Napoléon à la Villette

Les fastes de l'Empire en trois dimensions

Le 5 mai 1821, Napoléon Bonaparte meurt à Sainte-Hélène. Deux siècles plus tard, en 2021, la Grande Halle de La Villette (Paris) lui dédie une monumentale exposition, du 28 mai au 19 décembre. Vous pourrez y voir des tableaux, des statues et des armes, mais aussi le trône de Napoléon, la berline du cortège de son mariage avec Marie-Louise, l'édition originale du Code civil et le nécessaire de voyage de la duchesse de Dalmatie. Si vous êtes intéressé, ne tardez pas à réserver un billet : les places partent vite !

Bonaparte devant le sphinx, par Jean-Léon Gérôme, 1867-1868. Source : Hearst Castle, The Yorck Project.

Un sujet ambitieux

Cette année, le centre culturel parisien de la Villette a choisi de consacrer six mois à l'un des grands personnages de l'Histoire de France : Napoléon (1769-1821).

En dépit de la pandémie, la file d’attente est longue pour accéder à l’entrée. Le public est varié : jeunes BCBG, familles avec enfants en bas âge, retraités... Des groupes d’amis se sont déplacés d’une autre région de France pour (re)découvrir Napoléon.

Une fois parvenus dans le hall d'entrée, les hôtesses nous invitent à avancer en direction d'une salle plongée dans le noir. Une vidéo dénommée « Le Monde avant Napoléon » nous accueille en fanfare. Le groupe français de pop-rock Phoenix y chante son texte « Napoleon says ». Puis, une voix off brosse une rétrospective historique rapide des soubresauts politiques du XVIIIème siècle. La présentation débute par le règne de Louis XVI, se poursuit avec la Révolution française et la Convention nationale, pour s’achever sur la naissance de Napoléon.

Affiche de l'exposition Napoléon à la Villette.

Neuf sections hautes en couleur

Meubles de la chambre du lieutenant Bonaparte à Auxonne, 1788-1791, bois. Paris, musée de l'Armée.L’exposition a été divisée en neuf sections colorées correspondant aux périodes charnières de la vie de Napoléon Bonaparte.

Elle s’ouvre avec un espace consacré aux études militaires de Bonaparte : « 1779-1784 : Brienne ». Déjà, le jeune homme est considéré comme quelqu’un « d’ombrageux ». Outre une statue en bronze, son brevet de lieutenant et les meubles de sa chambre à Auxonne sont exposés, rendant le personnage touchant. Ils sont accompagnés de la projection d’un extrait du film Napoléon d’Abel Gance. Nous y voyons une bataille de boules de neige opposant deux bandes d’enfants ; l’une d’entre elles est dirigée par Bonaparte (cette scène relève de la légende dorée plus que de l'Histoire).

Dans une seconde section, on part à la découverte de l’armée révolutionnaire, de 1795 à 1799. Bonaparte a de grands desseins. À 24 ans, il est capitaine au siège de Toulon. Il enchaîne les victoires en 1796 durant la campagne d’Italie ; une vidéo et une carte animée nous aident à comprendre cette dernière de manière pédagogique. Ainsi, même les plus petits peuvent facilement accéder à l’Histoire. En 1798, il est nommé général pour la campagne d’Égypte.

Les adultes apprécieront le célébrissime tableau d’Antoine Gros Bonaparte au pont d’Arcole (1796), premier jalon de la propagande napoléonienne, tandis que les enfants observeront bouche bée le dromadaire naturalisé prêté par le Muséum d’Orléans.

Extrait du film Napoléon réalisé par Abel Gance en 1927.

Le « rêve américain »

Nos pas nous conduisent ensuite en direction du « rêve américain » de Bonaparte (1799-1803). Il faut toutefois un œil de lynx pour repérer la petite pièce située à notre gauche.

Une fois entrés, nous nous asseyons pour regarder des vidéos sur l’esclavage. Un des membres du Comité de réflexion et de proposition pour les relations franco-haïtiennes, Marcel Dorigny, nous parle du statut spécifique des colonies : sous Napoléon, elles deviennent des départements français. À terme, ce dernier souhaite établir un empire colonial en Amérique. Son entourage, notamment Talleyrand et Cambacérès, le pousse dans cette direction.

Une révolte à Saint-Domingue (actuelle Haïti) entre 1791 et 1804, conduite par Toussaint Louverture, mais aussi en Guadeloupe précipitent les débats. L’envoi de troupes dans les colonies et le décret du 20 mai 1802 voté par l’Assemblée nationale sont évoqués par l’historien Frédéric Régent. Il explique que l’esclavage a été rétabli pour des raisons économiques (production de sucre dans les îles) et politiques (volonté de contrer l’impérialisme britannique).

Le chercheur Jean-Pierre Sainton, professeur aux Antilles, explique quant à lui que la mémoire coloniale est indissociable de la mémoire collective dans les îles françaises : elles « se rencontrent concrètement partout ». Toutefois, il affirme : « Aucune Histoire ne peut plus se raconter de manière solitaire (...) nous devons accepter les parts d’ombre des grands personnages historiques ».

