« Je ne trouve rien de meilleur qu’un petit LU… Oh si, deux petits LU », signait la célèbre actrice française, Sarah Bernhardt, au bas d’une représentation de l’illustrateur Alfons Mucha pour LU en 1904.
Cette signature, désormais passée à la postérité, détient tous les ingrédients de cette réussite historique de la marque de biscuits LU : la gourmandise, la renommée et surtout, deux lettres, une consonne et une voyelle réunies sont le phare de la biscuiterie française. La marque LU laisse à tout un chacun des souvenirs d’enfance.
Plus que des souvenirs, c’est l’Histoire que nous convoquons à l’heure du goûter pour se plonger dans cette réussite bien française.
Les débuts nantais
Nous sommes encore sous la monarchie de Juillet, en 1846, quand le pâtissier Jean-Romain Lefèvre quitte sa Meuse natale avec sa femme Pauline-Isabelle Utile.
L’ouest appelle ce jeune couple qui prend la route de Nantes, ville déjà connue pour ses biscuits que ses marins emportent avec eux pour les longues traversées. Ayant eu vent d’une annonce de reprise d’une pâtisserie au n°5 de la rue Boileau, c’est là qu’ils déposent leurs valises et baptisent leur tout nouvel établissement « Fabrique de biscuits de Reims et de bonbons secs ».
Comme tout entrepreneur d’hier et d’aujourd’hui, Jean-Romain s’interroge sur les facteurs qui feront ou non le succès de son magasin. Après mûre réflexion, il introduit dans le milieu nantais des biscuits jusqu'alors méconnus et dont les recettes proviennent de son pays natal. Grâce à l'innovation et l'originalité des produits ainsi que la qualité des ingrédients, la production de Jean-Romain ne tarde pas à se distinguer des biscuits anglais, Huntley & Palmers très en vogue en France.
S’il sait que ses biscuits de Reims, ses boudoirs ou encore ses biscuits champagne sont appréciés par les Nantais, il connaît aussi l’importance de l’écrin dans lequel est présentée sa production. Les plaisirs du goût ne commencent-ils pas par les plaisirs de la vue ? Coupes en cristal, boîtes stylisées en couleur représentant la Renommée ou des scènes champêtres, que l’on offre souvent lors des repas du dimanche, ainsi qu’un magasin décoré avec goût sont les moteurs du succès de Jean-Romain et de Pauline Isabelle, jusqu’à faire du n°5 de la rue Boileau une adresse incontournable.
Très vite le couple envisage, pour des questions évidentes de lisibilité, de simplifier l’image de leur marque. De « Lefèvre-Utile » jusqu’alors apposé sur leurs boîtes, ils choisissent de contracter leur patronyme avec les deux lettres de la renommée : LU. Les biscuits à présent estampillés LU, connaissent toujours un succès certain. Mais à l’aube d’une nouvelle génération, l’entreprise familiale est à un des tournants de son histoire.
En 1882, récompensé de la médaille d’or à l’Exposition de Nantes, le troisième fils du couple, Louis, prend les rênes de l’entreprise. Il n’a alors que 24 ans mais l’ambition n’attend pas le nombre des années.
Son objectif est clair. Il faut hisser les biscuits LU à une étape supérieure. Pour ce faire, Louis travaille sur trois points qui pourront, selon lui, permettre d’atteindre les objectifs fixés. En effet, il mise sur de nouvelles méthodes de production, un projet de nouveaux locaux aux dimensions d’usine sur les quais de la Loire et surtout sur une campagne de réclames.
Tout cela est le fruit d’une réflexion et d’une expérience forgées lors de ses voyages à l’étranger, notamment en Angleterre, afin de chercher, dénicher, trouver l’inspiration et découvrir les secrets d’un produit qui marche, mais attention, d’un produit bien français !
Avec le concours de son beau-frère, Louis fait entrer les biscuits LU dans le monde moderne et industriel avec 2000 m² de surface de production, les dernières technologies et près de 130 ouvriers. LU à tout pour rayonner. Ne manque plus que la cerise sur le gâteau, un produit phare.
Après plusieurs mois de recherche avec, à ses côtés un commando de 14 ouvriers, Louis obtient son « Eurêka ! ». Il déclare en 1886 : « je crois que je viens de mettre au point un produit promis à un grand avenir ». De la farine de froment, du lait, du beurre salé et du sucre, les ingrédients de la gloire.
