Avec Des Glaneuses (1857) et surtout L'Angélus (1859), décliné de toutes les manières possibles (gravures, bibelots, calendriers...), Jean-François Millet a contribué à forger le mythe d'une France éternelle enracinée dans son passé paysan.
Il demeure aussi le premier artiste français à avoir représenté avec dignité et empathie les travailleurs de la terre.
C'est une rupture quasi-révolutionnaire avec les sujets mythologiques de la tradition académique et les figures coquines ou intimistes de la tradition bourgeoise (note).
Paysan avant tout
Jean-François Millet [prononcer milet] est né le 4 octobre 1814 dans une famille nombreuse du hameau de Gréville, près de La Hague, à la pointe du Cotentin.
Il a vécu en paysan normand jusqu'à ce que sa famille, sensible à son don pour la peinture, l'envoie dans une école de Cherbourg. Le jeune homme gagne plus tard Paris et complète sa formation dans l'atelier du peintre d'histoire Paul Delaroche.
Il épouse à 27 ans Pauline Ono, la fille d'un tailleur mais celle-ci, de santé fragile, meurt trois ans plus tard. Le veuf se console assez vite avec sa servante, une jeune fille de dix-sept ans qui deviendra sa compagne pour la vie et lui donnera neuf enfants.
Il l'épousera religieusement quelques jours avant de rendre l'âme à Barbizon, le 20 janvier 1875.
Les débuts sont difficiles dans la France bourgeoise de Louis-Philippe Ier et Jean-François Millet s'applique à gagner sa vie avec de petites œuvres coquines à la manière de Boucher.
Le déclic survient en 1848, au début de la Seconde République, quand il expose au Salon Un vanneur. Le ministre de l'Intérieur Alexandre Ledru-Rollin, séduit, se porte acquéreur. C'est la manifestation d'une révolution sociale qui double la révolution politique.
En rupture avec le dédain antérieur pour la paysannerie, tel que l'exprimait par exemple le romancier Balzac, Jules Michelet écrit dans Le peuple, dès 1846 : « Le paysan n’est pas seulement la partie la plus nombreuse de la nation, c’est la plus forte, la plus saine et, en balançant bien le physique et le moral, au total la meilleure ».
C'est aussi à partir de 1846 que George Sand exprime dans ses nouvelles les charmes de la vie paysanne, si humble soit-elle. Elle va devenir, faut-il s'en étonner ? une amie de coeur de Jean-Fraçois Millet.
Pour le peintre, enfin en phase avec son temps, c'est le début d'une nouvelle carrière.
L'Angélus ci-dessus, une oeuvre de commande de 1859, sous le Second Empire, représente de jeunes paysans devant l'église Saint-Paul de Chailly-en-Bière, près de Barbizon (Seine-et-Marne). La sonnerie de l'Angélus, en fin d'après-midi, et ce bref moment de recueillement marquent pour eux le terme bienvenu de la journée de travail.
L'artiste dit s'être inspiré d'un souvenir d'enfance : « L'Angélus est un tableau que j'ai fait en pensant comment, en travaillant autrefois dans les champs, ma grand-mère ne manquait pas, en entendant sonner la cloche, de nous faire arrêter notre besogne pour dire l'angélus pour ces pauvres morts ».
L'« école de Barbizon »
À la charnière entre les peintres classiques ou académiques et les peintres impressionnistes, Jean-François Millet commet l'audace d'installer son chevalet en plein air et de peindre la nature comme il la voit, à l'imitation du précurseur anglais John Constable et en communion avec la sensibilité romantique de son époque.
À partir de 1848, avec d'autres précurseurs du réalisme comme son ami Théodore Rousseau, Charles Daubigny ou encore Jean-Baptiste Corot, il profite des facilités offertes par le chemin de fer pour gagner la forêt de Fontainebleau.
Le petit groupe s'installe dans le village de Barbizon et attire tant et tant d'imitateurs que l'on parlera bientôt dans les milieux artistiques d'une « école de Barbizon ».
L'art de Jean-François Millet s'épanouit sous le Second Empire, époque féconde dans les arts comme dans l'industrie et l'économie en général. La Légion d'Honneur récompense l'artiste en 1868.
L'artiste, qui pratique la peinture à l'huile, prisée par le public, s'accomplit aussi dans le pastel, une technique plus fragile mais d'une infinie délicatesse comme le montre ci-dessous le portrait de sa fille Marguerite réalisé en 1871.
De jeunes mécènes américains, qui l'ont suivi à Barbizon, se portent généreusement acquéreurs de nombre de ses toiles et font le succès de l'« école ».
Mais quand survient la Commune, quelques mois après la chute de Napoléon III, Jean-François Millet, fidèle à ses convictions sociales, participe à la constitution d'une fédération des artistes avec Courbet, Corot, Daumier, Dalou, Gil, Pottier, etc.
Parmi eux, le sculpteur Jules Dalou (1838-1899) peut être tenu pour un disciple du peintre normand. Comme lui, il représente avec beaucoup de tendresse et d'empathie la classe paysanne, à preuve la paysanne allaitant son bébé et
Usé par le travail, Millet décède quatre ans plus tard, à 61 ans, en prononçant ces mots : « C'est dommage, j'aurais pu travailler encore ! »
Pendant ce temps, la IIIe République s'installe en France et l'impressionnisme illumine la scène artistique. Il emprunte à Barbizon son goût de la nature mais n'affiche qu'indifférence ou mépris pour les travailleurs des usines et des champs. Une page se tourne.
En 1889, quinze ans après sa mort, alors qu'il est tombé dans un relatif oubli, Jean-François Millet va connaître un regain de célébrité grâce à un riche Américain qui se porte acquéreur de L'Angélus, peint trente ans plus tôt.
La presse et la classe politique s'enflamment et s'inquiètent de la perte d'un élément du patrimoine national. Des députés proposent une souscription publique pour offrir le tableau au Louvre. Mais la droite conservatrice s'y oppose, voyant dans cette oeuvre un manifeste socialiste.
La toile part donc aux États-Unis mais les Français se consolent en exposant sa reproduction dans leur cuisine ou leur salle de ferme sous toutes les formes possibles. Les Glaneuses se voient aussi reproduites à grande échelle. C'est comme cela que Millet va contribuer à forger une bonne part de l'imaginaire national.
Notons pour finir que L'Angélus traversera l'Atlantique dans l'autre sens en 1909 et gagnera les cimaises du Louvre. La toile est aujourd'hui exposée au musée d'Orsay.
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Voir les 6 commentaires sur cet article
Bourdet (25-06-2021 08:36:22)
L'Angélus n'avait pas marqué mon regard d'enfant; il a fallu la visite de la maison natale de ce peintre du vrai pour que j'apprécie son Å“uvre. Le Cotentin est encore un monde rural malgré le trÃ... Lire la suite
Michel llassera (06-10-2014 09:45:17)
Je trouve l'article particulièrement interessant.vous soulignez son attachement à ses origines modestes et surtout aux gens de la terre ,mais je souhaiterai insister sur l'estime que ces mêmes pers... Lire la suite
Michel llassera (06-10-2014 09:09:07)
Je trouve l'article particulièrement interessant.vous soulignez son attachement à ses origines modestes et surtout aux gens de la terre ,mais je souhaiterai insister sur l'estime que ces mêmes pers... Lire la suite