Paris

La Bastille, forteresse sinistre... mais inapte à se défendre

Il ne reste plus rien de la forteresse parisienne, si ce n'est une grande place et le souvenir mythique de la première journée révolutionnaire.

À la fin du Moyen Âge, en 1356, Paris débordait largement au-delà de l'enceinte fortifiée construite cent cinquante ans plus tôt par le roi Philippe Auguste. Étienne Marcel, puissant prévôt des marchands, fit donc ériger une nouvelle ceinture qui englobait les faubourgs. Mais seules les portes Saint-Denis etSaint-Martin au nord, Saint-Antoine à l'est, étaient gardées par une bastille ou petit fortin.

Quinze ans plus tard, le roi Charles V décida de renforcer cette dernière. La première pierre de la nouvelle bastille fut posée le 23 avril 1370 et sa construction dura pas moins de treize ans, sous les ordres du prévôt de Paris Hugues Aubriot.

La porte fortifiée de Saint-Antoine fut ainsi remplacée par une forteresse formée de deux tours massives de 25 mètres d'élévation entourées de douves. Cette paire de tours fut ensuite doublée à l'intérieur du rempart de deux tours supplémentaires, destinées à surveiller le quartier Saint-Antoine. Aubriot compléta encore la forteresse par quatre autres tours. Les huit tours furent reliées les unes aux autres par une muraille de trois mètres d'épaisseur, bordée de douves alimentées par l'eau de la Seine.

La Bastille était donc devenue beaucoup plus imposante que la Tour de Londres de Guillaume le Conquérant que l'on peut visiter encore. Une forteresse similaire était érigée à la même époque à Tarascon, sur les bords du Rhône. Ce « château du roi René » continue quant à lui de dominer de sa masse la ville environnante... 

Elle sembla tout à la fois capable de défendre la capitale contre une attaque venue de l'Est et de combattre une éventuelle sédition des Parisiens eux-mêmes comme il s'en produisit au temps d'Étienne Marcel !

Mais elle ne tarda pas à trahir ses promesses. Ainsi, le 27 avril 1413, sous le règne de Charles VI le Fou, des milliers de Parisiens, manoeuvrés par le duc de Bourgogne, assiégèrent la forteresse dans laquelle le prévôt de Paris Pierre des Essarts, fidèle au roi, avait cru bon de se réfugier. Il se rendit le jour même en échange de la promesse de la vie sauve mais il n'en fut pas moins exécuté deux mois plus tard, 

En 1420, les Bourguignons, maîtres de la capitale, ne craignirent pas de livrer la forteresse à leurs alliés anglais et c'est seulement en 1436 que la garnison consentit à se rendre sans combattre, quand Charles VII, fils du précédent, fit son retour dans la capitale.

Le 12 mai 1588, en pleines guerres de religion, le scénario se répète avec la « journée des Barricades » : Henri III ayant dû fuir la capitale, il laisse le champ libre à la Saint Ligue catholique. Celle-ci se prépare à assiéger la Bastille afin de tenir la capitale. Elle n'aura pas à se donner cette peine : la garnison se rend immédiatement sans combattre. Le 22 mars 1594, Henri IV rentre enfin dans sa capitale. À son tour, il somme le gouverneur de la Bastille de se rendre. Celui-ci se fera prier quatre jours (un exploit !) et capitulera enfin sans qu'un coup de canon ait été tiré.

Une seule fois avant la Révolution, les Parisiens vont entendre tonner les canons de la Bastille : cela s'est passé le 2 juillet 1652 pendant la Fronde des Princes. Ceux-ci, qui se sont soulevés contre Mazarin, ministre de Louis XIV, tiennent les quartiers est de Paris avec les troupes du Grand Condé. Les troupes royales commandées par Turenne sont sur le point de l'emporter quand soudain une frondeuse, Mme de Montpensier, dite la Grande Mademoiselle, fille de Gaston d'Orléans et cousine du roi, s'installe à la Bastille et dirige ses canons sur les troupes de Turenne, obligées de battre en retraite. Ainsi Condé peut-il rentrer à Paris...

La Bastille au XVIIe siècle (gravure de Jean-François Rigaud) ; agrandissement : gravure anonyme du XVIIe siècle

Prison d'État

À mesure que son importance militaire diminua au fil du temps, la Bastille assuma la fonction de geôle pour les détenus de marque, à commencer par Aubriot lui-même, déchu de sa charge après la mort de son protecteur Charles V, en 1380 ! D'un autre côté, le développement urbain amena les habitations à la serrer de plus en plus près, ce qui renforça l'impression désagréable de la tutelle royale sur la ville.