D’abord appelé le petit beurre Bambin, le « Petit-Beure-LU-Nantes » vient de pousser ses premiers craquements. Voici comment en parlait son créateur non sans exprimer la traditionnelle rivalité avec la perfide Albion : « Ce n’est pas le biscuit d’origine britannique, sec comme une Anglaise […], fade comme le navet bouilli dont raffolent nos voisins d’outre-Manche, c’est un biscuit vraiment français, vraiment breton […]. »
Ce nouveau biscuit étonne par sa simplicité apparente. Un rectangle décoré de 52 dents, 4 côtés et 24 petits trous. Mais le « Petit-Beure-LU-Nantes » c’est en réalité un langage du temps, un biscuit que l’on peut savourer durant toutes les semaines de l’année (52), en toutes saisons (4) et surtout à toute heure de la journée (24). Louis a donc poussé loin sa réflexion. Un biscuit doit avoir du goût et du sens. Avant de le croquer, il faut en plus l’avoir lu.
C’est en 1887 que la société LU est créée par Louis et son beau-frère. Modernité et audace vont être les deux maîtres mots des décennies à venir. Même après le terrible incendie qui ravage l’usine en 1888, le prétexte est tout trouver pour reconstruire l’usine équipée des dernières technologies.
Pour Louis, la gourmandise doit être sollicitée par la séduction de l’œil. Le beau doit rimer avec le bon. Dans les dernières années du XIXe siècle, l’imaginaire de la marque est réinventé.
De grands artistes de l’époque sont mis à contribution tel que Firmin Bouisset. Tout le monde le connaît sans vraiment le connaître. Pourtant, c’est lui qui imagine et dessine le compagnon de nos goûters d’enfance avec le fameux « Petit écolier » en prenant pour modèle le fils de Louis, Michel.
LU se dote d’un patrimoine artistique qui fait de nos jours frémir d'envie tous les collectionneurs. Cela va de la boîte en fer blanc stylisée aux collections d’images représentant les grands noms littéraires de l’époque comme Anatole France. Ces boîtes se confondent aussi avec l’actualité économique, politique et même locale par l’élaboration d’un modèle en forme de wagon de tramway pour célébrer la première ligne construite à Nantes.
La réclame par l’actualité est d’ailleurs toujours une méthode efficace de communication au XXIe siècle. La publicité alimentaire n’étant alors qu’à ses débuts, Louis lui a déjà donné ses lettres de noblesse. Il comprend que la création, l’imagination font le succès de sa marque. Cette soif d’entreprendre est récompensée à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900 à Paris.
Faisant appel à l’architecte Auguste Blyussen, Louis fait construire tout spécialement pour cette occasion une tour haute de 36 mètres couronnée par une boîte de biscuits LU équipée d’un phare qui s’illumine chaque nuit. Le monogramme de la marque éclaire le tout Paris. La renommée nationale et internationale est arrivée.
Au début du XXe siècle, la biscuiterie est à la tête d’une large gamme de produits. Avec déjà deux cents références, Louis ne se refuse rien et surtout pas d’imaginer toujpurs plus de nouveautés dont l’une d’entre elle est gravée dans nos mémoires et reste encore au menu de nos goûters. Il s’agit de la fameuse « Paille d’Or ». Suite à la vision d’une simple botte de paille, Louis conceptualise ce nouveau biscuit auquel il incorpore un jus de framboise local pour le plus grand plaisir des papilles.
Durant cette période, on ressent chez LU toute la « Belle Époque ». Auguste Bluyssen, encore lui, remet ses talents d’architecte en imaginant de tous nouveaux locaux pour LU. Flanquée de deux tours majestueuses dont il n’en reste aujourd’hui plus qu’une et qui fait encore la splendeur de Nantes, la nouvelle usine sort de terre.
Dans cette toute nouvelle usine, Louis a mis un point d’honneur à l’équiper de machines de sa propre conception faisant un pied de nez aux Anglais qui dominent ce secteur. Si l’équipement est crucial pour faire de LU une entreprise à la pointe, la condition ouvrière est aussi l’un des points sur lequel insiste Louis. Dans cette entreprise à l’esprit familial, les ouvriers bénéficient d’une participation aux bénéfices, d’une caisse de santé et de promotions courantes.
De nuages en éclaircies
Mais un fétu de paille vient troubler les engrenages de cette époque dorée : la guerre. La Première Guerre mondiale est une épreuve pour toutes les entreprises comme LU, devant subir les réquisitions et le ralentissement de l’activité économique jusqu’aux portes des années vingt. L’éclat des premières décennies retombe. C’est le temps des épreuves avec en plus la disparition de Pauline-Isabelle Utile. Au foisonnement des premières années succède une période sans grands investissements mais qui aura sa fin.
Une nouvelle génération pour une nouvelle vision arrive. Michel Lefèvre-Utile, le fils de Louis, organise la transition d’une entreprise artisanale vers une entreprise moderne. Ce mouvement est aussi soutenu par son fils Patrick qui lance, après la Seconde Guerre mondiale, la première ligne de fabrication en continue.
Les Lefèvre-Utile portent en eux, de génération en génération, le souci du visuel. En 1956, c’est le créateur du logo Coca-Cola, Raymond Loewy, qui cette fois-ci met son coup de crayon au service de LU pour la création de son logo intemporel, reconnaissable entre tous, même dans la profusion des rayons de nos supermarchés, aux initiales de LU blanches sur fond rouge.
