2 septembre 2023. À certains égards, la France reste la France. C'est la seule démocratie où le chef de l'État s'occupe en personne du contenu des programmes d'Histoire dans les écoles. Le président Macron en a encore fait la démonstration le 23 août 2023 dans un entretien-fleuve au magazine Le Point (source). Ses observations concernant la place de l'Histoire et plus généralement le rôle de l'école dans la formation des futurs citoyens sont frappés au coin du bon sens. On peut seulement regretter qu'elles viennent six ans après son accession à l'Élysée et un an après sa réélection au terme d'une campagne insipide...
Le constat d'Emmanuel Macron, après six ans à la présidence de la République française, est cruel : « Il faut cesser d'envoyer en sixième les 20 % d'élèves qui ne savent pas lire, écrire et compter » ! et encore : « La première hypocrisie consiste à se féliciter d'avoir 80 % d'une classe d'âge au bac. Or un tiers de nos lycéens sont en lycée professionnel. Lorsqu'on regarde la situation de nos adolescents en lycée professionnel, elle est inadmissible. Environ un tiers décroche et beaucoup trop n'ont ni diplômes ni formations. La deuxième hypocrisie, c'est l'accès à l'université et le cursus universitaire. Ce n'est pas vrai que tout le monde a vocation à aller à l'université et qu'aller à l'université est une fin en soi. »
Il n'y a rien à répondre à cela et nous ne pouvons que recommander d'élire sans attendre un homme aussi lucide sur les maux de la société française... Mais encore faut-il qu'il sorte du rôle d'analyste qui l'avait conduit, il y a quinze ans, à rédiger le rapport de Jacques Attali sur 300 décisions pour changer la France.
Concernant notre domaine de prédilection, l'Histoire, le président a aussi un avis tranché : « L'école, c'est la transmission des savoirs, de l'esprit critique, et des valeurs. Il s'agit de faire des républicains, comme disait Ferdinand Buisson [1841-1932]. Notre pays est devenu une nation par la langue et par l'État. Cette refondation de la nation passe par l'école et la connaissance.
À ce titre, je veux que nous renforcions la formation de nos enseignants en histoire et en instruction civique et que nous refondions les programmes de ces deux matières. L'histoire doit être enseignée chronologiquement et l'instruction civique, devenir une matière essentielle. Chaque semaine, un grand texte fondamental sur nos valeurs sera lu dans chaque classe puis débattu. »
Le président sous-entend que la nation française a besoin d'être refondée et que cette refondation passe par l'école et plus particulièrement par l'enseignement de l'Histoire ! L'argument est séduisant de prime abord mais ne coule pas de source...
Les vertus ignorées du « roman national »
La suggestion de lire en classe chaque semaine un texte fondamental en rappelle une autre, celle du président Sarlozy, en 2007, proposant la lecture de la dernière lettre de Guy Môquet. À vrai dire, le président Macron ne précise pas à quelles classes s'appliquerait sa suggestion et surtout ne dit rien de ses conditions d'application. On voit mal comment les enseignants d'Histoire-Géo pourraient l'insérer dans les trois heures hebdomadaires dont ils disposent...
Pour le reste, il est curieux qu'Emmanuel Macron veuille au plus vite refondre les programmes d'Histoire instaurés en 2020 par son premier ministre de l'Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer. Serait-ce seulement pour renforcer la part de la chronologie et de l'éducation civique et morale ?
Comme le rappelle l'Association des Professeurs d'Histoire-Géographie, la chronologie demeure très présente au collège et surtout au lycée, où l'on étudie les deux derniers siècles, qui nécessitent une forte attention aux événements et aux dates pour être compréhensibles.
Notons aussi que les chapitres relatifs à une civilisation du Moyen Âge africain et à une dynastie de la Chine classique ont été supprimés lors de la dernière refonte des programmes de collège. Ces Histoires étant déconnectées de la nôtre, sans aucun souvenir qui nous rattache à elles et pourrait en fixer la mémoire, c'est une illusion de penser que des collégiens pourraient les assimiler.
Par contre, la chronologie, les événements et les personnages sont absents de la sensibilisation à l'Histoire dans les premières années de l'école primaire. On peut le regretter et rappeler la remarque amère de Fernand Braudel, fondateur de l'École des Annales et pourfendeur de l'Histoire-bataille : « Aux enfants, il faut raconter des histoires capables de les captiver ; l'Histoire longue comme je l'aime doit être seulement réservée aux lycéens. Qu'y puis-je si l'Éducation nationale fait exactement le contraire ? »
Pour le grand historien, ce serait une grave erreur de renier le « roman national » et de réduire l'enseignement de l'Histoire au développement de « l'esprit critique » et à l'analyse de documents. Le « roman national » est plus que jamais nécessaire pour offrir aux enfants de l'école primaire et du premier cycle du collège d'autres rêves que ceux de TikTok, Netflix et autres réseaux prétendûment « sociaux ». Il leur permet de s'initier à la découverte du passé comme à une réalité faite de passion, de chair et de sang.
Les concepts abstraits et l'analyse critique des documents sont à même de séduire par contre les lycéens, à supposer que ceux-ci n'aient pas eu le cerveau prématurément saccagé par Mark Zuckerberg et ses complices.
