Vers 1203

Les affamés de Château-Gaillard

Été 1203. Les troupes françaises envahissent la Normandie et se présentent au pied du célèbre Château-Gaillard. Elles s'emparent rapidement de l'île d'Andeli, puis escaladent la haute colline qui supporte l'énorme forteresse.

Stéphane William Gondoin
Le siège de la forteresse

Philippe Auguste renonce à enlever ce puissant complexe fortifié de haute lutte. Comme César à Alésia, il décide de bloquer la place afin de la couper de toute aide extérieure et de condamner sa garnison à la famine. Il ordonne de creuser deux fossés parallèles serpentant à flanc de coteaux et descendant jusqu'à la Seine. Dans l'espace compris entre ces fossés, il élève à intervalles réguliers une quinzaine de tours en bois et y établit des sentinelles. Le camp français s'installe à l'abri de ce dispositif infranchissable. Rien ne pourra désormais entrer ni sortir de la citadelle assiégée.

En homme de guerre avisé, Roger de Lacy, gouverneur du Château-Gaillard pour le compte du roi Jean sans Terre, sait qu'il faut rationner les vivres. Mais il est confronté à un problème de taille : nombre de miséreux des environs sont venus lui demander protection et il leur a ouvert ses portes selon l'usage. La basse-cour s'est transformée en une sorte de cour des miracles en plein air, grouillante de paysans terrorisés, flanqués de matrones braillant sans cesse sur une ribambelle de marmots en haillons. Comme une nuée de sauterelles dans un champ de blé, ces «invités» pillent les réserves du magasin d'approvisionnement. Bientôt ce sera la famine pour tous.

Alors Roger décide d'expulser des grappes entières de ces «bouches inutiles». Les Français apitoyés laissent d'abord passer les pauvres gens, mais le roi Philippe donne bientôt l'ordre de leur barrer la route et de les refouler vers la forteresse, afin qu'ils contribuent à épuiser les vivres. Lorsqu'un nouveau cortège de femmes, d'impotents et d'enfants se présente devant les fossés, il est cette fois repoussé sans ménagements. Un accueil similaire est réservé à ces bannis lorsqu'ils tentent de retourner au château.

Les malheureux errent pendant des semaines entre les lignes ennemies, emportés les uns après les autres par la faim. Ils boivent l'eau de la Seine et engloutissent tout ce qu'ils trouvent. Racines et herbes sont des denrées rares. Les chiens, également expulsés de la forteresse, sont élevés au rang de friandises. Une poule, mal inspirée de se promener dans le secteur, est dévorée sur l'instant avec ses plumes, ses os «et un œuf tout chaud qu'elle portait en son corps». Des enfants aussi manquent à l'appel... Philippe finit par prendre pitié de leur sort, accepte qu'on les laisse passer et qu'on les nourrisse. Les survivants roulent des yeux comme des soucoupes et se jettent sur la nourriture. De nombreux estomacs ne résistent pas au choc de l'abondance après tant de privations.

Château-Gaillard tient jusqu'au mois de mars 1204. Alors le roi de France se décide à lancer l'assaut décisif. La prise de la place ouvre la porte de la Normandie. Falaise, Caen puis Rouen tombent dans la foulée. La Normandie ducale cesse d'exister.

Publié ou mis à jour le : 2019-11-07 19:02:12

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