Le dessinateur américain dira même que « redessiner le paquet du Véritable Petit-Beurre LU, c’est redessiner le drapeau français ». Ce logo subira au fil du temps des évolutions pour exprimer à la fois la nouveauté, le dynamisme tout en respectant les fondamentaux, qui, mêmes des décennies après, sont toujours là.
Les années soixante sont une question de taille. Et oui, LU est arrivé à un stade où des choix stratégiques, même historiques doivent être pris. « En France, de multiples fabricants se concurrencent dans une lutte difficile et stérile sans arriver à percer à l’exportation », constate Patrick le fils de Michel. L’entreprise ne possède pas encore la taille critique pour s’ouvrir à l’exportation et prendre une dimension mondiale. C’est sur ce constat qu’en 1968 six fabricants Lu, Brun, Saint-Sauveur, REM, Magdeleine et Val de Semoy fusionnent pour donner naissance au groupe LU-Brun & Associés.
Au départ marque et entreprise familiale, LU le devient de moins en moins. Cette politique voulue par Patrick, son maître d’œuvre, lui est fatale car la famille Lefèvre-Utile est petit à petit écartée des affaires du groupe. Dans ce ménage à plusieurs, les divergences de points de vue apparaissent, provoquant le départ de Patrick, l’arrière-petit-fils du fondateur.
S’ensuit plusieurs phases durant lesquelles le groupe grandit, grossit devenant en 1978 la « Générale Biscuit » avec trente-deux entreprises et la troisième place au rang mondial sous l’égide non plus d’un Lefèvre-Utile mais d’un certain Claude-Noël Martin. Malgré toutes ces évolutions, on ne se sépare pas d’un héritage familial du jour au lendemain. À la demande de ce dernier, Patrick Lefèvre-Utile revient comme délégué au développement international.
LU après LU
Mais que reste-t-il de l’esprit pionnier et fondateur de Romain Lefèvre et de sa femme ? Une marque, peut-elle rester fidèle à ses origines, à son histoire malgré les bouleversements qu’elle peut connaître ? L’histoire est un éternel va-et-vient entre tradition et rupture. L’esprit de LU réside, on a pu le voir, dans son sens de la communication par l’art. En 1983, après s’être quelque peu éloignée de cette tradition, la marque fait de nouveau appel à ceux qui ont fait son image et son succès, les artistes, mais qui s’appellent désormais Sempé ou encore Savignac.
Par la suite, LU connaîtra plusieurs rachats successifs restant toujours une marque phare des groupes dont elle fait partie. Mais en 2007 Romain Lefèvre, d’outre-tombe, voit sa création tomber entre des mains anglo-saxonnes, alors que l’esprit LU se positionnait sur une concurrence farouche vis-à-vis de ses derniers ! En effet, le dernier repreneur, Danone, cède pour 7,2 milliards de dollars sa branche biscuit au groupe américain anciennement dénommé Kraft Foods.
Mais qu’elle soit sous pavillon français ou entre des mains étrangères, la marque LU reste le biscuitier français numéro 1 en France, en Europe et dans le monde. L'entreprise compte environ trois mille salariés en France. Les fabrications ont été déplacées dans le vignoble nantais, à La Haye-Fouassière, mais on peut toujours visiter l'une des deux tours LU sur l'emplacement de l'usine originelle, au 2 rue de la Biscuiterie, à Nantes (anciennement quai Baco). Égayant autrefois la boutique du n°5 rue Boileau, les LU remplissent désormais les rayonnages des supermarchés dans le monde. Une marque bien française qui a su conquérir la planète à la force de son nom qui sonne comme un langage universel, reconnaissable dans toutes les langues.
Pépito, Prince, Granola, Pim’s, Figolu, Belvita, Napolitain, les biscottes Heudebert, Paille d’or et toujours les Petits Beurres, qui n’a pas dans ses placards ces bouts d’une histoire qui continue de s’écrire ?
La science et la vie
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Voir les 6 commentaires sur cet article
Sylvie (14-12-2020 22:26:33)
D'artisanale, la fabrication des petits beurres LU est devenue industrielle, et la qualité des produits s'en ressent. Le goût bien beurré et un peu salé des anciens petits beurres n'est plus là..... Lire la suite
HERAULT (04-10-2020 11:45:25)
Autant garder dans notre mémoire gustative ce souvenir et éviter à nos enfants et petits-enfants ce produit transformé digne de la malbouffe.
Herodote1937 (27-09-2020 18:15:52)
Je ne retrouve plus dans le goût des petits beurs actuels , l a saveur de beurre salé de ceux de mon enfance. Aurais-je perdu le goût avec l'âge? Plus simplement ne s'agirait-il pas de la banali... Lire la suite