Il y a d'autres priorités que l'interdiction de l'abaya à l'école
Les difficultés qui affectent la société française et mettent en péril sa cohésion tiennent à des choix politiques (sacrifice de la souveraineté et de la monnaie, délocalisation des activités de production, prime au capitalisme financier, abattement des frontières, etc.) ainsi qu'à des basculements démographiques (effondrement de la fécondité, immigration hors contrôle). L'école pâtit de ces maux mais n'est en aucune façon en mesure de les soulager, contrairement à ce que laisse entendre Emmanuel Macron. Elle se voit obligée d'accueillir et instruire tout à la fois des enfants forts de leurs acquis familiaux (confort de vie, tendresse, maîtrise du vocabulaire, etc.) et des enfants issus de milieux pauvres ou de pays lointains qui n'ont pu acquérir dans leur foyer aucun des codes attachés à la société française (civilité, langue, etc.). La mission paraît impossible. Elle l'est d'autant plus que l'école et ses servants ne savent plus trop quel est le sens de leur mission dans une société qui a perdu sa boussole.
Le président parle de « transmettre des valeurs » et de « faire des républicains ». Il insiste sur « la langue et l'État » comme facteurs de cohésion nationale. Nous l'approuvons cent fois mais que ne donne-t-il l'exemple ?
La langue ? Lui-même émaille ses propos d'anglicismes et, à l'étranger, aux Pays-Bas par exemple, c'est en anglais qu'il s'adresse à son auditoire. Il se montre impuissant contre l'intrusion du franglais et de l'écriture faussement dite « inclusive » dans les administrations et à l'Université.
L'État ? Il déconstruit avec constance depuis six ans ses piliers tels que le corps préfectoral et le corps diplomatique, et chacun de s'étonner ensuite du recul de la République française face aux émeutiers de banlieue ou face à ses interlocuteurs étrangers, en Afrique comme en Europe, au Proche-Orient et en Asie. Il prétend aussi concilier les contraires en faisant cohabiter « souveraineté européenne » et « souveraineté française » mais il ne peut y avoir par définition qu'une seule souveraineté ou autorité suprême et dans le cas de l'État français, il s'agit du peuple et de ses représentants. La Commission européenne est « déléguée » (c'est l'étymologie du mot commissaire) par le Conseil européen des chefs d'État pour exécuter ses décisions. Elle n'a pas d'ordre à lui donner.
Le malentendu le plus important concernant l'éducation de la jeunesse concerne les « valeurs républicaines ». On peut penser que le président Macron sous-entend par là la laïcité, un concept qui tourne en boucle dans les médias depuis que s'est faite jour la menace islamiste il y a une dizaine d'années, avec les crimes odieux de l'école Ozar Hatorah (Toulouse).
La laïcité repose sur l'idée que l'adhésion à l'État et la foi religieuse sont deux choses compatibles mais distinctes. Cette notion est née en France au temps de Philippe le Bel, il y a sept siècles, et a pris une forme constitutionnelle avec la loi de séparation des Églises et de l'État en 1905 mais aujourd'hui, elle est mise à rude épreuve en France du fait que diminue la population européenne de tradition catholique et laïque et qu'augmente rapidement la population de tradition musulmane, a priori éloignée de ces principes.
L'enjeu tient au contenu actuel de la laïcité. Celle-ci n'est plus portée par une classe politique fière de ses réalisations à l'intérieur comme tout autour de la planète. Elle n'est plus auréolée par une nation admirée dans le monde entier pour sa culture et ses moeurs comme au temps de Ferdinand Buisson. Elle est le dernier vestige républicain auquel s'accroche une oligarchie qui a renoncé à tout le reste (souveraineté nationale, puissance industrielle, attachement à la culture et à la langue françaises, etc.) et rêve de se fondre, elle et ses enfants, dans l'Empire américain.
Cette oligarchie ne propose aux enfants des classes populaires pas d'autres « valeurs » que le consumérisme échevelé qui fait sa fortune. C'est TikTok et les vidéos porno qui modèlent leurs rêves, avec pour idéaux humains l'« influenceuse » ou le footballeur, et au bout du chemin, un statut d'auto-entrepreneur et des conditions de travail proches de l'esclavage qui nous renvoient aux origines de la révolution industrielle.
Dans ces conditions, comment imagine-t-on rallier à la laïcité les jeunes gens et en particulier les adolescents issus de sociétés musulmanes patriarcales soudées par des rituels conviviaux et une forte solidarité du clan familial ? Sans doute pas en sommant les jeunes filles de renoncer à l'abaya, une robe d'inspiration bédouine. N'est-ce pas Emmanuel Macron qui a dit un jour de 2017, à Lyon : « Il n’y a pas une culture française, il y a une culture en France et elle est diverse » ? S'il le pense vraiment, alors, pourquoi pas l'abaya aux côtés des tenues chiffonnées de la fast fashion ?
Nous espérons toutefois que le président de la République n'a pas perdu foi en la France. Puisse-t-il rendre à tous ses concitoyens la fierté de leur appartenance nationale par un discours clair et sans concessions sur notre souveraineté, notre culture et notre langue. Puisse-t-il combattre avec détermination le consumérisme qui détruit les âmes et les cerveaux de nos enfants.
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Voir les 14 commentaires sur cet article
Philippe (13-09-2023 15:46:54)
Quelques remarques : - Les pays où le politique se mêle du contenu des programmes ne méritent pas le nom de démocratie. - L'histoire doit rester l'apanage des historiens et d'eux seuls, établi... Lire la suite
COLLIN (09-09-2023 11:44:28)
"Ce passé tissé à la fois de hauts faits et des menues actions du quotidien, de grands personnages et d’innombrables anonymes,"... Notre cerveau peut-il embrasser tant d'éléments et en faire u... Lire la suite
Collin (09-09-2023 09:02:00)
Cet article porte cette tristesse face à la perte d'un sentiment d'appartenance à une Nation. Je la partage. Mais j'y trouve plus d'expression romantique que d'analyse objective (aussi scientifique... Lire la suite