Les Français aiment leur Histoire sans doute plus que tout autre peuple. Il suffit, pour s'en convaincre, de considérer les tirages importants des revues spécialisées.
Faut-il s'en étonner ? La France, composée de communautés très diverses et sans réelle unité géographique, est une invention de l'Histoire. Elle est née de l'extension progressive du domaine capétien au hasard des guerres et des mariages. De là sans doute notre goût pour les épopées historiques.
Le général de Gaulle, grand écrivain s'il en est, exprime superbement la permanence de la France au fil des générations dans les premières lignes de ses Mémoires d'espoir (1970) : « La France vient du fond des âges. Elle vit. Les siècles l'appellent. Mais elle demeure elle-même au long du temps. Ses limites peuvent se modifier sans que changent le relief, le climat, les fleuves, les mers, qui la marquent indéfiniment. Y habitent des peuples qu'étreignent, au cours de l'Histoire, les épreuves les plus diverses, mais que la nature des choses, utilisée par la politique, pétrit sans cesse en une seule nation. Celle-ci a embrassé de nombreuses générations. Elle en comprend actuellement plusieurs. Elle en enfantera beaucoup d'autres. Mais, de par la géographie du pays qui est le sien, de par le génie des races qui la composent, de par les voisinages qui l'entourent, elle revêt un caractère constant qui fait dépendre de leurs pères les Français de chaque époque et les engage pour leurs descendants. A moins de se rompre, cet ensemble humain, sur ce territoire, au sein de cet univers, comporte donc un passé, un présent, un avenir, indissolubles. Aussi l'État, qui répond de la France, est-il en charge, à la fois, de son héritage d'hier, de ses intérêts d'aujourd'hui et de ses espoirs de demain. »
La France, une création récente
L’histoire nationale, centrée autour d'un pays, est une création relativement récente. Avant 1789, les élites cultivées se passionnaient pour l’histoire… des Romains. Quant aux clercs, ils magnifiaient les grandes actions de la famille régnante à laquelle ils devaient leur statut. Ainsi les moines de Saint-Denis ont-ils pendant tout le Moyen Âge tenu scrupuleusement à jour les Chroniques des rois de France.
Tout change avec la Révolution. La France mais aussi l’Europe sont bouleversées de fond en comble. Les vieilles dynasties vacillent ou s’écroulent.
Les peuples, orphelins de leurs rois, aspirent à se refaire une identité non plus autour d’une dynastie mais d’un nouveau concept, plus abstrait : le Peuple ou la Nation.
En France et en Allemagne apparaissent les premiers historiens dignes de ce nom. L’Histoire devient avec eux une discipline universitaire à part entière.
Jules Michelet en est l'un des plus remarquables : excellent écrivain de l'école romantique, dithyrambique dans l'exposé des faits, il brosse un portrait épique de la France vue comme une « personne » : « L'Angleterre est un empire, l'Allemagne un pays, une race ; la France est une personne » (Tableau de la France).
Michelet n'aura pas de véritable disciple mais les générations suivantes d'historiens demeureront fidèles au cadre national, soit qu'ils privilégient l'histoire événementielle (l'« histoire-bataille »), soit qu'ils lui préfèrent l'histoire longue des moeurs et des idées, à l'image de Marc Bloch et Lucien Febvre.
La IIIe République se montre soucieuse de bâtir sa légitimité, prévenir le retour de la monarchie, contenir l'Église et préparer la revanche sur l'Allemagne. Elle brode un « roman national » qui exalte les valeurs de la gauche républicaine et fait l'impasse sur les rois et les prêtres, comme dans Le tour de la France par deux enfants (G. Bruno), manuel d'apprentissage de la lecture qui a fait le bonheur de plusieurs générations d'enfants.
L'histoire nationale s'impose dans l'éducation, instituteurs et professeurs ayant à coeur de fortifier la conscience patriotique de leurs élèves face à l'adversité. Les écoliers l'apprennent dans les petits manuels d'Ernest Lavisse, lesquels s'ornent en frontispice de la formule : « Enfant, tu aimeras la France parce que la nature l'a faite belle et que son histoire l'a faite grande ».
Aujourd’hui, l’Histoire de France est, avec la langue française, le ciment qui préserve l’unité de la communauté nationale, dans les limites de l’hexagone et de ses dépendances d’outre-mer. C’est un ensemble de souvenirs partagés, parfois embellis par la patine du temps, autour desquels nous pouvons dialoguer et nous reconnaître, quelles que soient nos croyances et nos couleurs de peau.
Concluons avec Ernest Renan : « Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore. Elle suppose un passé ; elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. L'existence d'une nation est (pardonnez-moi cette métaphore) un plébiscite de tous les jours, comme l'existence de l'individu est une affirmation perpétuelle de vie (...).
Les nations ne sont pas quelque chose d'éternel. Elles ont commencé, elles finiront. La confédération européenne, probablement, les remplacera. Mais telle n'est pas la loi du siècle où nous vivons. À l'heure présente, l'existence des nations est bonne, nécessaire même. Leur existence est la garantie de la liberté, qui serait perdue si le monde n'avait qu'une loi et qu'un maître » (Qu'est-ce qu'une Nation ?, 1882).
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Voir les 5 commentaires sur cet article
Hardi (25-10-2017 14:23:59)
Très beau dossier, en revanche très difficile à lire sur mobile et tablette... Par exemple il est impossible sur mobile de naviguer entre les différentes pages du dossier. Est-il possible d'avoir ... Lire la suite
JJNoirot (05-10-2015 08:52:53)
La France a été une personne.
Aujourd'hui, c'est personne.
CHOLLET-RICARD (27-05-2014 12:39:49)
La France et l'Allemagne sont parmi les rares Etats d'Europe à présenter une forte unité nationale mais pour des raisons différentes. En France c'est l'Etat capétien qui a fait la nation malgré ... Lire la suite