Après la Grande Guerre de 1914-1918, beaucoup d'Européens, désorientés, s'interrogent sur leur avenir, surtout dans les nouveaux États créés sur les ruines des empires (Allemagne, Autriche-Hongrie, Russie, Turquie).
Ils regardent avec un intérêt mêlé de répulsion du côté de la Russie où s'est imposée la dictature bolchevique de Lénine, non sans de graves excès criminels.
Comme la démocratie parlementaire leur apparaît condamnée à brève échéance, ils s'en remettent à un homme providentiel pour les sortir de leur misère et les libérer de leurs doutes.
Le repoussoir bolchevique
La Grande Guerre s'achève en Europe centrale et orientale dans un climat d'apocalypse. En Russie, la prise de pouvoir par les bolcheviques (on dira plus tard communistes) se double d'une guerre civile et de l'oppression des paysans, avec des famines et des massacres à grande échelle.
En Allemagne, notamment à Munich et Berlin, des groupuscules communistes tentent de prendre le pouvoir par la force avant d'être éliminés par les républicains.
En Hongrie, un agitateur communiste, Béla Kun, installe une dictature sanglante qui, heureusement, ne dure que trois mois avant d'être renversée par une intervention roumaine.
Ces précédents dramatiques divisent les partis socialistes de toute l'Europe sur l'opportunité de soutenir le parti de Lénine. Les déshérités et les aigris de la guerre ont beau mettre en doute la démocratie parlementaire, ils ne se résolvent pas pour autant à rallier le bolchevisme et sont prêts à suivre le premier leader qui leur offrira une alternative...
Le modèle italien
Le premier homme providentiel de cette sorte apparaît en Italie. C'est un ancien leader socialiste du nom de Benito Mussolini qui, dans l'exil, a connu de près les bolcheviques.
Il prône le dépassement de la démocratie et préconise, pour contrer le bolchevisme, un système autoritaire appelé « fascisme » fondé sur le culte de la Nation et la coopération entre les classes sociales.
Pour lui comme pour Lénine, il existe au-dessus des individus une entité à laquelle sont subordonnés les droits individuels. Rien à voir avec le Dieu transcendant de l'Ancien Régime, à la loi duquel devaient se soumettre tous les hommes, souverains compris. Pour Mussolini, il s'agit de l'État ; pour Lénine, du Parti. Les chefs qui personnifient ces entités terrestres s'adjugent un droit supérieur aux autres hommes de sorte que ces régimes débouchent inévitablement sur des dictatures dites « totalitaires », toute la société étant régentée par l'État ou le Parti.
En s'appuyant, comme Lénine, sur un parti de militants professionnels paramilitaires, Mussolini s'empare du pouvoir en octobre 1922 et met en place progressivement un « État fasciste » conforme à ses principes.
Par la manière efficace dont il modernise l'Italie, le « Duce » suscite dans les premières années de la dictature l'admiration de nombreux hommes politiques et intellectuels, y compris les plus estimables comme Winston Churchill.
Des émules dans le monde entier
Mussolini et sa pratique autoritaire du pouvoir, fondée sur la sacralisation de l'État, font très vite des émules dans les petits pays d'Europe centrale et méditerranéenne : Horthy en Hongrie, Pilsudski en Pologne, Seipel et Dollfus en Autriche, Primo de Rivera en Espagne, Salazar au Portugal, Metaxàs en Grèce...
Dans ces vieilles nations, toutefois, les dictateurs, à la différence de Mussolini, ont le souci de restaurer les cadres de la société traditionnelle plutôt que de révolutionner l'ordre social.
L'Espagne, victime d'une grave instabilité politique et d'un enlisement militaire au Maroc, est le premier pays à être atteint par la contagion autoritaire.
Le 13 septembre 1923, le général Miguel Primo de Rivera commet un coup d'État et met sur pied, avec un certain succès, un régime de type « fasciste ».
En Turquie, un autre pays blessé par la Grande Guerre,le « fascisme » fait aussi un émule.
Le général Moustafa Kémal impose sa dictature avec la volonté de construire une nation à base raciale sur les ruines de l'empire multiculturel ottoman. Il invente à la Turquie une Histoire qu'il fait remonter aux Hittites (!). Il introduit l'alphabet latin en remplacement de l'arabe, promulgue la laïcité et le 3 mars 1924, abolit le califat, pour couper les ponts avec la culture arabo-musulmane qu'il juge déliquescente.
C'est encore un militaire fort de ses victoires sur les champs de bataille qui prend le pouvoir en Pologne.
Après sa prise de pouvoir du 12 mai 1926, le maréchal Joszef Pilsudski instaure un État fort et tente de consolider son pays, reconstitué après la Grande Guerre et menacé tant par l'URSS que par l'Allemagne.
