Avec l'effondrement de l'Empire romain, c'est tout le système éducatif qui disparaît. Il faudra toute la volonté de l'Église pour réorganiser un enseignement digne de ce nom.
La première étape est le concile de Vaison, dans la vallée du Rhône en 529 où l'évêque Césaire d'Arles prescrit la création d'écoles monastiques et d'une école dans chaque évêché de la Gaule : c'est la première fois qu'il est question d'éduquer des paysans. Une belle annonce pour peu d'effet ! Il faut surtout remercier les monastères qui décident de mettre l'accent sur la formation de leurs novices et permettent ainsi à l'éducation de renaître, modestement.
Mais c'est Charlemagne qui, en 789, pose les bases d'un enseignement élargi : « Qu'on rassemble non seulement les fils de condition modeste, mais les fils bien nés. Qu’on établisse des écoles pour l’instruction des garçons. Que dans chaque évêché, chaque monastère on enseigne les psaumes, les notes, le chant, le comput [calcul du temps liturgique], la grammaire, et qu’on dispose de livres bien corrigés » (Admonitio generalis).
Les jeunes laïcs (dico) peuvent désormais acquérir à leur tour les premières notions de lecture, calcul et chant, c'est-à-dire la base de la formation ecclésiastique qui, on peut le remarquer, laisse encore de côté l'écriture.
Dans les villages, les prêtres, dont le seul bénéfice se limite aux cadeaux offerts par les parents, peuvent distiller les connaissances piochées dans les programmes et manuels élaborés par Alcuin, conseiller de Charlemagne et chef de l'École du palais. C'est dans cette institution que sera formée la fine fleur du royaume, celle-là même qui lui permit de bénéficier d'un rayonnement inattendu dans les domaines des sciences et des arts.
Si on ne peut nier l'impact qu'eut l'incitation à recopier les livres, il n'y eut guère de miracle concernant l'alphabétisation du peuple. Mais ses successeurs ayant efficacement fait les choses en matière de propagande, Charlemagne a bien gagné sa couronne de père de l'école.
Le moine Nokter de Saint-Gall, ou Nokter le bègue, a fait beaucoup pour la gloire de l'empereur en rapportant cette petite anecdote :
« Après une longue absence, le très victorieux Charles, de retour dans la Gaule, se fit amener les enfants remis aux soins de Clément, et voulut qu'ils lui montrent leurs lettres et leurs vers. Les élèves sortis des classes moyenne et inférieure présentèrent des ouvrages où se faisaient sentir les plus douces saveurs de la science. Les nobles, au contraire, ne produisirent que de froides et misérables pauvretés. Le très sage Charles, imitant alors la justice du souverain juge, sépara ceux qui avaient bien fait, les mit à sa droite, et leur dit :
- Je vous félicite, mes enfants, de votre zèle à remplir mes intentions et à rechercher votre propre bien de tous vos moyens. Maintenant efforcez-vous d'atteindre à la perfection. Alors je vous donnerai de riches évêchés, de magnifiques abbayes, et vous tiendrai toujours pour gens considérables à mes yeux » (Gesta Karoli Imperatoris, IXe siècle).
La Saint-Charlemagne, fête des écoliers
Vive le 28 janvier ! Pendant des siècles, les écoliers ont attendu avec impatience la fête que les établissements scolaires ne manquaient pas d'organiser en l'honneur de l'empereur, soi-disant fondateur de l'école.
Guy de Maupassant, lui aussi, en a profité comme nous le montre ce poème où il s'imagine rencontrant le saint homme pour lui faire une petite requête :
« Charlemagne pourtant, me prenant à l'écart :
"De mes desseins, dit-il, je veux te faire part.
France, oh ! mon beau pays, mes braves capitaines,
Mes vieux soldats durcis dans les guerres lointaines,
J'ai voulu que les fils de héros éprouvés
Ne soient pas des adolescents dégénérés.
J'ai fait de vous, enfants, une brave milice,
Et j'ai dans le collège introduit l'exercice.
En vos mains j'ai placé le fusil chassepot ;
De la France aujourd'hui vous portez le drapeau.
Que voulez-vous encor ?". "Un seul jour de vacance."
