Louis-François-Armand de Vignerot du Plessis, Maréchal-duc de Richelieu, arrière-petit neveu du célèbre cardinal, est un personnage hors du commun à plus d’un titre. D’abord par sa longévité, il vécut 92 ans, mais aussi par sa carrière... et ses moeurs libertines.
Tour à tour militaire, il participa aux plus grands conflits de son siècle, ambassadeur à deux reprises, à Vienne puis en Saxe, Premier Gentilhomme de la Chambre des rois Louis XV et Louis XVI, charge hautement honorifique qui lui permettait d’assouvir sa passion du théâtre en organisant les divertissements de la Cour, et Gouverneur de la province de Guyenne, il est un homme incontournable du XVIIIe siècle.
Pourtant, ce personnage important, qui traverse les règnes de Louis XIV, Louis XV et Louis XVI a marqué les esprits bien plus par ses frasques demeurées célèbres que par ses faits de gloire. Admiré ou décrié, il devient le libertin type de son temps, sa vie dissolue efface une longue carrière au service de la France.
Souvent oublié des livres d'histoire, le maréchal « devient, de son vivant et plus encore après sa mort, un personnage littéraire », inspirant les personnages de Beaumarchais, Choderlos de Laclos, Crébillon fils ou encore Diderot. Au-delà de cette facette de libertin, sa carrière semble démontrer la complexité du personnage dont la vie ne peut être réduite à son alcôve et dont l’image n’a cessé d’évoluer.
Dépassons les aventures amoureuses échevelées du duc pour nous pencher sur sa jeunesse, son histoire familiale et sa formation afin de cerner sa personnalité.
Tout le monde connaît le célèbre cardinal de Richelieu mais un autre Richelieu, son arrière petit-neveu, a connu une ascension et une carrière toute aussi hors du commun.
L'historienne Émilie Champion a consacré une biographie au maréchal-duc de Richelieu (Le Maréchal-duc de Richelieu, l’héritier du cardinal, un homme de pouvoir et de guerre au Siècle des Lumières, avril 2022, 516 pages, éditions Honoré Champion) dans lequel s'intriquent toutes les passions de l'Ancien régime : la guerre, l'intrigue et le libertinage. Couvert d'honneurs, il disparaît un an avant la Révolution, avant la disparition d'un monde qu'il croyait éternel.
Une jeunesse singulière
« M. de Richelieu est un de ces hommes rares dont la nature donne peu de modèle ». Autrement dit, pour ses contemporains, le duc est un homme singulier. À commencer par sa naissance, le 3 mars 1696 (note), lorsque le nouveau-né chétif et fragile est ramené à la vie par l'intervention d'une belle servante. Le but des mémorialistes était de justifier une vie exceptionnelle par une naissance hors du commun.
Quatrième enfant, et seul garçon, d'Armand-Jean de Vignerot du Plessis, général des galères, gouverneur de la ville et citadelle du Havre et Chevalier d'honneur de la Dauphine et de Anne-Marguerite d’Acigné, il est l'héritier que ses parents n’espéraient plus, son père est âgé de 67 ans au moment de sa venue au monde.
Le jeune duc, titré dans sa jeunesse duc de Fronsac, étonne également par sa précocité. Dans ce siècle que François Bluche qualifie de « siècle de la pédagogie », il ne bénéficie pas d'une éducation soignée, son père s'en désintéressant et sa mère étant décédée peu après sa naissance.
Contrairement à son ami Voltaire, le duc n'est pas un homme de lettres, c'est un homme d'action qui sait à peine l'orthographe. Cela explique qu'en 1720, à 24 ans, il demandera à Fontenelle, Destouches et Campistron de rédiger son discours de réception à l'Académie française.
Son éducation, il la fait à la Cour du vieillissant roi Louis XIV dès 1710. Tout comme Chérubin, personnage de la littérature qu’il a inspiré, il fait l’unanimité auprès des courtisans vantant sa jeunesse et son physique avantageux. Le duc de Saint-Simon rapporte que « le petit duc de Fronsac (…) devint bientôt la coqueluche de la cour ».
L'année suivante, âgé seulement de 15 ans, le duc est marié à Anne-Catherine de Noailles, une des filles de la troisième épouse de son père. Opposé à ce mariage arrangé, le duc de Fronsac se détourne obstinément de sa jeune épouse, multiplie les maladresses et les étourderies, perd son temps au jeu, ce qui lui vaut un premier séjour à la Bastille. Il y en aura d’autres.
