À la fin du long règne de Louis XV (1715-1774), la France jouit d'une situation de premier plan en Europe et dans le monde. Elle est le pays le plus peuplé d'Europe avec 26 millions d'âmes. Elle en est aussi le plus prestigieux. La langue et la culture de la Cour de Versailles rayonnent de Berlin, en Prusse, à Saint Petersbourg, en Russie. Les moeurs sont paisibles et l'instruction progresse rapidement, y compris chez les femmes.
Dans les salons parisiens, les écrivains et les penseurs français brassent les idées et refont le monde à l'image de leurs voisins anglais. C'est le « Siècle des Lumières ».
La France s'illustre dans les sciences naturelles avec Buffon et Lamarck et en chimie avec Lavoisier. En 1770, Cugnot construit le premier véhicule automobile, le « fardier ». En 1780, Jouffroy d'Abbans remonte la Saône à Lyon avec le premier bateau à vapeur. En 1783, devant la cour, à Versailles, une montgolfière emporte pour la première fois des hommes dans les airs...
La France est aussi le pays le plus puissant d'Europe, voire du monde, malgré quelques déconvenues dans sa rivalité avec l'Angleterre. Sa flotte, la Royale, fait quasiment jeu égal avec la Navy anglaise et ses colonies sucrières, en particulier Saint-Domingue (aujourd'hui Haïti), dominent très largement le commerce colonial et font la richesse de ses ports de l'Atlantique, Bordeaux, Nantes, La Rochelle... Protégé par la « ceinture de fer » de Vauban, le pays n'a pas connu d'invasion depuis la mort du Roi-Soleil.
Enfin, soulignons-le, le royaume s'est globalement enrichi au cours du XVIIIe siècle et il n'est plus sujet à des famines. L'automne pluvieux de 1787 et le printemps caniculaire de 1788 provoquent tout au plus un doublement du prix des céréales (rien à voir avec le quintuplement des années 1693-1694 qui avait provoqué un million de morts). « En réalité, la crise substancielle de 1788-1789, incontestablement environnementale, ne provoque aucune mortalité supplémentaire, ce qui montre à quel point la France s'est modernisée au XVIIIe siècle », écrit l'historien Emmanuel Le Roy Ladurie.
L'autorité royale est cependant entravée par l'opposition systématique des magistrats qui siègent au Parlement de Paris et dans les Parlements provinciaux. Le garde des sceaux Maupeou s'exclame avec clairvoyance : « Y a-t-il un seul souverain ? Ou la France est-elle soumise à douze aristocraties ? » Il convainc le vieux roi de briser les Parlements. C'est ainsi que le 21 janvier 1771, le Parlement de Paris est exilé. Il ne s'agit cependant que d'un court répit dans le lent pourrissement du régime.
1774
Le 10 mai 1774, à la mort de Louis XV, son petit-fils devient roi sous le nom de Louis XVI. La France jouit alors d'une grande prospérité. Le bien-être général s'améliore et les prix des biens manufacturés ou importés augmentent.
Mais les nobles, qui s'endettent en menant grand train à la Cour de Versailles, font leur possible pour accroître les revenus qu'ils tirent de leurs terres. Ils raniment de vieux droits féodaux tombés en désuétude et soulèvent contre eux la colère des paysans.
Usant de leur influence, parlementaires, haut clergé et aristocrates renforcent indéfiniment leurs privilèges fiscaux de sorte que tout le poids de l'impôt est supporté par les classes laborieuses (paysans et artisans). Celles-ci sont exaspérées par cette injustice majeure... en dépit d'une pression fiscale moyenne d'environ 11% seulement, contre 25% en Angleterre.
Hors, le nouveau roi n'a rien de plus pressé que de rappeler les parlementaires et de les rétablir dans leurs privilèges. C'est la première d'une longue série d'erreurs qui mèneront Louis XVI à la guillotine et feront perdre à la France son premier rang parmi les grandes puissances du monde.
Confronté à une situation financière désastreuse, Louis XVI choisit un ministre des finances compétent pour y faire face, Turgot, mais il ne le soutient guère dans sa tentative de réformer l'État.
1776
Le 12 mai 1776, le roi se sépare de Turgot et annule ses réformes sous la pression des privilégiés et de la Cour.
