Nous avons demandé à ce dernier de nous présenter les enjeux de ce débat très actuel.
Nos musées peuvent-ils vendre les œuvres dont ils sont les dépositaires ? Peuvent-ils « aliéner » les collections nationales et remettre en cause un principe qui remonte à François 1er ? Cette question est revenue avec force dans le débat public à travers le rapport Lévy-Jouyet (2006) sur l'économie de l'immatériel et la lettre de mission du président de la République Nicolas Sarkozy à la ministre de la Culture Christine Albanel, qui a conduit cette dernière à confier une mission de réflexion à Jacques Rigaud.
Il y a aussi une proposition de loi du député Mancel destinée à affranchir les pouvoirs publics des règles qui interdisent de revendre des objets entrés dans les collections publiques.
Il doit être possible d'y réfléchir sereinement, considérant que d'ores et déjà, les œuvres confiées aux musées de France, sur le fondement de l'inaliénabilité, peuvent être cédées au terme d'une procédure exceptionnelle de déclassement et de l'intervention d'une commission scientifique.
Au niveau international, le Conseil international des musées (l'ICOM) propose des lignes de conduite pour encadrer la procédure de cession des œuvres et, notons-le, quelques pays connaissent des règles plus souples que la France concernant la possibilité de revendre des œuvres des musées.
Mais, en tout état de cause, de telles ventes ne peuvent intervenir que dans un cadre très réglementé (par la loi ou par les recommandations des organisations professionnelles de musées, comme aux États-Unis d'Amérique par exemple). Et elles ne peuvent servir qu'à se séparer d'objets sans intérêt pour le musée ou dans un état très médiocre, ou encore pour acquérir des pièces de qualité supérieure. Elle ne sauraient en aucun cas financer le fonctionnement ou les projets d'investissement des musées concernés.
La question des réserves est au coeur du débat même si les réserves sont loin d'être aussi riches qu'on le dit ou qu'on le croit. L'espace qui leur est dévolu ne peut s'étendre indéfiniment, d'autant que leur coût ne cesse de croître à mesure que les musées s'enrichissent de nouvelles pièces. Par conséquent, n'y a-t-il pas la nécessité de faire des choix, dans l'intérêt même du musée et de la bonne gestion de ses collections ?
Comme aux Pays-Bas ou en Grande-Bretagne, le débat doit porter sur la modernisation des réserves des musées et la conservation optimale des œuvres qu'ils détiennent. Dans cette optique, il s'agit de conserver moins, mais mieux ; et ce en n'ayant en vue que l'intérêt du projet muséal, et non pas la perspective de trouver des sources de financement qui iraient à l'encontre de la mission de conservation du musée.
On peut alors se demander dans quelles conditions et selon quels critères les musées pourraient se séparer d'éléments de leurs collections. Il faut distinguer d'une part les œuvres majeures, d'autre part les pièces de collection, de qualité incontestablement médiocre mais dont la vente ne saurait entraîner des recettes significatives.
La remise en cause de l'inaliénabilité vient en bonne partie du désir de valoriser les réserves des musées. Or, contrairement à la légende, ces réserves ne débordent pas de chefs-d'œuvre cachés, ainsi que le souligne Françoise Cachin, ancienne directrice du musée d'Orsay. Les réserves du Louvre lui-même comportent surtout des gravures et très peu de « peintures de chevalet ». D'autre part, il va de soi que les pièces de ces réserves sont par définition de moindre valeur que les pièces en exposition et que leur vente ne peut être que d'un intérêt limité.
Les musées américains disposent de la possibilité de se séparer de certaines pièces de leurs collections, de les revendre sur le marché, selon la procédure dite de «deaccessioning», en opposition au principe français d'inaliénabilité des collections publiques.
De fait, certains musées n'hésitent pas à profiter des périodes de bonne tenue du marché de l'art pour vendre certaines de leurs œuvres dans le but d'acquérir des pièces que les prix atteints dans les ventes publiques ne leur permettaient plus d'acheter, du fait de la relative modicité de leurs budgets d'acquisition.
Certains excès ont toutefois conduit l'Association of Art Museum Directors à actualiser en 2007 sa position concernant la pratique du deaccessioning, en précisant les conditions qui la rendent possible : agir en toute transparence et conformément à la mission du musée ; prendre en compte l'importance locale de l'œuvre ; et privilégier le fait pour cette dernière de continuer à appartenir au domaine public plutôt que d'être cédée à un collectionneur privé.
Dans le cas néerlandais, le déclassement des œuvres des musées est soumis à des conditions strictes : l'aliénation de pièces de musées n'est autorisée que s'il s'agit d'objets dont il a été constaté que leur intérêt est faible en rapport avec l'objectif du musée ; elle doit s'inscrire dans la politique du musée en matière de collections, qui doit être harmonisée avec celle d'autres musées de manière à éviter au maximum les chevauchements et les lacunes ; l'aliénation n'est autorisée que s'il a été vérifié qu'un échange ou un prêt n'est pas possible ; enfin, les recettes d'une vente éventuelle doivent toujours servir à acquérir de nouvelles pièces, c'est-à-dire à améliorer la qualité de la collection.
Si le principe français d'inaliénabilité doit évoluer, cela doit être avant tout l'affaire des professionnels, qui peuvent s'appuyer sur les réflexions de l'ICOM et de leurs collègues étrangers. L'objectif doit être de renforcer la collection en se séparant d'œuvres « inférieures » à celles nouvellement acquises et en prenant soin de ne pas heurter les exigences du donateur, lorsqu'elles existent.
Dès lors, les critères à prendre en compte pourraient être les suivants : permettre un enrichissement des collections et/ou une meilleure gestion des réserves, en conformité avec la politique d'acquisition du musée (qui découle elle-même de sa mission) ; informer au préalable les parties intéressées (tutelles, mécènes, amis du musée...) ; proposer dans un premier temps l'œuvre à d'autres musées ou institutions publiques - sous la forme de don, d'échange, voire de vente privée - avant d'envisager une vente publique ; respecter les souhaits du donateur de l'œuvre ; tenir compte de l'attachement de la population à certaines pièces, devenues parfois le symbole de l'institution ou de son territoire ; enfin, n'utiliser l'argent recueilli, le cas échéant, que pour enrichir les collections.
En définitive, on se rend compte que ces conditions peuvent se réaliser dans le cadre de la législation actuelle, sous réserve d'un léger dépoussiérage. Cette législation a le double mérite de protéger l'intégrité des collections et de proposer dans le même temps une procédure pouvant conduire à se dessaisir d'un objet appartenant au musée.
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