Le mariage se rencontre dans toutes les sociétés du Néolithique. Il n'a pas été établi pour consacrer l'amour de deux êtres (on n'a pas besoin d'une reconnaissance sociale pour s'aimer et vivre ensemble) mais pour assurer une protection juridique aux enfants appelés à naître de cette union et garantir leur droit à hériter.
L'anthropologue Claude Levi-Strauss écrit : « La famille, fondée sur l’union de deux individus de sexes différents qui fondent un ménage, procréent et élèvent des enfants, apparaît comme un phénomène pratiquement universel » (Le Regard éloigné, 1983) (note).
Sur le mariage, autrement dit l’union de l’homme et de la femme en vue de la perpétuation de l’espèce, la Genèse - le premier livre de la Bible -, nous propose non pas une mais deux versions, dont l’une, la plus célèbre, fait de la femme un sous-produit de l’homme, et l’autre place les deux sexes sur le même plan :
Le Seigneur Dieu fit tomber dans une torpeur l’homme qui s’endormit ; il prit l’une de ses côtes et referma les chairs à sa place. Le Seigneur Dieu transforma la côte qu’il avait prise à l’homme en une femme qu'il lui amena. L’homme s’écria :
« Voici cette fois l’os de mes os et la chair de ma chair,
celle-ci, on l’appellera femme [isha en hébreu] car c’est de l’homme [ish en hébreu] qu’elle a été prise » (Gen, 2, 21-23).
Dieu créa l’homme à son image,
à l’image de Dieu il le créa ;
mâle et femelle il les créa.
Dieu les bénit et Dieu leur dit : « Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la… » (Gen, I, 27-28).
Ce doublon vient de ce que la Bible est la juxtaposition de récits conçus à différentes époques. Il a cela de pratique qu’il satisfait tous les points de vue !
Les théologiens des trois religions monothéistes mettent en avant l’une ou l’autre version selon qu’ils veulent promouvoir l’égalité des sexes ou signifier la prédominance de l’homme sur la femme.
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Les Égyptiens de l’époque pharaonique ignoraient tout d’Adam et Éve... Ils s’en sont tenus à une vision simple de l’humanité : des hommes et des femmes faits pour vivre ensemble sur un pied d’égalité.
Des premiers pharaons à la conquête arabe, soit pendant près de quatre millénaires (deux fois la durée qui nous sépare de Jésus-Christ), tout donne à penser que la plupart des habitants de la vallée du Nil vivaient en ménage comme tout bon Européen des « Trente Glorieuses ».
Les deux sexes avaient un statut similaire, y compris dans le panthéon égyptien où le culte d’Isis était indissociable de celui de son époux Osiris.
Certes, le pharaon et quelques hauts notables s’offraient le luxe de plusieurs épouses et de nombreuses concubines... mais il s’agit là d’un privilège propre aux puissants, dans quasiment toutes les époques et toutes les civilisations.
Au demeurant, les Égyptiens acceptaient aussi qu’une femme accède au statut de pharaon. Ce fut entre autres le cas d’Hatchepsout dont on ne sait si elle avait son harem de jeunes éphèbes…
Quand le christianisme pénètre en Égypte, ses habitants se distinguent des communautés chrétiennes de Grèce ou de Syrie en mettant en avant le culte de la Vierge Marie. Jusqu'à la veille de la conquête arabe, ils semblent témoigner d'une conception très moderne de la femme et des rapports dans le ménage.
L’Orient antique est très différent de l’Égypte et l’on n’y voit par exemple aucune représentation de couples main dans la main ou tendrement enlacés.
Il faut remonter aux premiers temps de Sumer, vers 2700 avant JC, pour rencontrer une exception à la règle (ci-contre).
Comme dans la plupart des civilisations anciennes, le mariage y est une convention privée. On ne s’appesantit pas sur ses contours juridiques.
Elle est susceptible d’être rompue sur décision du mari. Étymologiquement, le mot mari vient du latin mas, maris, qui veut dire mâle ; il désigne celui qui doit se conduire en mâle.
Les chefs de clan et riches propriétaires s’octroient le privilège de posséder plusieurs femmes et servantes, avec un statut préférentiel à celle dont les garçons recevront l’héritage.
