Sitôt libérée de la tutelle néerlandaise, la Belgique se met en quête d'un roi.
Le 22 novembre 1830, les cent-quatre-vingt-huit députés du Congrès national se prononcent à une très large majorité pour une monarchie constitutionnelle. C'est qu'ils ne veulent pas effrayer leurs voisins qui, tous, ont des régimes de ce type et la république en horreur.
Reste à trouver l'heureux élu qui voudra bien assumer les devoirs et les honneurs d'un trône encore inexistant...
Le 21 juillet 1831, Léopold de Saxe-Cobourg fait à cheval une entrée solennelle à Bruxelles, au milieu des acclamations et des flonflons. Il s'apprête à devenir le premier roi des Belges sous le nom de Léopold Ier. Depuis lors, l'anniversaire de ce jour est devenu fête nationale.
Un candidat de raison
Les initiateurs de l'indépendance, qui appartiennent à la bourgeoisie francophone, penchent pour un prince français.
Justement vient d'accéder au pouvoir en France un monarque constitutionnel à l'air bonhomme, Louis-Philippe Ier. Il est doté de cinq fils dont l'un d'eux ferait bien l'affaire. Pourquoi pas le second, le duc de Nemours (16 ans)?
Élu à une faible majorité, il est proclamé officiellement roi des Belges le 3 février 1831.
Mais aussitôt, les Anglais froncent les sourcils. Pareil choix pourrait ressembler à une annexion déguisée de la Belgique par la France. Louis-Philippe Ier, qui n'a pas envie d'une nouvelle guerre de Cent Ans avec la perfide Albion, renonce sagement à l'honneur qui est fait à sa famille.
Retour à la case départ. En attendant de trouver un nouveau roi, les Belges se donnent une Constitution très libérale le 7 février 1831 et nomment un régent, Érasme Surlet de Chokier.
Là-dessus, ils jettent leur dévolu sur Léopold de Saxe-Cobourg-Saafeld, un prince allemand de 41 ans, fringant et portant beau en dépit d'une calvitie qu'il cache maladroitement avec une perruque brune.
Le prince a refusé l'année précédente une autre proposition, venue de la Grèce, qui s'est, elle, émancipée de l'empire ottoman. Il n'a pas voulu renoncer à sa foi luthérienne et se convertir à l'orthodoxie. Les Belges, bien que catholiques, lui permettent, eux, de conserver sa religion. Il accepte donc leur couronne !
Peine d'amour
Le prince a déjà derrière lui un passé sentimental tourmenté. Il est né en 1790 à Cobourg, en Bavière, entre Nuremberg et Weimar. De sa famille descendent tous les souverains actuels de l'Europe, par Léopold lui-même mais surtout par sa soeur aînée Victoria de Saxe-Cobourg-Saafeld, qui donnera le jour à la reine Victoria, « grand-mère de l'Europe ».
En visite à Londres, en 1814, le jeune homme croise le regard d'une jeune Charlotte-Augusta. Elle a 18 ans et n'est autre que la fille unique - et l'héritière - du Prince de Galles, un gros homme débauché appelé à régner sur l'Angleterre sous le nom de Georges IV. Elle-même se prend d'amour pour le beau Léopold.
Il n'y a qu'un obstacle à leur union : elle est déjà fiancée à l'héritier des Pays-Bas, un homme qu'elle connaît à peine et qui lui paraît très désagréable. Qu'à cela ne tienne. La jeune fille a du caractère et obtient l'annulation du projet de mariage. Le 2 mai 1816, elle épouse Léopold.
Au comble du bonheur, le jeune couple roucoule dans leur résidence anglaise de Claremont.
Mais le malheur les guette. Dans la nuit du 5 au 6 novembre 1817, après un interminable accouchement, la princesse met au monde un bébé mort-né et rend l'âme à son tour. Le médecin qui a présidé à l'accouchement se suicide trois mois plus tard. Quant à Léopold, anéanti, il erre en veuf inconsolable et néanmoins qualifié par les dames de « plus beau cavalier d'Europe ».
En souvenir de son amour, il convainc sa soeur aînée Victoria, veuve avec deux enfants, d'épouser le plus jeune fils du roi d'Angleterre Georges III, le duc Édouard de Kent. On sait ce qu'il en adviendra...
Longtemps après, Léopold se console avec une jeune cantatrice originaire de Cobourg, qu'il épouse secrètement et répudiera presque aussi vite lorsque viendra la proposition royale de Belgique.
Les devoirs de la charge
Le 21 juillet 1831, le futur roi fait son entrée à Bruxelles, au milieu des acclamations populaires. La capitale n'est encore qu'un gros village de 90.000 âmes. Il n'empêche que la prestation de serment sur la place royale, devant l'église saint Jacques, a belle allure.
Léopold, si différent qu'il soit de ses nouveaux compatriotes par son austérité luthérienne, sa morosité et sa froideur, est chaleureusement applaudi quand il conclut son allocution par un voeu vibrant, encore d'actualité : « Qu'une seule pensée anime tous les Belges, celle d'une franche et sincère union ».
Mais les réjouissances ne durent pas. Le 2 août suivant, alors que Léopold 1er fait sa Joyeuse Entrée à Liège, il apprend que l'armée hollandaise a envahi le royaume ! Sans hésiter, il mobilise les bonnes volontés contre le roi Guillaume 1er des Pays-Bas, dont le fils devait épouser la pauvre Charlotte.