"Comment ! En mon honneur vous avez fait bombance,
Vous avez eu deux jours ?". "Oh ! non, rien qu'un demi."
"Un demi-jour pour moi ? Tu mens, mon bon ami." [...]
"On ne se plaindrait pas
Si nous allions chez nous au moins le Lundi gras.
On le donne à Paris, et nous - on nous en prive."
"Morbleu ! dit-il, il faut de suite que j'écrive
Pour en demander compte à l'Université !
Je veux qu'entre vous tous règne l'égalité.
Même peine et travail et même récompense.
Vous aurez les jours gras, morbleu ! Est-ce qu'on pense
Que je vous laisserai maltraiter plus longtemps" ! »
(Guy de Maupassant, « La Saint-Charlemagne », poème lu au banquet du lycée de Rouen le 28 janvier 1869).
Le Moyen Âge, un âge de lecteurs ?
À partir du XIe siècle, porté par l'essor des échanges et donc des villes, un nouveau besoin de connaissance se fait sentir.
En effet, on est en manque de lettrés, et en particulier de juristes. Des écoles privées commencent donc à ouvrir dans les plus gros bourgs sous la surveillance de l'Église qui impose une « licence d'enseigner » à ces maîtres improvisés, pour certains laïcs, qui n'ont qu'une méthode : l'alliance de la répétition et du fouet !
Les campagnes ne semblent pas avoir été à la traîne : se multiplient en effet les petites écoles « sine latino » où l'on apprend la religion et la littérature, c'est-à-dire lire et écrire. Il faut bien pallier le recul des monastères qui, trop isolés, retournent à leur fonction première d'étude des œuvres sacrées.
L'usage du livre change, il n'est plus une compilation de textes à connaître par cœur mais un outil de savoir. Dans ce cas, à quoi bon maîtriser l'écriture si on sait lire ? C'est bien la lecture qui est privilégiée et « la grammaire fleurit de tous côtés et le grand nombre des écoles la met à la portée des plus pauvres » (témoignage de Guibert de Nohant, 1060).
Dans une ville moyenne comme Valenciennes, ce ne sont ainsi pas moins de 50 maîtres (et maîtresses !) qui sont recensés en 1381. Il faut dire que certains riches, peu confiants dans le sort de leur âme après leur mort, n'hésitent pas à raccourcir leur temps de Purgatoire en finançant quelques cours.
C'est ainsi qu'en 10 siècles, entre le Ve et le XVe siècle, l'offre éducative en France s'est incroyablement étoffée au point de permettre à un petit paysan, Jean Gerson, de devenir chancelier de l'Université de Paris. La promotion par le savoir avant l'heure...
« Chacun des maîtres ou des maîtresses est tenu par serment d’observer les dispositions suivantes :
1. II exercera loyalement l’office qui lui est confié d’enseigner les enfants, les instruisant soigneusement dans les lettres, les bonnes mœurs et par de bons exemples. […]
6. Nul ne portera atteinte par médisance à la réputation d’un collègue ; il pourra cependant le dénoncer au chantre. [...]
12. Aucun maître ne vivra avec une femme de mauvaise réputation.
13. Chacun gardera la paix avec son collègue ; et si un différend se fait jour à propos des écoles, il sera réglé par la sentence du seigneur chantre, sous peine de privation des écoles. […]
16. Tous doivent être présents à vêpres la veille de la Saint-Nicolas (6 décembre) à la messe, le jour de la fête et à l’heure des vêpres, aux vigiles pour les défunts, et le lendemain à la messe.
20. Si quelqu’un dépasse le nombre d’élèves [fixé], je confisque [l'excédent] de revenus [perçus sur les] écoliers au-delà du nombre concédé. […]
22. Tous les maîtres ou maîtresses doivent assister aux obsèques des maîtres ou des maîtresses défunts.
23. Qu’aucune femme n’ait d’autres élèves que des filles.
24. Que personne n’enseigne les livres de grammaire, s’il n’est bon grammairien et suffisamment compétent en la matière ». (Extrait de Ghislain Brunel et Élisabeth Lalou, Sources d’histoire médiévale IXe-milieu du XIVe siècle, 1992).
Enseigner l'Histoire
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