« C'est avec des hochets qu'on mène les hommes ! » Ainsi répondit en 1802 Napoléon Bonaparte à un conseiller d'État qui s'inquiète de ce que la Légion d'Honneur viole le principe révolutionnaire d'égalité.
Disant cela, le Premier Consul s'inscrivait dans une démarche vieille d'un demi-millénaire, la plupart des grands monarques ayant eu à coeur, dès la fin du Moyen Âge, de s'assurer à moindre coût, par des distinctions purement honorifiques, le dévouement de leurs serviteurs.
Aux alentours de l'An Mil, en Europe occidentale, le pouvoir monarchique se structure autour des liens de vassalité par lesquels les guerriers font serment de servir leur suzerain en toute exclusivité.
À la fin du Moyen Âge, au XIVe siècle, ces liens s’affaiblirent du fait des allégeances multiples. Certains seigneurs prirent prétexte de ce qu’ils avaient prêté serment de vassalité à plusieurs suzerains pour n’obéir ni aux uns ni aux autres. Dans le même temps, dans les châteaux, avec l'élévation du niveau d'instruction, on se prit de passion pour les récits épiques autour de Roland ou des chevaliers de la Table Ronde, qui mettaient à l'honneur les vertus chevaleresques.
Les souverains se saisirent de ce levier affectif pour s'attacher leur noblesse. C'est ainsi qu'en 1330, le roi Alphonse X de Castille et Léon fonda le premier « ordre de chevalerie » : l'Ordre de la Bande (aujourd'hui disparu).
L'exemple espagnol est très vite repris par les autres souverains qui fondent à leur tour des ordres de chevalerie, avec des rituels et des attributs vestimentaires prestigieux ainsi que des grades, le plus haut étant celui de grand-maître de l'ordre, réservé au souverain, cela va de soi. Ces ordres précipitent la fin de la féodalité et l'avènement des États modernes, leurs membres, honorés pour leurs mérites, n'ayant plus de motif d'obéir à d'autres suzerains que leur roi.
Le 23 avril 1348, le jour de la Saint Georges, saint patron de l'Angleterre, le roi Édouard III fonde le « nobilissime Ordre de la Jarretière » (en anglais : Most Noble Order of the Garter). C’est le plus ancien ordre de chevalerie qui subsiste aujourd’hui.
La jarretière est un ornement féminin qui sert à fixer les bas mais c'est aussi un équipement qui retient les jambières des chevaliers.
La chronique galante voudrait que l'ordre eut été fondé après que la maîtresse du roi, la comtesse Jeanne de Salisbury, eut perdu sa jarretière au cours d'un bal à Calais.
Le roi se serait baissé pour ramasser celle-ci et, pour couper court aux railleries, aurait lancé : « Messieurs, honni soit qui mal y pense. Ceux qui rient maintenant seront très honorés d'en porter une semblable, car ce ruban sera mis en tel honneur que les railleurs eux-mêmes le chercheront avec empressement ».
La vérité est sans doute plus politique : entamant de la guerre de Cent Ans, le roi aurait souhaité resserrer ses liens avec ses barons d'Angleterre comme du Continent.
La devise de l'Ordre : « Honi soit qui mal y pense » (en français dans le texte et avec un seul n au premier mot) et son insigne, une croix rouge, rappellent la revendication des Plantagenêt sur le « Royaume des Lys » (la France).
Beaucoup plus tôt, en 1188, à la conférence de Gisors destinée à préparer la troisième croisade, on avait convenu que les Français se distingueraient par une croix rouge et les Anglais par une croix blanche. En adoptant une croix rouge pour son ordre de la Jarretière, Édouard III signifie qu’il se considère comme Français autant qu’Anglais.
L’ordre a eu depuis l’origine 25 titulaires simultanés plus le souverain, hors chefs d’État étrangers (l'empereur Napoléon III l'a reçu le 8 avril 1855 ; après lui, aucun président de la République française ne l'a reçu).
C’est l’un des ordres les plus fermés du monde. Le chapitre de la Jarretière se réunit tous les ans, à la fin juin, dans la chapelle Saint-Georges, au château de Windsor.
Churchill fut le premier non-noble à recevoir l’ordre de la Jarretière en 1953 (bien que descendant du duc de Marlborough, il n’était pas considéré comme noble car fils cadet de son père).
En 1725, le gouvernement anglais choisit de créer un nouvel ordre moins fermé que le précédent (et moins prestigieux) : l'Ordre du Bain, en référence au bain que prenaient les chevaliers la veille de leur adoubement, au Moyen Âge.
Sa devise : Tria juncta in Uno (trois unis en un) illustre le Royaume-Uni, de même que son médaillon, avec la rose anglaise, le chardon écossais et le trèfle irlandais.
Pour manifester son prestige et s'assurer l'allégeance de ses barons, qu'ils soient flamands, bourguignons ou autre, le duc de Bourgogne Philippe le Bon fonde l’Ordre de la Toison d’Or le 10 janvier 1430 à Bruges, à l’occasion de son mariage avec Isabelle de Portugal.
