« Moyen Âge » : l’expression place d’emblée ces 1000 ans entre les splendeurs de la Rome antique et les feux de la Renaissance. Historiens et archéologues ont néanmoins totalement revu l’image parfois négative de cette période en mettant en lumière une étonnante capacité d’innovation et de dynamisme.
L'exposition « Quoi de neuf au Moyen Âge ? » (note) conçue par la Cité des Sciences et de l’Industrie et l’Inrap, présentée à Paris en 2016-2017 puis au Pont du Gard en 2019, a permis de dépasser l'imagerie « chevalier – dragons ». Dégonflons quelques ballons de baudruches auxquels cette longue période est parfois réduite et plongeons dans un monde étonnant !
« Médiéval » et « moyenâgeux » peuvent être perçus comme synonymes. Or, il n’en est rien ! En effet, le premier renvoie à ce qui relève proprement du Moyen Âge, l’époque sur laquelle travaillent les spécialistes – les médiévistes. Le second en revanche correspond à un jugement de valeur, souvent négatif, que l’on peut assimiler à rétrograde, tyrannique ou obscur.
Passé décomposé – recomposé
Sur la ligne du temps, la période médiévale est habituellement placée entre la déposition du dernier empereur romain d’Occident (476) et la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb (1492). Certains affirment que le Moyen Âge, avec son système féodal et l’importance de la religion, se poursuit jusqu’à la Révolution française.
Pour d’autres, la réalité quotidienne de la vie dans les campagnes pourrait le prolonger jusqu’à la révolution industrielle ! Tout est question de point de vue. Selon la thématique, les bornes s’estompent et, aujourd’hui, les scientifiques acceptent une chronologie plurielle en fonction des questions étudiées.
À l’intérieur même de la longue période médiévale, la tendance est à de nouveaux découpages historiques. L’archéologie n’y est pas étrangère, et à l’habituelle division ternaire (note) s’ajoute aujourd’hui le découpage binaire, le XIIe siècle fournissant l’axe.
On y observe un changement de répartition des vestiges archéologiques et une multiplication des documents écrits, ainsi qu’une séparation des pouvoirs laïques et ecclésiastiques. Les préjugés sur les « grandes migrations » sont également corrigés : les peuples germaniques (Allamands, Angles, Francs) chassés par de graves crises climatiques et la pression des Huns, se sont certes heurtés à l’Empire romain.
Pourtant, fascinés par leur culture, ils en adoptent les coutumes comme l’enterrement au lieu de l’incinération, assimilent la langue latine, prolongent le droit écrit et embrassent le christianisme, la religion officielle depuis l’Édit de Théodose en 392. L’Empire leur donne même le droit de s’installer en terre romaine, tout en conservant leurs propres chefs et leurs usages.
En échange, ces peuples « fédérés » doivent assurer un service militaire, défendre le territoire reçu et cultiver la terre. Les fouilles archéologiques révèlent ainsi une société multiculturelle : on observe des influences réciproques, notamment en matière de technique et d’habillement.
De la même manière, les données trouvées sur le terrain révèlent que les Francs, à proprement parler, sont minoritaires au XIe siècle : ils constituent seulement 10% de la population gallo-romaine, complétés par les descendants des Burgondes et des Goths, les communautés juives, les Vikings depuis le IXe siècle, les Saxons et Anglo-Saxons, et mêmes des Lombards retrouvés dans des fouilles du nord de la France.
Zéro déchet ?
Longtemps, les historiens ont opposés les notions de nature et de culture, en y plaquant des conceptions modernes. D’après l’étude des cernes du bois (dendrochronologie), des pollens (palynologie) et du Carbone 14, la période de 300 à 900 est une période froide et humide associée à des avancées glaciaires, alors qu’une embellie climatique s’installe autour de l’An mil.
C’est le fameux Optimum climatique médiéval (OCM), qui se prolonge jusqu’au XIVe siècle avant qu’un « petit âge glaciaire » ne s’installe. Aujourd’hui, ces visions sont reconsidérées à la lueur des données archéologiques. L’idée catastrophiste s’estompe et une nouvelle approche est privilégiée : celle des liens entre environnement et système social.