Lui-même se dévoue en bloquant le pont de Malînes, sur la route de Bruxelles. Malgré cela, la « Guerre de Dix jours » se termine par une mémorable raclée et les Belges ne sont sauvés que par l'intervention des troupes françaises.
C'est comme cela qu'à peine couronné, le roi connaît pour la première fois la tentation d'abdiquer. Il se ressaisit et décide d'enraciner au plus vite le royaume et le trône dans le paysage européen. Par une lumineuse inspiration, il demande au roi Louis-Philippe 1er la main de sa fille aînée Louise. Ainsi ce prince allemand et anglophile sera-t-il assuré de la bienveillance de tous ses voisins (à l'exception des Pays-Bas !).
Le mariage est célébré le 9 août 1832 dans la chapelle du château de Compiègne. Mariage de raison d'État. La mariée de 19 ans défaille au bras de son époux, pour lequel elle n'éprouve aucune attirance. Sa gaîté juvénile et ses rêves de jeune fille s'envolent dès les premiers mois de l'union mais elle assume ses devoirs avec résignation et, peu à peu, se découvre une tendre amitié pour son époux.
Le ménage mène une vie bourgeoise dans le château de Laeken, au nord de Bruxelles, le palais royal servant quant à lui aux cérémonies officielles. La reine se divertit en s'initiant à la peinture avec l'aquarelliste Pierre-Joseph Redouté, le « Raphaël des fleurs », mais aussi en entretenant une correspondance abondante et pleine d'esprit avec ses proches.
Quatre enfants naissent dans les années qui suivent. Le premier, Louis-Philippe-Léopold, ne vit que neuf mois. Sa mort brise un peu plus le roi, qui croit revive le cauchemar de son premier mariage. La reine, à nouveau enceinte, donne le jour à un deuxième garçon, Léopold, le 9 avril 1835. Il reçoit le titre de duc de Brabant et régnera plus tard sous le nom de Léopold II mais sans avoir réussi à gagner l'affection de son père.
Un troisième garçon, Philippe, comte de Flandre, donnera bien plus tard naissance au troisième roi des Belges, Albert 1er.
Enfin, la reine Louise donne le jour à une fille prénommée Charlotte (comme la première épouse du roi !). D'un caractère fantasque, elle sera mariée à l'archiduc d'Autriche Ferdinand-Maximilien, lequel deviendra empereur du Mexique et sera tristement fusillé à Queretaro en 1867. Charlotte achèvera alors de sombrer dans la folie.
Le roi Léopold 1er de Belgique met ses relations familiales au service du royaume et de la paix. Il guide les premiers pas de sa nièce Victoria, quand elle monte sur le trône d'Angleterre en 1837, et se félicite de ce qu'elle épouse son cousin Albert de Saxe-Cobourg-Gotha, le fils de son frère aîné.
Il calme le jeu lorsque l'agité Adolphe Thiers, ministre de Louis-Philippe, menace d'en découdre avec l'Angleterre à propos d'une querelle autour de l'Égypte en 1840. Il dissuade enfin l'empereur Napoléon III, avide de conquêtes, de s'en prendre à la Belgique.
Il peut également savourer les succès de la Belgique, pionnière en matière de révolution industrielle. Ainsi le pays inaugure-t-il le 5 mai 1835 le premier chemin de fer du continent (après les Anglais). Soucieux de concorde nationale, il encourage le développement d'une littérature et d'une culture flamandes.
Avide de grands horizons, il n'en est pas moins tenté à plusieurs reprises de jeter l'éponge et il lui arrive même une fois de remettre sa couronne à la disposition du Parlement.
Charitable et douce, la reine est appréciée par ses compatriotes. Mais la mort de son fils aîné alourdit l'atmosphère familiale.
Sa santé se dégrade et ses liens avec le roi se distendent, d'autant que ce dernier nourrit dès 1844, au vu et au su de tous, une liaison avec une certaine Arcadie Claret, de trente-six ans plus jeune que lui. Il la marie à un homme de paille, l'anoblit... et lui donne deux garçons.
Louise se réfugie dans sa résidence d'Ostende et se soigne tant bien que mal par des bains de mer tandis que Léopold, quand il n'est pas avec sa dulcinée, pratique la chasse dans son château de Ciergnon, dans les Ardennes.
En février 1848, voilà qu'éclate un coup de tonnerre avec l'annonce de l'abdication de son père Louis-Philippe 1er. Le vieux roi déchu est recueilli par Léopold et Louise dans leur résidence anglaise de Claremont où il s'éteint le 26 août 1850.
C'est plus que n'en peut supporter Louise, déjà très affaiblie. Elle s'éteint à son tour à Ostende, le 11 octobre 1850, à 38 ans, au grand désespoir de ses compatriotes, de ses enfants... et de Léopold.
Le roi sexagénaire, plus amer que jamais, se replie dans sa résidence de Laeken. Il connaît une fin de vie douloureuse, dans le délabrement de son corps et de son esprit. Il meurt le 10 décembre 1865 et ses funérailles se tiennent le 16 décembre suivant, soixante-quinzième anniversaire de sa naissance.
En dépit des difficultés extérieures et des drames personnels, il laisse un royaume prospère dont personne ou presque ne conteste la légitimité.
Ibn Séoud, un roi sorti du désert
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Jean-Claude PETERS (23-07-2013 12:38:22)
Le Prince Philippe, fils de Léopold I n'est pas duc mais Comte de Flandre. Les seuls Ducs que nous ayons connu en Flandre étaient les Ducs de Bourgogne, cependant titrés Comte de Flandre. Amicale... Lire la suite