C'est sous Louis XIII, à l'initiative du ministre Richelieu, que la Bastille, dont on ne savait déjà trop que faire, devint officiellement une prison d'État. Au total, avant sa démolition en 1789, elle aura accueilli un peu plus de cinq mille détenus, ce qui reste somme toute assez peu. C'était généralement des détenus occasionnels et non de droit commun, incarcérés sur une lettre de cachet (décret d'arrestation à la discrétion du roi).

Ces lettres de cachet étaient très vite devenues aux yeux de tous un abus de droit flagrant. Il y en eut quelque 80 000 sous le règne de Louis XIV. Le duc de Nemours, le maréchal de Biron, le marquis de Belle-Isle (Fouquet), le cardinal de Rohan, le duc de Richelieu, le Masque de Fer, le marquis de Sade, Voltaire furent quelques-uns des prisonniers illustres de la forteresse.

Chaque tour comportait quatre à cinq étages de cellules ou chambres au demeurant assez spacieuses. La forteresse pouvait de la sorte héberger simultanément 42 prisonniers isolés. Les prisonniers de condition jouissaient d'un réel confort au cours de leur détention, pouvant conserver leurs officiers et leur maison, se promener à leur guise, s'y faire servir d'abondance, et recevoir la visite du gouverneur qui se tenait alors debout, chapeau bas...

D'autres personnages, à les en croire, n'étaient pas si bien lotis : « En hiver, ces caves funestes sont des glacières. En été ce sont des poêles humides, où l'on étouffe, parce que les murs sont trop épais pour que la chaleur puisse les sécher » (Linguet, détenu au XVIIIe siècle). Mais tous touchaient une pension relativement élevée pour payer leur logement, leur nourriture et leurs menus frais !...

Une relique symbolique

En 1789, la Bastille avait encore conservé ses huit tours d'origine, unies par un mur épais surmonté d'un chemin de ronde, de mâchicoulis et défendues par 15 pièces de canon. L'ensemble était entouré d'un large fossé contrôlé par les sentinelles en surplomb. Un bastion en demi-lune défendait l'accès du côté de la Seine et pouvait tenir sous son feu croisé d'éventuels assaillants.

Venant de la rue Saint-Antoine, on entrait dans la Cour du Passage, puis l'Avancée donnait accès à un premier pont-levis précédant la Cour du Gouvernement, enfin un jeu de ponts-levis accouplés en parallèle amenaient à la porte principale de la forteresse proprement dite, fermée par deux grands battants cuirassés de plaques de fer. Un bâtiment construit sous Louis XV servait de logis aux officiers, et donnait sur une cour d'honneur qui occupait l'essentiel de l'espace compris à l'intérieur des murs.

Sitôt après la prise de la forteresse, le soir même du 14 juillet 1789, des badauds montés sur les tours commencèrent à en arracher les pierres. Parmi eux, un jeune entrepreneur de 34 ans, Pierre-François Palloy, réunit une centaine d'ouvriers et entreprit plus méthodiquement la démolition de la Bastille sans avoir pris la peine de demander l'autorisation aux autorités. 

Celles-ci se manifestèrent deux jours plus tard et nommérent Palloy inspecteur général du chantier. Pas moins de 800 ouvriers allaient ainsi travailler sous sa direction jusqu'au 21 mai 1791. Le coût des travaux s'éleva à la somme pharamineuse d'environ un million de livres mais la municipalité tenta de couvrir les frais par la vente des pierres. Palloy, de son côté, trouva moyen de tirer profit de tout en faisant graver des pierres ou des chaînes en souvenir du 14-Juillet et en organisant sur le chantier des fêtes et des manifestations en tous genres.

Notons que le gouvernement avait prévu en 1784, bien avant le fatidique 14 juillet 1789, de raser la forteresse, vétuste et inutile, et de la remplacer par une place Louis XVI. C'est bien aujourd'hui une place qui a remplacé la forteresse mais elle porte le nom de la Bastille et elle est ornée en son centre d'une colonne de bronze érigée par l’architecte Jean-Antoine Alavoine (1777-1834), sur le modèle de la colonne Trajane (Rome) et destinée à commémorer les morts de la révolution des Trois Glorieuses (27-28-29 juillet 1830). 

Notons encore que peu après la prise de la forteresse, un certain Amour de Saint-Maximim découvrit dans les décombres un rouleau de papier recouvert recto verso d'une écriture fine. Il s'agissait des écrits clandestins du marquis de Sade, l'un des derniers hôtes involontaires de la Bastille. Il en était sorti quelques jours avant sa prise par les Parisiens.

Bibliographie

Claude Quétel, L’Histoire véritable de la Bastille (éd. Texto, 2012).

Publié ou mis à jour le : 2024-07-16 09:34:32

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