Au Moyen Âge, la majorité des habitants sont des paysans et près de 90% de la population vit dans les campagnes. Jusqu’à récemment, les témoignages documentaires étaient limités et inégaux selon les régions. Une nouvelle méthode de travail commence néanmoins à porter ses fruits : l’étude des polyptiques et des capitulaires.
Les premiers sont des inventaires détaillés des biens du fisc royal et des grandes abbayes. L’historien y trouve des informations sur « la réserve » (c’est-à-dire ce qui est exploité directement au profit du seigneur) et la « tenure » ou « manse », ce que les paysans doivent au seigneur au titre de redevance. Outre ces informations, on y trouve également le montant, la nature des versements et la composition familiale.
Les capitulaires consignent les décisions publiques négociées entre le pouvoir carolingien et l’aristocratie. Ils décrivent sous forme de liste les arbres, jardins, métiers, ou l’agriculture développée sur le territoire. L’élevage, qui habituellement apparaît peu dans les sources car il échappe au pouvoir seigneurial (note), y est parfois documenté.
Les archives complètent alors les données archéozoologiques trouvées lors de fouilles de silos ou de dépotoirs. Ceux-ci nous apprennent que le bœuf, le porc, le mouton ou la chèvre sont les plus consommés. Le cheval est parfois mangé en milieu rural, même s’il fait l’objet de certaines interdictions en raison de son statut prestigieux pour l’élite.
Les archéozoologues ont également observé des changements dans les stratégies d’élevage : la taille des animaux décroît à partir du Ve siècle, pour augmenter à partir du XVe-XVIe siècle. Et rien ne se perd : les peaux sont utilisées pour obturer et isoler les fenêtres ou vendues comme parchemin, les os sont utilisés dans l’artisanat et l’outillage, la laine sert à la confection de l’habillement. Une vie avec peu de pertes donc, mais bien des détritus…
Les terres noires
Les agglomérations urbaines n’ont pas disparu avec l’Empire romain. Amplement sous-estimées, car réduites à l’idée de la naissance des villes aux XIIIe et XIVe siècles, les archéologues revoient leur copie à la lueur des récentes découvertes liées à des pratiques matérielles, attestées entre le IVe et le XIIe siècle.
Ainsi, des couches dénommées « terres noires » ont été mise au jour. Il s’agit de couches de 60 cm à 2m d’épaisseur, a priori homogènes. La stratification ne se voit quasiment pas à l’œil nu, ce qui a longtemps contribué à les qualifier d’humus, de terre à jardin ou d’espace cultivé. Les géo-archéologues repèrent aujourd’hui les différents niveaux d’occupation initialement stratifiés, mais réorganisés et homogénéisés par l’intense activité des vers de terre.
Elles résulteraient d’un mode de vie dans des habitats de bois, couverts de chaume, sans caniveau ni latrine. Les déchets organiques et les cendres de l’âtre sont évacués hors de l’habitat, où ils sont compactés dans des rues sans dallage de voierie. Les terres noires ne seraient donc pas le signe de l’abandon de l’urbain au profit de l’agricole, mais un marqueur de la densité urbaine.
L’époque médiévale connaît ainsi des fulgurances étonnantes : transformation du paysage, développement de l’urbanisation, occupation raisonnée de l’espace, regroupement des métiers et, entre autre, évolutions des techniques agricoles, artisanales et artistiques.
Conquêtes intellectuelles et techniques
L’innovation médiévale se perçoit dans les importations venues du monde entier : invention de la poudre à canon en Chine vers le IXe siècle ; développement de l’astrolabe antique par les Arabes et diffusion de l’objet au Xe siècle dans l’Occident latin ; expérimentation des premières lunettes d’après les écrits arabes, vers 1268, et vulgarisées par les dominicains italiens ; amélioration des moulins à eau et des bateaux.
Aux environs de l’An Mil, l’architecture religieuse et castrale se renouvelle sous l’effet d’un essor économique global. Les médiévaux ont un fort désir de monumentalisation des pôles de pouvoir et de représentation de l’ordre social. Différents partis-pris architecturaux sont expérimentés.