Napoléon Bonaparte, l'infatigable réformateur

Code civil des Français. Edition originale et seule officielle, 1804. Paris, musée de l'Armée.Une quatrième section nous plonge dans une période souvent délaissée : le Consulat (1799-1804). L’habit en velours de soie brodé, le portefeuille et le sabre en acier et ébène du Premier Consul sont présentés, comme autant de symboles de la jeune République.

Les réalisations institutionnelles de Bonaparte sont rendues vivantes par la médiation d’objets exceptionnels : pièces et médailles en or produites par la Banque de France, édition originale reliée en demi-cuir du Code civil, collier de la Légion d’honneur du maréchal Louis-Alexandre Berthier...

Grâce à une grande carte, notre regard se porte sur un autre projet : la centralisation du pouvoir avec la mise en place de 134 départements. Résultat des différentes campagnes militaires, ils sont situés dans de nombreux pays européens : Italie, Belgique, Hollande, Suisse, Catalogne espagnole et Allemagne occidentale. Ainsi, on dénombre 47 départements de plus qu’en 1790.

Salle du trône de Napoléon Ier à la Villette.

L'Empire glorifié

Trône de l'Empereur Napoléon Ier Bonaparte, dessiné par J.-F. Chalgrin et réalisé par F.-H. Jacob-Desmalter en 1804-1805, Sénat. En agrandissement : Habit (1804-1809) et sabre (1799) du maréchal Lannes. Paris, musée de l'Armée.La muséographie fait la part belle à l’Empire au travers d'une petite pièce centrale protégée des regards indiscrets par d’épais rideaux rouges. Ici siège en majesté le trône en bois doré dessiné par Jean-François Chalgrin et réalisé par l'ébéniste François-Honoré Jacob-Desmalter en 1804-1805. C'est du haut de ce siège impérial que Napoléon surveillait le Sénat. Ce siège a des confrères : d'autres trônes et fauteuils. Ceux-ci ont été disséminés à travers les différentes résidences de l'empereur et les assemblées.

Aux côtés de ce trône figurent les habits, les glaives et les cannes de cérémonie de plusieurs maréchaux.

En sortant de ce lieu insolite, une reproduction immense du Sacre de Napoléon peint par Jacques-Louis David nous éblouit. Les commissaires de l’exposition ont déconstruit cette peinture d’histoire en se penchant minutieusement, avec pédagogie, sur chaque groupe de personnages.

Une pièce toute en longueur est consacrée aux fastes du « style Empire ». Nous pouvons y admirer le somptueux service de porcelaine de Sèvres réalisé à l’occasion du mariage de Napoléon avec Marie-Louise.

Nécessaire de voyage aux armes de la maréchale Soult duchesse de Dalmatie, réalisé par Boulanger, Castel, Huguet et Minot en 1812. Paris, Fondation Napoléon. En agrandissement : Cabaret des chasses impériales, Manufacture de Sèvres, J.-F. Robert, 1812. Paris, Fondation Napoléon.Non loin de là se trouvent le nécessaire de voyage aux armes de la maréchale Soult, duchesse de Dalmatie. Dans l'écrin de ce nécessaire sont installés des objets pour écrire, s'éclairer et se laver. Les matériaux sont luxueux : cristal, ivoire, acajou, écaille, porcelaine...

Près de ce coffret repose le cabaret des chasses impériales. Ce service à café en porcelaine, argent doré et maroquin vert a été réalisé par la Manufacture de Sèvres pour la comtesse de Croix, qui servait l'impératrice Marie-Louise.

Sous une vitrine, de minuscules boîtes en or, émail et ivoire aux effigies de Joséphine, de Marie-Louise, de Napoléon et de ses frères et sœurs reposent au bout de fines piques noires.

Paire de fauteuils en acajou à tête de némès, Jacob-Desmalter, 1805. Musée de Fontainebleau. En agrandissement : Paire de vases, Manufacture de Dihl et Guérhard, 1805. Paris, Fondation Napoléon.Dans un recoin, habilement éclairée, une « period room » (salle de reconstitution historique) invite le public à découvrir l'ameublement et la décoration du salon d'un hôtel particulier sous l'Empire. Nous sommes frappés par les nombreux détails des scènes militaires représentées sur des vases de porcelaine et de bronze doré fabriqués par la Manufacte de Dihl et Guérhard.

Au fond de la pièce, deux fauteuils verts réalisés par Jacob-Desmalter en acajou, tapissés de gourgouran. Solidement campés sur leurs pieds, ils semblent l'endroit rêvé pour entamer une discussion politique enflammée avec de très bons amis ou de simples connaissances.

Projection du Sacre de Napoléon de Jacques-Louis David, réalisé en 1805-1807, conservé au musée du Louvre. En agrandissement : La Victoire, berline du cortège du mariage de Napoléon et Marie-Louise, 1804. Musée de Versailles

Un régime autoritaire

Seule une toute petite partie de l’exposition est vouée aux dérives autoritaires napoléoniennes. Dans deux vidéos, Thierry Lentz, historien, et Arthur Chevallier, écrivain, s’intéressent à « l’exercice de l’Etat », aux réalités du pouvoir.