Necker remplace Turgot aux finances. Le banquier genevois, soucieux de sa popularité, écarte toute idée de réforme fiscale et recourt aux emprunts pour remplir les caisses de l'État et pourvoir aux dépenses énormes occasionnées par les interventions militaires en Amérique.
Le 4 juillet 1776, les colonies anglaises d'Amérique du nord proclament unilatéralement leur indépendance. Le 17 octobre 1777, les insurgés livrent la bataille de Saratoga. Ils reçoivent l'appui de la noblesse libérale d'Europe.
Le 6 février 1778, la France signe un traité de commerce avec Benjamin Franklin. Elle reconnaît les États-Unis d'Amérique et intervient officiellement dans la guerre d'Indépendance.
1780
À Vienne, l'impératrice Marie-Thérèse meurt après 40 ans de règne. Elle laisse le trône à son fils Joseph II, qui gouvernait déjà à ses côtés depuis 15 ans. Ami des philosophes, le nouvel empereur fait figure de modèle du souverain« éclairé », ami des Lumières et du progrès.
1781
Le 19 mai 1781, Necker est remercié par Louis XVI. Le ministre avait tenté de justifier ses emprunts imprudents en publiant un Compte rendu au roi qui dévoilait les dépenses somptuaires de la Cour. Il avait aussi préconisé des assemblées territoriales qui limitaient le pouvoir des intendants.
Le nouveau contrôleur général, Charles Alexandre de Calonne, ne trouve rien de mieux, dans un premier temps, que de distribuer des cadeaux à des personnes influentes pour donner le change sur l'état réel des finances publiques et gagner du temps ! Mais il comprend vite que l'état des finances publiques nécessite des réformes radicales. « Ce qui est nécessaire pour le salut de l'État serait impossible par des réparations partielles, » écrit-il au roi le 20 août 1786. Il s'agit de « reprendre en sous-oeuvre l'édifice entier pour en prévenir la ruine ».
Dans le même temps, les défaites de la France dans la guerre de Sept Ans révèlent l'incurie de nombre d'officiers, souvent des bourgeois fraîchement anoblis qui ont acheté leur grade et leur régiment. La noblesse désargentée des provinces s'émeut d'être pendant ce temps contrainte à l'inactivité. Sous sa pression, le ministre de la Guerre, le marquis de Ségur, signe un édit qui réserve les grades d'officiers aux détenteurs de quatre quartiers de noblesse. Par contrecoup, les sous-officiers méritants issus de la roture se voient privés d'avancement.
Le 19 octobre 1781, Américains et Français remportent la bataille de Yorktown et, le 3 octobre 1783, le traité de Versailles consacre l'indépendance des États-Unis.
Louis XVI peut être satisfait de la revanche prise sur les Anglais mais sa participation à la guerre américaine a creusé le déficit de l'État.
Pour ne rien arranger, la noblesse libérale du royaume, La Fayette en tête, cultive l'idée de transposer en France les principes démocratiques d'Outre-Atlantique.
Le 18 décembre 1783, William Pitt le Second (20 ans) devient Premier ministre en Grande-Bretagne. Ce jeune homme conduira la lutte contre la France jusqu'à sa mort en 1806.
1787
Le 17 septembre 1787, la Constitution américaine est publiée. Elle nourrira l'inspiration des Constituants français.
Le 22 février 1787, Calonne réunit à Versailles une assemblée de notables pour faire approuver un programme de réformes calqué sur celui de Turgot. Mais les notables, attachés à leurs privilèges fiscaux, acceptent tout sauf... le plus important, la subvention territoriale, un impôt foncier qui s'appliquerait à tous les propriétaires, y compris les privilégiés. C'est l'échec.
Le 8 avril 1787, Calonne est remplacé par l'archevêque de Toulouse Loménie de Brienne. Ex-président de l'assemblée des notables, il reprend les projets de Calonne après les avoir combattus mais devant l'obstruction de l'assemblée des notables, se résout à la renvoyer le 25 mai 1787. Retour à la case départ.
En désespoir de cause, dans l'obligation de combler au plus vite le déficit des finances, le roi convoque le Parlement de Paris en vue d'enregistrer un édit établissant un emprunt de 420 millions de livres (la monnaie de l'époque). Comme les discussions s'éternisent, Louis XVI transforme la séance du 19 novembre 1787 en lit de justice.