Les églises se dotent de voûtes, les lieux de culte se multiplient et s’agrandissent. Pourtant, il ne faut rien généraliser : toutes les nefs des églises ne sont pas voûtées. Le bois est encore omniprésent, notamment pour la réalisation de cintres, ces formes en bois sur lesquelles sont agencées les pierres et le mortier jusqu’à séchage.
Les châteaux aussi se monumentalisent par l’ajout de grandes tours, nommées tours maîtresses, cumulant les fonctions de représentation du pouvoir, d’habitation et de défense. Les clôtures se renforcent.
Parmi les plus remarquables, le « palais-tour » de Loches est un des plus impressionnants. Il est daté par dendrochronologie des années 1010-1035. Celui du Haut-Clairvaux (note), connu pour l’implication de Richard Cœur de Lion dans sa construction, est un autre exemple qui n’a pas fini de révéler ses secrets grâce aux fouilles estivales menées depuis 2014.
À partir de ce que l’on nomme communément la « Réforme grégorienne », les images se multiplient. Plus qu’un décor, c’est un véritable développement du discours par les images. Elles sacralisent les lieux et expriment la vision de l’histoire du salut, comme par exemple dans les peintures de la cathédrale de Poitiers. L’image est la transcription et le commentaire des Écritures saintes dans l’art, tel que le montre le cloître de Moissac ou le tympan de Conques.
De Kaamelott à Games of Thrones
Dans le film « On connaît la chanson » (1997), la thèse sur laquelle travaille le personnage joué par Agnès Jaoui crée l’étonnement et l’incompréhension. Et pourtant, l’étude scientifique des « Chevaliers-paysans du lac de Paladru vers l’an mil » existe vraiment (note) ! Il faut dire que le Moyen Âge nous a légué tout un imaginaire propice au cinéma (note).
L’heroic fantasy s’est approprié les peurs, les icônes, les objets merveilleux : en témoignent encore aujourd’hui les références médiévales dans le monde contemporain. C’est ce que nous nommons le « médiévalisme », un goût pour le Moyen Âge qui existe depuis plusieurs siècles.
Il a trouvé plusieurs modes d'expression : d'abord dans les séries humoristiques comme Kaamelott, les bandes dessinées telles que « Je, François Villon » relatant avec violence une vie sans règle ni sentiment. Plus récemment, c'est la saga Games of Thrones qui a relancé l'intérêt du grand public pour cette période. Elle a séduit plus de cinquante millions de lecteurs à travers le monde et davantage encore avec son adaptation télévisée diffusée durant huit saisons.
L'univers des loisirs ludiques n'échappe pas non plus à cet engouement. Et si les premiers chevaliers de la marque danoise Lego portaient des écus avec une véritable héraldique, les plus récents tendent vers une interprétation fantaisiste.
Même la technologie contemporaine se réapproprie un peu du Moyen Âge. Ce que nous connaissons aujourd’hui comme une norme de communication entre objets connectés, emprunte son nom à un roi du Danemark, né en 910 : Harald Blåtand dit « Harald à la Dent Bleue ».
Le souverain surnommé ainsi sans doute en raison de sa mauvaise dentition, est passé à la postérité bien moins en raison des trois grandes évolutions de son règne (l'unification du royaume, la conversion au christianisme et l'extension de la puissance à l'extérieur du territoire) que de son nom choisi par deux marques scandinaves, Ericsson et Nokia, pour cette technique. Le logo reprend d’ailleurs les deux initiales runiques de son nom : le ᚼ et le ᛒ.
Mais pourquoi avoir choisi ce nom ? Les deux ingénieurs en charge du développement de la nouvelle technologie avaient simplement, au cours de l’été 1997, parlé de vikings autour d’un verre… L’Histoire se rappelle à nous parfois de manière surprenante !
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Sab (29-06-2020 09:48:22)
Merci pour cette article concis et précis qui explique avec clarté les complexités du Moyen Age et la révision de certaines données au regard de la science actuelle. Enrichissant et passionnant !... Lire la suite