La première révolution industrielle, née en Angleterre au XVIIIe siècle, s'est accompagnée de la crainte simultanée que l'amélioration des machines et de la productivité n'entraînent le chômage.
Cette crainte se renouvelle à chaque innovation technologique majeure. C'est encore le cas avec l'arrivée des caisses automatiques dans les supermarchés, l'intelligence artificielle appliquée aux tâches de bureautique etc.
La « navette volante » de John Kay
On raconte l'histoire d'un savant qui aurait présenté à un empereur romain un verre incassable. Dans la crainte que cette invention ne mette au chômage la plupart des verriers et ne provoque leur révolte, l'empereur aurait fait exécuter ledit savant.
Plus sûrement, on situe au début du XVIIIe siècle les premières révoltes ouvrières suscitées par la crainte que la mécanisation ne provoque du chômage. Elles font suite à l'invention d'un dispositif révolutionnaire, la « navette volante », par un jeune mécanicien tisserand né à Bury, près de Manchester.
Employé par un drapier de Colchester, John Kay a moins de 30 ans quand il mit au point cette « navette volante » en 1733. Grâce à un système de renvoi automatique, elle permet d'entrecroiser les fils sur une toile en cours de tissage quelle que soit la largeur de celle-ci.
Avant cela, la largeur des toiles était ajustée à l'envergure des bras des ouvriers tisserands car ceux-ci, pour entrecroiser les fils, devaient eux-mêmes faire passer la navette d'un côté à l'autre de la toile. Si l'on voulait des toiles plus larges, il fallait affecter un deuxième ouvrier au métier.
Cette invention d'apparence simple fit bondir la productivité des métiers à tisser. Les ouvriers y virent une menace pour leur emploi et chassèrent John Kay de la ville.
Celui-ci proposa alors son invention aux drapiers de la ville voisine de Leeds. Ils l'adoptèrent bien volontiers mais rechignèrent à verser des redevances à l'inventeur, lequel finit par se réfugier en France, ruiné.
Malgré ces péripéties, la « navette volante » s'imposa d'elle-même. En améliorant de plus du double la productivité du tissage, elle fit baisser fortement le coût des toiles et entraîna une augmentation de la demande.
En définitive, au lieu de réduire le nombre d'emplois, elle contribua à l'augmenter tout au long de la filière textile anglaise (on a observé le même phénomène avec l'invention de l'imprimerie par Gutenberg près de quatre siècles auparavant).
Avec l'invention de la « navette volante » débute la première révolution industrielle : elle se caractérise par une augmentation sensible de la croissance économique de l'Angleterre et la naissance des premières usines, essentiellement dans l'industrie textile.
Dans ce processus dynamique, une innovation en appelle une autre (comme on le voit aujourd'hui avec la révolution de l'Internet).
En amont du tissage, les industriels du filage peinaient à suivre la demande de fil. Leur handicap fut résolu par une nouvelle invention, celle de Richard Arkwright, mécanicien plus chanceux que le précédent, qui allait faire fortune avec sa machine à filer le coton, « Jenny ».
Plus sérieusement baptisée Water frame, elle permettait à un ouvrier d'actionner huit, seize, voire soixante broches à la fois, en utilisant l'énergie hydraulique.
Pour améliorer la force motrice de ses métiers, Richard Arkwright fit appel en 1777 à la machine à vapeur mise au point huit ans plus tôt par un mécanicien écossais également inspiré, James Watt.
Pour le blanchiment des toiles, il ne fut plus possible de se satisfaire de la technique traditionnelle, qui consistait à les enduire de lait caillé et les laisser sécher au soleil.
On ne tarda pas à recourir au chlore qu'un chimiste français, Nicolas Leblanc, avait réussi à extraire du sel marin de façon industrielle, à la veille de la Révolution (il ne put jouir des fruits de son invention du fait des déconvenues de son mentor, le duc d'Orléans, et, de dépit, se suicida en 1806).
Plus chanceux que Nicolas Leblanc, le lyonnais Joseph Jacquard fut honoré par Napoléon 1er pour son métier à tisser, qui permit de nouveaux bonds de productivité, en particulier dans la soierie.
Plus en amont, les planteurs de Virginie, outre-Atlantique, se montrèrent soucieux de répondre à l'explosion de la demande européenne en cotonnades.
En 1793, un certain Eli Whitney inventa une machine pour séparer la graine du coton de sa fibre. La nouvelle égreneuse permit de mécaniser la filature du coton et d'abaisser le prix de la précieuse fibre. Celle-ci fit la fortune des planteurs... mais sa cueillette, faute de mécanisation, exigeait beaucoup de main-d'oeuvre, d'où une intensification de la traite d'esclaves en provenance d'Afrique avec les conséquences dramatiques que l'on sait sur les jeunes États-Unis...
Le 26 mars 1811, à Nottingham (Angleterre), des ouvriers de la bonneterie brisent les machines accusées de leur voler travail et salaire. Ce mouvement de révolte, suscité par la crainte que la mécanisation ne génère du chômage, se développa jusqu'en 1816 dans les Midlands. Il fut appelé « luddisme », du nom d'un ouvrier légendaire, John ou Ned Ludd, qui aurait détruit deux métiers à tisser vers 1780.
Au début du XIXe siècle, dans un contexte d'expansion économique, le luddisme apparut comme un mouvement d'arrière-garde. Il fut évidemment condamné par les patrons et économistes libéraux, mais aussi par Karl Marx qui y vit une preuve de l'insuffisante éducation des ouvriers : à ses yeux, le problème n'était pas la machine, mais l'exploitation qu'en faisait le patron, au détriment des travailleurs.
En Grande-Bretagne, quelques autres mouvements luddites se produisent dans les années 1820 mais la répression, combinée à la rapide industrialisation, font que la machine s'impose rapidement. En France, le processus est plus lent et des bris de machines se produisent jusque dans les années 1850.
Jacqueries et autres révoltes fiscales
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