Son nom rappelle le mythe de Jason et de la Toison d’Or. Cette référence à un mythe païen traduit l'étiolement de la ferveur chrétienne à la fin du Moyen Âge et un goût inédit pour l'Antiquité.
À l'imitation de son rival anglais, le roi de France Jean II le Bon fonde l’Ordre de l’Étoile en 1350.
Un siècle plus tard, le 1er août 1469, Louis XI, désireux de rivaliser avec la Toison d'Or, fonde l’ordre et aimable compagnie de monsieur saint Michel. Son effectif est d'abord limité à 36 chevaliers, tous nobles bien entendu. L’ordre est placé sous le patronage de l’archange, dont le Mont, entre Normandie et Bretagne, a résisté aux attaques anglaises pendant les deux siècles précédents. Mais après Henri II, l’ordre se dévalue et devient le « collier à toutes les bêtes ».
Henri III corrige le tir avec l’Ordre du Saint-Esprit, qu’il fonde en l’église des Grands Augustins, sur le quai de la Seine, le 31 décembre 1578. Le nom rappelle la Pentecôte, jour auquel le roi est né et a été couronné roi de Pologne puis roi de France. Il s’ensuit toutefois un scandale du fait que les Guise, chefs de file des ultras catholiques, n’ont pas été invités à la cérémonie.
Le nouvel ordre se signale par une croix de Malte en guise d’insigne et, pour la première fois, une plaque que les titulaires portent sur la poitrine. Il compte cent chevaliers. Le roi choisit ceux-ci parmi les chevaliers de l'ordre de Saint-Michel, une façon de restaurer l'intérêt pour ce dernier.
Excédé par les dérives de l'Ordre de Saint-Michel, Louis XIV le réforme par l’ordonnance du 12 janvier 1665 en ramenant de plus d’un millier à cent le nombre de ses titulaires, obligatoirement nobles. Et pour la première fois, il réserve l’ordre à des personnes ayant démontré leurs mérites pendant au moins dix ans. Les heureux titulaires doivent porter l'étoile de l'ordre accrochée à un ruban noir en écharpe. Il n'est plus guère question de collier.
Supprimé par le décret du 30 juillet 1791, l’Ordre du Saint-Esprit est restauré par Louis XVIII en 1814, en concurrence avec la Légion d’Honneur. Il s’éteint en 1830 avec l’accession au trône de Louis-Philippe Ier.
Cet ordre préfigure la Légion d'Honneur. Pour la première fois, il n'est plus attribué à des favoris sur la seule foi de leur haute naissance mais à des personnes choisies pour leurs mérites. Si d'aventure ces personnes sont roturières, elles sont anoblies par le roi avant d'entrer dans l'ordre. Ce fut ainsi le cas de l'architecte Hardouin-Mansart, du jardinier Le Nôtre ou encore du peintre Rigaud.
Le 5 avril 1693, à l'initiative de Vauban et du maréchal de Luxembourg, le Roi-Soleil crée une distinction destinée aux militaires, afin de les galvaniser dans la guerre contre la Ligue d'Augsbourg. La nouvelle distinction, appelée Ordre de Saint-Louis, récompense les combattants selon leur vaillance et non selon leur naissance. Vauban en est l'un des huit premiers titulaires avec le grade de Grand Croix.
Distribué avec parcimonie par Louis XIV (2000 titulaires à la fin de son règne), l'Ordre de Saint-Louis va se révéler un efficace stimulant dans les dernières guerres du règne. Son succès va inspirer à Napoléon Bonaparte la création de la Légion d'Honneur.
La Révolution française entraîne l'abolition des ordres de chevalerie, coupables d'instituer des inégalités entre les citoyens, à l'égal des institutions féodales.
Mais avec le rétablissement de l'ordre, dix ans plus tard, le Premier Consul Napoléon Bonaparte ressent la nécessité de « hochets ». C'est ainsi qu'il fonde la Légion d'Honneur en 1802, destinée à récompenser tant les civils que les militaires. Son nom signale le goût de l'époque pour l'Antiquité et notamment Rome.
Du fait de l'opposition des notables, Bonaparte doit patienter deux ans avant de remettre les premiers insignes en l'église Saint-Louis des Invalides, le 14 juillet 1804. Une deuxième remise a lieu au camp de Boulogne, devant 100 000 soldats, le 16 août 1804. Elle honore les héros des premières victoires de la Révolution. Parmi les impétrants, André Estienne, le petit tambour d’Arcole, aura qui plus est l'honneur de voir son nom gravé sur l’Arc de Triomphe...
Sous le Premier Empire, 48 000 personnes reçoivent la prestigieuse distinction, parmi lesquels seulement 1400 civils. Parmi ces derniers, le poète allemand Goethe, qui en est très fier, et aussi un premier ouvrier, le contremaître Hubert Goffin, après qu'il eut réussi à extraire plusieurs de ses compagnons d'une mine effondrée.
