29 mai 2017

Macron-Poutine : chapeau l'artiste !

Prenant prétexte d'une exposition sur le tsar Pierre le Grand, le président de la République française a invité son homologue russe à Versailles. Emmanuel Macron fait de la sorte à ses partenaires européens un magnifique pied de nez en sortant Vladimir Poutine de l'isolement dans lequel ils l'avaient confiné depuis plusieurs mois...

Qui l'eût cru ? Des quatre principaux candidats qui se sont disputés la présidence de la République en 2017, Emmanuel Macron était le seul à afficher clairement sa solidarité avec les Occidentaux face à la Russie de Vladimir Poutine. Et pour témoigner de son tropisme européen, il a accordé à la chancelière allemande Angela Merkel l'honneur de son premier déplacement à l'étranger le 15 mai 2017, dès le lendemain de son entrée à l'Élysée.

Le jeune président de l'année a ensuite rencontré les autres grands dirigeants occidentaux au sommet de l'OTAN, à Bruxelles le 25 mai, et au G7, à Taormine (Sicile) le lendemain. Émoustillés par ce « bal des débutants » sans fausse note, diplomates et journalistes en ont oublié l'invitation faite par Macron à Poutine dès le 8 mai, le lendemain de son élection ! 

Emmanuel Macron et Vladimir Poutine à Versailles le 29 mai 2017 (DR)Toujours servi par une chance phénoménale, Emmanuel  Macron eut vite fait de trouver un prétexte à cette invitation : l'inauguration au Grand Trianon d'une exposition destinée à célébrer le trois-centième anniversaire de la venue du tsar Pierre le Grand à Versailles.

L'exposition est sans grand intérêt (quelques objets prêtés par le musée de l'Ermitage de Saint-Petersbourg). Quant à la venue du tsar en France, elle a été surtout anecdotique et a beaucoup nourri les gazettes et les Mémoires de Saint-Simon. Mais a posteriori, elle a acquis une importance symbolique majeure car c'est d'elle que datent les premières relations entre la Russie et la France, si l'on met à part le mariage entre Henri 1er et Anne de Kiev (il y a près de mille ans).

Pierre le Grand et ses successeurs, éblouis par les moeurs françaises, vont accueillir auprès d'eux artistes, écrivains et gentilshommes. Catherine II va faire du français la langue d'usage de la cour. Un émigré, le duc de Richelieu, construira Odessa et le fameux escalier qui porte son nom. Plus tard encore, à charge de revanche, la fille du gouverneur de Moscou, mariée en France au comte de Ségur, nous livrera quelques jolies historiettes. Enfin viendra l'alliance franco-russe, dont il nous reste le pont Alexandre III, au coeur de Paris. Elle sera signée dans le sang de la Grande Guerre et renouvelée une génération plus tard par l'escadrille Normandie-Niemen.

Louis XV rend visite à Pierre le Grand à l’hôtel de Lesdiguières, le 10 mai 1717 (Louise Marie Jeanne Hersent, née Mauduit, 1838, musée de Versailles)

La Russie de retour dans le concert des nations

La venue du chef d'État russe à Versailles et Paris pourrait revêtir le même caractère que celle de son lointain prédécesseur : purement anecdotique par son contenu (propos convenus, poignées de mains, bonnes manières) mais capitale par son caractère symbolique, autrement dit par le seul fait qu'elle ait eu lieu. On pense au doge de Gênes reçu par Louis XIV à Versailles. Au roi qui lui demande :
- Que trouvez-vous de plus étonnant à Versailles ?
Le doge répond :
- C'est de m'y voir !

C'est que, pour la première fois depuis trois ans, le président russe redevient un personnage fréquentable et un interlocuteur fiable (note).

En 2014, le commandement de l'OTAN et les dirigeants polonais, suédois et baltes ont appelé à combattre l'« ogre russe » coupable d'avoir récupéré la Crimée russophone et d'être intervenu en Ukraine pour empêcher celle-ci de basculer dans l'alliance atlantique (note).

On peut se demander à quoi rime cette réactivation de la « guerre froide » quand tant d'autres périls bien plus graves menacent l'Europe ? De tous les motifs affichés par les Occidentaux, la défense des droits de l'homme et de la souveraineté des États est le moins crédible car si la Russie doit être combattue à ce titre, que dire alors de l'Arabie séoudite, alliée privilégiée de Washington contre l'Iran démocratique et le Yémen souverain ?

Débutant en géopolitique et à ce titre dépourvu de préjugés, Emmanuel Macron a dû se poser ces questions et décider en conséquence de briser le nouveau Mur de la Honte qui sépare Européns de l'Est et de l'Ouest. 

Le pied de nez d'un présumé « débutant »

L'invitation à Trianon est un magnifique pied de nez de Macron à l'adresse de ses homologues européens et en premier lieu de la chancelière allemande, qui s'était habituée à jouer en Europe les primus inter pares (« premier parmi ses pairs »).

Les deux précédents présidents (Sarkozy et Hollande) s'étaient accoutumés à ne plus bouger le petit doigt sans en aviser la chancelière. Le déplacement de Macron à Berlin a pu laisser croire que celui-ci suivrait la même « politique », si tant est que l'on puisse qualifier ainsi une relation vassal-suzerain.

Il est vraisemblable que ce déplacement à Berlin n'a été qu'un trompe-l’œil en prélude à une diplomatie de nouveau axée sur les intérêts supérieurs de la France. C'est ce qu'on appelle le pragmatisme (Realpolitik en allemand). 

L'avenir nous dira ce qu'il en est. Parions que le nouveau président de la République jouera loyalement la carte européenne sans céder pour autant aux exigences de Bruxelles, Francfort et Berlin. Parions qu'il ne se couchera pas comme avant lui le sémillant Tsipras. Parions enfin qu'il obtiendra de ses partenaires des avancées conformes aux intérêts de tous, et s'il n'y parvient pas, qu'il vire alors de cap comme de Gaulle en 1960 à propos de l'Algérie et Mitterrand en 1983 à propos du socialisme. 

Et s'il faut encore faire un pari, parions que l'un des prochains invités à Versailles, ou en quelque autre lieu prestigieux de notre beau pays, sera le président iranien Hassan Rohani, manière d'en finir avec la litanie des rendez-vous manqués Iran-Occident !

André Larané

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