Dans la Bible, Sarah, qui ne peut donner un héritier à son époux Abraham, met dans son lit sa servante Agar, qui lui donnera Ismaël (mais tout rentrera dans l’ordre quand Sarah, par la grâce de Dieu, engendrera enfin Isaac).
Comme Abraham, les anciens Hébreux sont polygames - du moins les plus riches d'entre eux -, tout en manifestant souvent un fervent amour pour leur épouse principale (Isaac et Rébecca, Jacob et Rachel...). Beaucoup plus tard, les Mormons se réfèreront à ces illustres exemples pour justifier l'introduction de la polygamie au Nevada.
La polygamie est bien plus répandue en Orient qu’en Égypte, de même que l’esclavage (le commerce des femmes se concilie bien avec celui des esclaves).
En fait de polygamie (du grec polus-, nombreux, et gamos, mariage), il serait plus judicieux de parler de polygynie (du grec guné, femme) : droit d’un homme à posséder plusieurs femmes. Dès lors que ce droit n’est pas réciproque, il induit une inégalité de statut entre les sexes.
Le contraire de la polygynie est la polyandrie (du grec andros, homme). C’est le fait pour une femme d’avoir plusieurs maris (ce phénomène existait encore au XXe siècle dans telle et telle communautés des confins du Tibet, à Ceylan ou encore au Congo).
Dans les sociétés du Moyen-Orient, la femme est une éternelle mineure et n’a pas de statut juridique. Elle est souvent mariée très tôt à un homme déjà mûr, dans la trentaine, ce qui facilite sa soumission. Dans les classes supérieures, elle est reléguée au gynécée, la partie de la maison qui lui est réservée.
Les Grecs, qui ont inventé le mot, sont eux-mêmes très soucieux de maintenir chacun à sa place : hommes et femmes, citoyens et métèques, hommes libres et esclaves.
En dépit de son charisme, le grand Périclès ne peut obtenir que les enfants nés de sa femme Aspasie (une étrangère !) acquièrent la citoyenneté athénienne.
Si l’on en croit la légende de l’enlèvement des Sabines, les premiers Romains avaient une manière très virile de faire la cour ! Pour échapper au célibat forcé, ils invitent leurs voisins à une fête et enlèvent leurs filles sous leur nez.
Cette pratique ne relève pas seulement de la légende. Elle reflète une réalité assez commune chez les Romains et leurs voisins Germains, dont les mœurs conjugales étaient assez proches.
On la rencontre aussi chez les peuples « primitifs » de Papouasie et d’Amazonie, où l’enlèvement des femmes constitue l’un des principaux motifs de guerre, d’après les anthropologues qui se sont penchés sur la question.
En souvenir du rapt des Sabines, les premiers Romains pratiquent un mariage « de fait » (per usum en latin), consacré par une année de cohabitation mais avec le consentement préalable des parents. Il suffit, pour le rompre, que la femme découche trois nuits de suite.
Une autre forme de mariage est le mariage « par achat réciproque » (coemptio en latin) : les deux époux simulent l’achat mutuel de l’un par l’autre en échangeant des cadeaux.
Cette forme d’union plutôt sympathique et moderne est pratiquée aux premiers temps de la République par les plébéiens ou Romains des classes populaires.
Une troisième forme de mariage est le mariage solennel, appelé confarreatio, du nom du gâteau d’épeautre (panis farreus) que les époux mangent en présence du Flamen Dialis (le grand prêtre de Jupiter) et du Grand Pontife.
Ce mariage remonte à l’époque royale. Il se pratique dans les familles patriciennes.
C’est la première forme d’union que l’on connaisse qui ne soit pas seulement de droit privé mais également sanctifiée par les autorités religieuses et reconnue par les autorités civiles.
Les trois formes de mariage ci-dessus reposent sur la transmission de l’autorité du père au mari par une poignée de main (cum manu).
C’est un héritage de la tradition orientale qui fait de la femme une éternelle mineure.
L’âge légal au mariage chez les Romains est de douze ans pour les filles, quatorze pour les garçons.
L’Église chrétienne a repris cette convention de même qu’une innovation romaine : le mariage réduit à une cérémonie unique.