L'Empereur des Français, qui est également le souverain de plusieurs pays satellites, ne manque pas de créer d'autres décorations et ordres de chevalerie. Ainsi l'ordre de la Couronne de Fer, fondée à Milan le 5 juin 1805, en référence à la couronne des anciens rois lombards, ainsi nommée parce qu'elle aurait contenu un clou de la croix du Christ.
La chute de Napoléon et la restauration de la monarchie n'affectent pas la Légion d'Honneur. Victor Hugo la reçoit en 1825 alors qu'il n'a encore que 23 ans. Sous le Second Empire, elle est remise à sept femmes, dont le peintre Rosa Bonheur et plusieurs religieuses.
Au début de la IIIe République, l'appétence pour la Légion d'Honneur va mettre en péril les institutions. On découvre en effet en 1887 que le gendre du président de la République profite de sa position pour marchander l'octroi de la distinction à de généreux et peu scrupuleux donateurs. Cette « affaire des décorations » tourne à l'émeute et oblige le président Jules Grévy à démissionner.
Se pourrait-il que pareil scandale se reproduise au XXIe siècle ? On peut en douter. Avec environ 91 500 titulaires en 2011, après un maximum de 320 000 en 1968, la Légion d'Honneur est aujourd'hui obtenue par les personnes les plus en vue sans qu'elles aient besoin de beaucoup intriguer.
Le 22 janvier 1852, moins de deux mois après son coup d'État, le prince-président Louis-Napoléon Bonaparte crée la Médaille Militaire. Il ne s'agit pas d'un ordre de chevalerie mais d'une simple décoration avec un seul grade. Le souverain veut s'en servir pour récompenser les simples soldats, lesquels n'ont que trop exceptionnellement accès à la Légion d'Honneur.
Dans un premier temps, la décoration suscite le scepticisme dans la troupe. Sa réputation se forge trois ans plus tard, pendant la guerre de Crimée, quand des soldats prennent conscience qu'ils peuvent porter une médaille identique à celle qui figure sur la poitrine de l'Empereur.
La médaille suscite une forme nouvelle de camaraderie qui transcende les grades. Ainsi l'illustre l'histoire du maréchal Canrobert, sur le champ de bataille, en Crimée, en 1855. Peu après avoir lui-même reçu la médaille militaire, il la fixe sur la poitrine d'un fusilier et lui déclare : « Et maintenant, te voilà autant que moi ».
– « Avec moins de décompte et moins de galon... ».
Un boulet fait à cet instant rouler à terre les deux hommes.
– « Tu vois bien, reprend Canrobert en se relevant, nous en sommes au même point. Donne-moi la main ».
La Médaille Militaire a été conférée à de grands chefs de guerre, y compris des étrangers comme Churchill ou le général américain Pershing. Elle est aujourd'hui portée par environ 200 000 personnes.
Le retour de la guerre en 1914 a relancé le besoin d'honorer les combattants. Dès août 1914, l'empereur allemand Guillaume II rétablit la Croix de Fer créée par son aïeul Frédéric-Guillaume III un siècle plus tôt, en 1813, pendant les guerres napoléoniennes. Pas moins de cinq millions seront distribuées au cours de la Grande Guerre. De son côté, le gouvernement français crée en avril 1915 la Croix de Guerre...
Le général de Gaulle fonde le 16 novembre 1940, à Brazzaville, l'Ordre de la Libération, pour honorer les authentiques combattants et résistants de la France Libre. Les nominations se sont interrompues naturellement à la fin du conflit. L'ordre aura de la sorte compté à peine plus d'un millier de « compagnons » au total.
Quand, plus tard, le général de Gaulle fonda la Ve République, il s'inquiéta de la banalisation de la Légion d'Honneur et pour y remédier, créa le 3 décembre 1963 l'Ordre national du Mérite. Il supprima par la même occasion 13 décorations ministérielles, n'en laissant subsister que quatre : les Palmes académiques, le Mérite agricole, le Mérite maritime et les Arts et lettres. Aujourd'hui, l'Ordre du Mérite compte environ 200 000 titulaires (deux fois plus que de « légionnaires »).
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Hélène B (14-11-2021 10:48:23)
Une chose m'a frappée dans le discours d'Emmanuel Macron lors de l'hommage à Hubert Germain : l'usage de mot chevalier ("Le dernier chevalier de la liberté"). Pourquoi ? Parce que c'est une chose b... Lire la suite
Marcel (24-04-2018 20:07:18)
Nicolas Sarkozy, premier président de la Ve République à recevoir cette distinction, s'est vu ainsi remercier pour son rôle dans la lutte contre l'organisation séparatiste basque ETA, devenant le... Lire la suite
Louis (11-03-2012 19:03:15)
On se demande pourquoi le Président Sarkozy a été décoré par le roi d'Espagne?
Quelqu'un peut-il répondre à cette question?
D'avance, un grand merci.
LOUIS