1715 marque un tournant dans l’existence du jeune duc. Cette année-là, il devient duc de Richelieu et Pair de France après le décès de son père. Héritier du cardinal, qu’il admire, il n’a de cesse de rétablir le patrimoine légué par ce dernier et que son père, surnommé le « panier percé » par le duc de Saint-Simon, a en partie dilapidé.
De cette fortune et de cette position sociale découle tout un univers de luxe, un mode de vie propre à un noble de son importance, avec des propriétés, des châteaux qu’il remanie, redécore ou fait bâtir, comme sa « folie » sur le tertre de Fronsac. Sa garde-robe est le reflet de la nécessité de tenir son rang et son allure force l'admiration. L’avocat Marais rapporte l’impression d’opulence et de richesse qui se dégageait du duc en mars 1721 lors de son arrivée au Parlement, habillé de la tête aux pieds avec une étoffe d'or.
Digne représentant de son époque et de son rang social, il a des mœurs libertines. Veuf dès 1716, le duc de Richelieu se distingue des autres libertins par le grand nombre de maîtresses mais aussi par leur importance. Deux de ses maîtresses se battent même en duel pour lui. Richelieu, loin d'être discret, se vante de son mode de vie et l'exagère même puisque qu'il envoyait son carrosse sous les fenêtres de certaines maîtresses pour laisser croire qu'il s'y trouvait alors qu'il passait la soirée seul chez lui. Michel Delon ne dit-il pas que dans ce siècle, la sexualité « se parle parfois plus qu’elle ne se pratique… »
Un chef militaire entre ombre et lumière
Pour un aristocrate tel que lui, l’armée restait la seule véritable voie. La carrière militaire de Richelieu se caractérise par sa durée, il participe à tous les conflits du XVIIIe siècle.
Le jeune duc commence sa carrière à l’âge de 16 ans, lors de la guerre de Succession d'Espagne qui prend fin en 1714. Il part pour l’armée avec l’objectif de racheter sa conduite et de faire oublier ses étourderies après un premier séjour à la Bastille. Il s'engage chez les mousquetaires, la meilleure arme de formation pour les jeunes nobles.
Car le duc se forme sur le terrain et fait ses armes aux côtés d'un des plus grands noms des champs de bataille, le maréchal de Villars qui gardera toute sa vie un attachement pour le jeune homme et plaidera même en sa faveur quelques années plus tard, en 1718, lors de la conspiration de Cellamare, dans laquelle Richelieu est impliqué et qui lui vaut un nouvel embastillement.
Cet épisode est l’occasion pour plusieurs auteurs, dont le duc de Saint-Simon et Alexandre Dumas, de rapporter une anecdote qui, si elle n'est pas prouvée, reflète parfaitement le caractère du « jeune étourdi » lorsque le Régent affirme qu'il aurait eu motif de lui faire couper quatre têtes s'il en avait eu au moins une.
Dès ses débuts, devenu aide de camp de Villars, le duc montre de bonnes dispositions, il est un bon cavalier, intrépide et excellent bretteur. Il bénéficie de ses leçons et conseils au cours des différentes entreprises militaires tels que les sièges de Marchiennes, Douai, Le Quesnoi et bien sûr la bataille de Denain, qui se solde en 1712 par une victoire inespérée de Villars.
Le duc est choisi pour porter à la cour la nouvelle de la reddition des forts. Pour la première fois, beaucoup de contemporains évoquent Fronsac, non plus pour ses frasques, mais pour son action militaire.
Le début de carrière du duc est relativement fulgurant. À 17 ans, il devient capitaine de cavalerie et à 22 ans il est brigadier d’infanterie. Le contexte européen étant peu favorable à un avancement rapide dans les grades, entre 1713 et 1721, plusieurs traités mettent fin aux guerres, il lui faut attendre 1744, soit vingt-six ans plus tard, pour obtenir le grade de lieutenant général.
C'est à cette époque, en 1734, que le duc épouse en secondes noces, Élisabeth-Sophie de Lorraine, alliant ainsi les Vignerot du Plessis à l’une des plus prestigieuses familles aristocratiques. De cette union naissent un garçon, Louis-Antoine en 1736 et une fille, Jeanne-Armande-Septimanie, quelques années plus tard, en 1740.