Dans la plupart des autres cultures, en effet, encore de nos jours, le rituel du mariage se présente comme un cheminement d’étape en étape, qui peut parfois s’étaler sur plusieurs jours.
Sous l’Empire romain, à la cour impériale et chez les notables, les mœurs sont dissolues. On divorce pour un rien ; on se prostitue, on pratique l’échangisme ; on force les servantes ; on ne dédaigne pas les caresses juvéniles… Autant dire que certains dirigeants européens actuels ne seraient pas dépaysés à la cour de Tibère ou de Néron.
Mais ne nous y trompons pas, la sexualité chez les Romains n'a rien de l'exubérance joyeuse que semble indiquer une observation superficielle des peintures murales de Pompéi. Cette sexualité est au contraire bridée par de strictes contraintes sociales, qu'il s'agisse des relations avec les prostituées ou entre conjoints.
Au début de notre ère, il n’y a guère que quelques familles patriciennes qui continuent de pratiquer le mariage solennel, pour des raisons de convenance. Il leur arrive aussi de marier leurs filles très jeunes en vue de s’allier les unes aux autres.
La plupart des plébéiens se marient en fait à un âge avancé : en moyenne vingt ans pour les femmes, trente pour les hommes, âge auquel il devient difficile d’accepter l’autorité du pater familias.
On voit donc se généraliser le mariage « sans la main » (sine manu), dans lequel les parents n’ont pas leur mot à dire.
Le terme romain employé à son propos est conjugium, dont nous avons fait conjoint et conjugal. Il signifie que les époux portent ensemble (cum) le même joug (jugium) et se traduit par une belle formule qu'échangent les époux au moment du mariage : « Ubi tu Gaius, ego Gaia » (Où tu es toi Gaius, je suis moi Gaia).
Ce mariage à la romaine rappelle singulièrement notre moderne PACS (pacte civil de solidarité) et sans doute les plébéiens romains se couleraient-ils facilement dans nos mœurs du XXIe siècle.
Notons que les esclaves sont exclus de ces considérations. Ces « outils animés » sont voués à l’union libre, le contubernium ou « camaraderie de tente ».
Comme les Romains, les Germains ont une approche flexible du mariage.
Ils pratiquent en premier lieu une forme de concubinage, le Friedelehe, ou mariage d'amitié, qui peut débuter par un rapt de la jeune fille ! L’union sera stable et les enfants à naître seront légitimés à moins qu’un mariage officiel ne vienne troubler l’union.
C’est en souvenir de cette tradition que le duc de Normandie Robert le Fort légitimera son fils, le futur Guillaume le Conquérant, né de son concubinage avec une certaine Arlette.
Guillaume poursuivra dans la même veine en enlevant la jeune fille dont il a décidé de faire sa femme, contre son gré et celui de son père ! Épouse comblée d’un mari amoureux et fidèle, Mathilde de Flandre s’accommodera en définitive très bien de son sort…
Les Germains pratiquent aussi un mariage officiel, le Muntehe, qui débute par une demande solennelle au père de la promise. Par la même occasion, le prétendant lui remet des cadeaux, c'est en quelque sorte une dot du mari, inverse de la dot habituelle aux Romains. Ensuite vient le passage de la jeune fille de la maison paternelle à celle de son futur époux, puis la cérémonie du coucher des mariés qui valide enfin l’union.
Au réveil, le mari fait un cadeau à sa femme pour prix de sa virginité. C’est le Morgengabe.
De ce mot germanique, le droit français a tiré le mot morganatique, qui désigne une union dans laquelle la femme s’en tient à son rôle d’épouse et renonce aux honneurs et dignités auxquelles son mariage lui donne normalement droit. Ainsi le remariage de Louis XIV avec Madame de Maintenon est-il un mariage morganatique.
À la fin de l’empire romain, ce qui reste d’autorité en Europe de l’Ouest est détenu par les rois barbares et les évêques. Avec leurs maigres moyens, ces derniers vont tenter d’imposer une seule forme de mariage avec de fortes contraintes : consentement mutuel, indissolubilité... [à suivre : le mariage de Charlemagne au Siècle des Lumières]
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Senec (09-11-2011 15:55:29)
L'enlèvement (factice) de la jeune fille est encore en vogue dans certaines régions d'Asie, genre Mongolie ou Asie Centrale.