Les deux hommes concordent sur un point : la répression s’est faite crescendo. D’un « intellectuel étranger à la tyrannie », Bonaparte devient un empereur despotique. Arthur Chevallier affirme que cette réputation est liée à la personnalité de Napoléon, qui ne supportait pas la contradiction : « il était colérique et voulait toujours avoir raison ». Jacques-Olivier Boudon renchérit : Napoléon est « seul maître à bord » du vaisseau français.

Dans les faits, après avoir congédié des magistraux laxistes, Napoléon durcit la justice dès 1810. Parallèlement, en 1800, il crée la préfecture de police ; à sa tête, il place Joseph Fouché. Le Ministre de la police met au point une méthode sans égale : il emploie des indicateurs sur tout le territoire et rédige des fiches informatives sur l’ensemble des sujets français.

Au quotidien, la police arrête les opposants politiques de Bonaparte et surveille la presse, les imprimeurs, les libraires et le peuple. L’empereur met fin à la liberté de réunion et d’association. 2500 personnes ont été emprisonnées sous Napoléon selon Thierry Lentz ; c’est toutefois moins que sous la Terreur, où 500 000 personnes ont fait l'objet d'une arrestation.

Il est également à noter que les droits des femmes sont restreints. Avec l’instauration du Code civil, les femmes mariées sont juridiquement considérées comme des mineures. Elles doivent se référer à leur mari avant toute prise de décision. Seules les veuves peuvent disposer de leurs biens comme elles l’entendent.

La Grande Armée, cerise sur le gâteau

À la Villette, les admirateurs du général Bonaparte ne seront pas déçus : il flotte comme un parfum de nostalgie pour l’époque de la Grande Armée. Au fond d’un immense espace, nous découvrons le lieu de bivouac du chef de guerre : une tente en coutil rayé bleu et indienne. Le mobilier est rudimentaire mais élégant : lampe bouillote, lit, chaise et table pliante.

Canon de campagne de quatre livres, modèle 1765, réalisé en 1793. Lille, musée des Canonniers Sédentaires.Dans des vitrines siègent le chapeau en feutre porté par Bonaparte durant la campagne de Russie, ainsi que sa redingote grise, objets sacrés entre tous. Ils sont complétés par un boulet autrichien de 6 livres issu du champ de bataille de Wagram, le plastron de cuirasse d’un officier, des balles de fusil provenant du champ de la Moskowa, une « aigle blessée », des sabres d’officiers... et même un canon de campagne en bronze prêté par un musée lillois. Les reliques sont présentes au grand complet.

Grégory Spourdos et François Houdececk dressent un bilan des campagnes militaires napoléoniennes dans deux vidéos très instructives. Ils font état de 950 000 morts sur le champ de bataille. Certains soldats meurent au combat, d’autres du typhus, de la dysenterie, de la fièvre jaune...

Nous apprenons également que Napoléon renforça la conscription (le service militaire, une création de la Révolution). Le principe était simple : les jeunes français célibataires tiraient au sort un numéro. S’il s’avérait mauvais, ils devaient partir guerroyer. Pour l’éviter, certains n’hésitaient pas à s’auto-mutiler ou à se marier ; ils étaient alors fichés par Fouché et poursuivis par la police.

Tente de l'Empereur Napoléon Ier composée de nombreux éléments en tissu et piquets, 1808. Paris, Mobilier national. En agrandissement : Plastron de cuirasse d'officier de cuirassier transpercé par un boulet à la bataille de Wagram, 1809. Paris, musée de l'Armée.

Une fin en beauté

Masque mortuaire de Napoléon, par Francesco Antommarchi, 1821. Moulage en plâtre. Rueil-Malmaison.Alors que nous nous dirigeons vers la sortie, un objet et une œuvre attirent notre attention. Le premier est insolite : c’est le masque mortuaire de Napoléon. Ce moulage en plâtre, réalisé par le médecin Francesco Antommarchi en 1821, est conservé habituellement à Rueil-Malmaison. Le visage de Napoléon semble serein, apaisé.

La seconde oeuvre brise cette impression en redonnant un dernier souffle au mythe. Les yeux de la statue Les derniers moments de Napoléon Ier à Sainte-Hélène de l'artiste italien naturaliste Vincenzo Vela nous fixent d'un air dramatique. Par un habile procédé de miroirs juxtaposés, l’empereur semble se démultiplier à l’infini.

Nous repartons en direction de la boutique, gardant en tête ce regard mi-figue mi-raisin, mêlant résignation et détermination, subtil alliage de ce que fut Napoléon.

Les derniers moments de Napoléon Ier à Sainte-Hélène, par Vincenzo Vela, 1866, musée de Versailles.

Publié ou mis à jour le : 2021-07-04 11:18:24

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