Devenu favori de Louis XV, dont il sait flatter les passions, il fait partie de l’état-major du roi lors de la bataille de Fontenoy, en 1745. Cette bataille marque un tournant décisif dans la guerre de Succession d’Autriche comme dans la carrière de Richelieu. À cette occasion, il se distingue à la tête de la cavalerie comme un « vrai Bayard » pour reprendre les mots du marquis d’Argenson. À la suite de quoi, Louis XV lui confie une tâche épineuse, la défense de Gênes dès 1747.
Lors de cette campagne, éloigné de la Cour, il montre toutes les qualités d'un grand chef de guerre, gérant aussi bien l'approvisionnement des troupes que les finances ou les échanges diplomatiques. De ce passage en Italie, restent le fortin Richelieu et une statue réalisée par le sculpteur Schiaffino et offerte au duc en 1748. Une copie de cette effigie est conservée au Musée du Louvre, ce qui est une chance puisque l'original a été détruit lors d'un incendie.
Suite à cet épisode, en 1748, Richelieu obtient le bâton de Maréchal qu’il va porter fièrement sur deux théâtres d’opérations avec des destins opposés. La guerre de Sept Ans (de 1755 à 1762), que Richelieu souhaitait bénéfique à sa carrière, n’a pas été à la hauteur de ses espérances. Ce n'est pas faute d'avoir mérité car, ayant dirigé l'expédition de Minorque (Baléares), il s'empare en 1756 de Port-Mahon, place réputée imprenable. C'est une victoire, inattendue, impressionnante et éclatante.
S’il ne peut être tenu véritablement responsable de la défaite de Rossbach, l’année suivante, le duc est en revanche coupable d’avoir laissé ses troupes piller le pays de Hanovre. Ce véritable fiasco met un terme à sa carrière et lui vaut le surnom de « Petit Père la maraude ».
Un grand serviteur royal
Richelieu naît dans un siècle au centre d’un débat au sein même des ducs, entre les valeurs des vieilles familles ducales, et celles de la méritocratie, d’une noblesse qui doit sa faveur, à son travail, le plus souvent au service du roi. Fidèle à cette tradition, et dans la lignée du cardinal, le maréchal de Richelieu est un grand serviteur du royaume. Il enchaîne les fonctions. Sa carrière de courtisan atteignit son apogée en 1744, quand il obtint une des charges les plus honorifiques de l’Ancien Régime, au sein de la Maison civile du roi, celle de Premier Gentilhomme de la Chambre.
La Chambre du roi recouvrait deux notions. C’était à la fois, dans les résidences royales, l’endroit où le roi vivait, dormait et mangeait, et l’organisation, les serviteurs, l’entourant pour répondre à ses besoins personnels. La fonction du duc se résume alors en deux actions principales : il est une pièce maîtresse du « mécanisme de la cour », entourant la personne du roi et il est responsable des divertissements de la cour, plus particulièrement du théâtre et organise les événements majeurs du règne, mariages, funérailles...
Dans ses autres fonctions, le duc de Richelieu se met au service de la couronne dans un tout autre domaine, la diplomatie. Sa carrière est marquée par deux missions distinctes à vingt ans d’intervalle. Une à Vienne entre 1725 et 1728, la plus complexe, la plus riche en sources et donc la plus instructive ; l’autre en 1746 à Dresde, avec le caractère d’ambassadeur extraordinaire.
Ces deux missions diffèrent par leur nature, leurs objectifs et leur contexte mais sont toutes deux couronnées de succès malgré quelques coups d'éclat dont Richelieu avait le secret.
Gentilhomme zélé à la cour de France, comme dans les cours étrangères, c’est dans les provinces du Languedoc et de Guyenne-Gascogne qu’il prolonge une carrière passée au service de son monarque. À partir du 12 septembre 1722, il est « gouverneur des ville et château de Cognac », puis, le 29 mars 1738, il est lieutenant-général du Languedoc, charge importante, avant de devenir en 1755, Gouverneur de Guyenne. Le maréchal de Richelieu est un représentant royal omniprésent, voulant tout contrôler et ne supportant aucune contradiction.
Étudier l'action de Richelieu dans ses différentes fonctions est très instructif sur la nature des charges en elles-mêmes, l'importance du Premier Gentilhomme de la Chambre, les échanges diplomatiques avec d'autres pays et la correspondance avec sa Cour. Mais le véritable intérêt est la manière dont Richelieu accomplit ses fonctions.
