revient en 1360 puis de façon erratique jusqu'en 1721. Chaque retour entraîne une hystérie collective mais aussi, après une brutale mortalité, une forte reprise de la nuptialité et de la natalité.

L'épidémie a des répercussions aussi sur l'art avec l'apparition des premières représentations de la mort dans l'art occidental. Les danses macabres se développent dès 1380. Les riches défunts sont représentés sur les sarcophages non plus dans leurs plus beaux atours mais dans l'état de décomposition qui suit la mort : ce sont les « transis ».

Publié ou mis à jour le : 2023-11-01 08:41:56

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