Il prend très tôt conscience du péril nazi. Mais devant la mollesse des puissances occidentales et à l'instigation de son ministre des affaires étrangères, le colonel Joszef Beck, il se résout à signer un traité de non-agression pour dix ans avec l'Allemagne en 1934.
Symétriquement, il signe aussi un traité de non-agression avec l'Union soviétique en 1932 et le reconduit en 1934.
Le Portugal, à la différence des prédécents pays, n'a pas beaucoup souffert de la Grande Guerre.
Mais la République, instaurée par la Révolution des 4 et 5 octobre 1910, l'a fait brutalement sombrer dans un régime ultra-laïc et violemment anticlérical, qui plus est instable et impuissant à moderniser le pays.
Le 28 mai 1926, le général Gomes de Costa commet un énième coup d'État mais c'est le ministre de l'économie du nouveau gouvernement qui va emporter la mise.
Il s'agit d'un professeur d'université, Antonio de Oliveira Salazar. Il redresse les finances et installe un régime autoritaire, l'« Estado Novo », qui lui survivra quelques années, jusqu'en 1974 !
Née du démantèlement de l'Autriche-Hongrie à l'issue de la Grande Guerre, la Hongrie souffre d'une instabilité dont profite un agitateur communiste, Béla Kun, pour instaurer une dictature brève mais sanglante.
Il revient à l'amiral Miklos Horthy de Nagybanya d'y mettre fin, à la tête d'une armée contre-révolutionnaire, le 16 novembre 1919. Horthy en est récompensé par le titre de régent (1er mars 1920), les Hongrois n'ayant pas encore renoncé à rendre la couronne de Saint-Étienne aux Habsbourg.
« Amiral d'un pays sans accès à la mer, régent d'un royaume sans roi », Horthy jouit de pouvoirs quasi-dictatoriaux à partir de 1931. Il se distingue toutefois des autres émules de Mussolini par le fait qu'il ne prétend pas bâtir une société nouvelle.
Il va se compromettre gravement avec Hitler en contrepartie de quelques agrandissements territoriaux.
D'autres régimes, nés dans les années 1920 en Lituanie, Autriche, Bulgarie, se rapprochent du «fascisme» mussolinien. La Finlande elle-même est sensible au modèle italien comme l'atteste le bref succès du mouvement Lappo (1930-1932) et le « putsch de Mäntsälä », un coup d'État avorté du général Walenius en février 1932.
La multiplication de ces régimes a conduit les contemporains, y compris d'honnêtes démocrates, à la conviction que la démocratie parlementaire de type anglo-saxon ou scandinave n'avait plus d'avenir en Europe continentale.
Elle a favorisé en Allemagne l'émergence du nazisme, une idéologie autrement plus brutale et viciée par le racisme. Notons que l'épithète « fasciste », par extension de sens, va être employée par les partis de gauche occidentaux, à partir de 1936 et de la guerre d'Espagne, pour désigner tous les mouvements d'extrême-droite, y compris le nazisme allemand, voire les partis démocratiques ancrés à droite.
L'entre-deux-guerres est fertile en dictateurs militaires portés au pouvoir par leurs hauts faits durant la Première Guerre mondiale, et restés populaires grâce d'une part à la fierté nationale qu'ils incarnent, d'autre part à une disparition opportune avant les drames de la Seconde Guerre mondiale.
On peut classer dans cette catégorie Moustapha Kémal en Turquie, le maréchal Pilsudski en Pologne, le général Metaxàs en Grèce et le général Miguel Primo de Rivera en Espagne (malgré sa mort en 1930, le nom de ce dernier reste toutefois associé à la guerre civile espagnole à cause du rôle qu'y prit la Phalange créée par son fils en 1933).
À ces dictateurs s'oppose la génération de ceux trop jeunes pour s'être acquis une gloire personnelle durant la Grande Guerre et qui contribuèrent à la Seconde guerre mondiale ou ses prémices, ce qui leur a valu une impopularité durable et méritée. À cette catégorie appartiennent Mussolini, Hitler et Franco.
Plus généralement, un chef d'État, s'il veut rester populaire, a tout intérêt à trépasser en pleine gloire et inopinément, pour frapper les imaginations et léguer à ses successeurs les difficultés créées par sa politique avant qu'elles aient eu le temps d'apparaître.
Il en va ainsi d'Henri IV comme des présidents Kennedy et Pompidou, les deux premiers assassinés avant les difficultés découlant du projet de nouvelle guerre contre les Habsbourg ou de l'escalade vietnamienne, le dernier fauché par la maladie à la fin d'une longue période de croissance économique avant que le premier choc pétrolier ait produit tous ses effets.
Le siècle des dictateurs
Vos réactions à cet article
Recommander cet article
Aucune réaction disponible