Lui, le grand libertin, l'homme léger s'avère passionné dans son travail. « Le pire de tous les partis est celui de n’en pas prendre ». Cette devise souvent édictée en règle par Richelieu, dépeint le caractère, l’activité, l’implication de ce serviteur royal au cours de ses différentes missions. Il laisse exprimer son goût pour le faste dans les événements qu'il organise à la Cour, dans les cours étrangères ou lors de son entrée solennelle à Bordeaux : « On n’oubliera jamais la pompe, la magnificence et la joie qui éclatèrent en cette occasion ».
C'est un personnage complexe et à l'humeur versatile. Il est « le plus brillant des courtisans », par son caractère ostentatoire, et bien plus par son esprit du complot et de l’intrigue. Papillon de la Ferté, intendant des Menus Plaisirs, dresse de lui un portrait peu flatteur : « Brouillon, taquin, dépensier, (…) il ne fait aucun cas des représentations qu’on lui adresse par écrit ou de vive voix ».
Il faillit transformer sa mission à Vienne en incident diplomatique avec l'ambassadeur espagnol, Ripperda. De même, il se montre autoritaire et très attaché à ses prérogatives en tant que Gouverneur. Les jurats ou l'archevêque de Bordeaux font les frais de sa vindicte.
Singulier, Richelieu l’était assurément, par sa longévité, mais plus encore par son exubérance, et sa personnalité. Passionné de théâtre, il passa sa vie à se mettre en scène dans des décors fastueux, à faire parler de lui. L'un des derniers coups d'éclat de ce vieux libertin est d’épouser en troisièmes noces, à 84 ans, la veuve du chevalier de Rothe...âgée de 35 ans avec la ferme intention d'avoir un nouvel héritier.
Dérangeant, voire insupportable, pour certains, séduisant et charmant pour d’autres, ignorant les critiques de ses détracteurs, il n’eut de cesse d’occuper le rôle principal dans ses différentes fonctions, dans les cours étrangères comme à la cour de France dont il devint une figure centrale, sur les champs de bataille et dans sa province où il se comportait en monarque absolu.
À la fin de ce portrait, nous mesurons le décalage qui pouvait exister entre ce représentant de l’Ancien Régime, du XVIIIe siècle, et la société révolutionnaire qui suivit son décès, en août 1788. Sans aucun doute, avec ce grand serviteur de l’État, qui rassemblait dans sa personne les valeurs et les travers de son temps, disparaissait toute une époque.
Deux décennies après sa mort, un autre duc de Richelieu, petit-fils du maréchal, s’illustrera au-delà des frontières du royaume. Maire et gouverneur de la ville d’Odessa, en Ukraine, de 1805 à 1814, il marquera la ville de son empreinte. Il y encore présent avec sa statue en empereur romain, érigée en 1828, au-dessus du célèbre escalier Potemkine qu'il a fait construire.
Bibliographie
Michel Delon, Le savoir-vivre libertin, Paris, Hachette, 2004,
C.-C. de Rulhière, Anecdotes sur le maréchal de Richelieu, Paris, Allia, 1993,
J.-F. Solnon, La Cour de France, Paris, Fayard, 1987,
Saint-Simon, Supplément aux Mémoires de M. le duc de Saint-Simon…, Paris, Buisson, 1789, tome IV,
Norbert Élias, La Société de Cour, Paris, Flammarion, 1974,
Bibliothèque de la Sorbonne, Victor Cousin, Fonds Richelieu, tome 34, Languedoc, Guyenne et Gascogne, 1745-1753< /em>, fol. 228. Le 14 janvier 1753,
Bibliothèque Municipale de Bordeaux, Mic. 385/3, Mémoire concernant les Gouverneurs...,
Journal de Papillon de la Ferté, intendant et contrôleur de l’argenterie, menus-plaisirs et affaires de la chambre du roi (1756-1780) : l’administration des menus, Ollendorff, Paris, 1887.
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Dubuisson Michel (19-06-2022 10:27:03)
La guerre et ses excès, l'absence de toute morale! Quel contraste avec la vie de son petit -fils Armand Emmanuel de Richelieu, adepte, au contraire, des idées du siècle des lumières. Dans une pé... Lire la suite