Cette procédure exceptionnelle lui permet d'imposer l'enregistrement de l'édit. Mais les parlementaires refusent de s'incliner. Joignant leur voix à celle des aristocrates, ils veulent profiter de la situation pour abaisser le pouvoir royal à leur profit et réclament la convocation des états généraux. Cette assemblée des trois ordres du royaume (clergé, noblesse et tiers état) n'avait pas été réunie depuis 1614 et l'époque troublée de la régence de Marie de Médicis, veuve d'Henri IV.
1788
Le 3 mai 1788, le Parlement publie une « déclaration des droits de la Nation » et réclame à nouveau la convocation des états généraux en espérant que cette assemblée contraindra le roi à respecter les exemptions fiscales des privilégiés. Mauvais calcul : beaucoup de ces magistrats finiront sur la guillotine...
En attendant, tous les privilégiés, y compris le haut clergé, se solidarisent avec le Parlement de Paris.
Le 7 juin 1788, la sédition tourne à l'émeute à Grenoble. Pendant la « journée des tuiles », les habitants bombardent de projectiles les soldats qui tentent de se saisir des parlementaires.
Les représentants du Dauphiné, au nombre d'environ 500, se réunissent le 21 juillet au château de Vizille et appellent à refuser le paiement de l'impôt.
Louis XVI, une nouvelle fois, s'incline et accepte donc de convoquer les états généraux en mai 1789.
Le 25 août 1788, Loménie de Brienne est remplacé par Necker qui se fait fort de rassurer les créanciers de l'État, les banquiers et l'opinion publique.
Le 25 septembre 1788, enfin, les parlementaires, qui commencent à s'inquiéter des conséquences que pourrait avoir l'orage qu'ils ont déclenché, décrètent une convocation des états généraux « suivant la forme observée en 1614 », autrement dit avec trois ordres très inégalitairement représentés. Ce n'est pas précisément ce à quoi aspirent les libéraux !...
Depuis 1780, à Vienne, Joseph II règne seul sur les États autrichiens.
C'est l'« Aufklärung » : fin du servage, expulsion des Jésuites, édit de tolérance, suppression des ordres contemplatifs, suppression de la torture, abolition des corporations...
Joseph II fait aussi du haut allemand la langue officielle de l'empire, à la grande fureur des minorités !
Dominé par la haine du clergé et de la papauté, le « joséphisme » va se solder par un échec cuisant... mais il montrera la voie aux révolutionnaires français.
Ces derniers ne feront guère pire que Joseph II en matière religieuse mais leur propre intolérance aura pour effet de plonger la France et l'Europe dans d'immenses désordres guerriers.
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Résultat d'une Histoire longue et embrouillée, le royaume a une structure administrative très confuse. Le gouvernement transmet ses ordres par l'intermédiaire des intendants qu'il a placés à la tête de chacune des 34 généralités. Celles-ci recoupent peu ou prou d'anciennes provinces et entités féodales.
Celles qui ont été le plus tardivement réunies au royaume ont généralement conservé leurs anciennes institutions et assemblées représentatives (États provinciaux, parlements...). On les appelle « pays d'États ». Elles sont relativement autonomes, ce qui leur vaut de payer moins d'impôts que les autres, les « pays d'Élections » (le terme est trompeur !)...
À ces circonscriptions se superposent 135 diocèses et, dans le domaine judiciaire, 13 parlements et 4 conseils souverains.
La Révolution française
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Christian Subra (18-07-2013 15:35:40)
J'ai une haute reconnaissance et une intense motivation après la lecture de ce texte récapitulant les actes et les prémisses qui mèment et aboutiront les uns après les autres suite à un enchaîn... Lire la suite
MARCHAND (07-10-2006 20:54:56)
Tout ça, c'est bien. Mais parlez donc des noyades de Nantes, des massacres de 1792, des colonnes infernales du général TURREAU, sans oublier ce loup sanguinaire de ROBESPIERRE. Et je vous laisse li... Lire la suite
margarida matos (02-10-2006 19:39:30)
Je suis professeur de français au Portugal, dans une école secondaire publique et j'ai beaucoup apprécié votre article sur la Révolution Française car il sera très utile à mes élèves qui é... Lire la suite