Dans les temps anciens, on comptait généralement les années à partir de l'année d'intronisation du souverain régnant (ce système prévaut encore dans l'empire du Japon).
Les Romains préféraient toutefois les compter à partir de la fondation de Rome, selon l'expression latine AUC - ab urbe condita, ce qui signifie : « depuis la fondation de la ville ». Devenu chrétien, l'empire romain conserve cette tradition et ce sont des querelles de clercs qui vont y mettre fin.
À la fin de l'empire romain comme au début du Moyen Âge, en Occident, les calendriers varient en fonction des métiers, ainsi que le souligne l'historien Bruno Dumézil : « C’est le cas des métiers judiciaires : les tribunaux ferment pendant les moissons, les vendanges, ou les anniversaires des membres de la famille impériale. Du point de vue religieux, les calendriers chrétien et judaïque cohabitent. Mais, au sein même des communautés chrétiennes, les temps forts de l’année varient en fonction des saints que l’on célèbre. Enfin, n’oublions pas les calendriers agricoles, qui rythment l’année en fonction des saisons et des travaux des champs, et qui ont leurs propres fêtes comme celles de la Saint-Jean. ».
La semaine de sept jours prend le pas sur les douze mois de l'année dans la vie quotidienne, le septième étant consacré au repos et à la prière, conformément aux enseignements de la Genèse (« Dieu bénit le septième jour et le consacra »). C'est le dimanche (dies dominicus, « jour du Seigneur ») marqué par la célébration de l'eucharistie (la messe), rythme le temps liturgique des chrétiens et très vite le repos dominical s'imposa afin que chacun puisse célébrer comme il convient le Jour du Seigneur.
La journée est elle-même rythmée par les huit heures canoniales indiquées par les cloches des monastères et scandées par la prière des moines : matines, laudes, prime, tierce, sexte, none, vêpres et complies.
L'Église invente l'ère chrétienne
À partir du VIIe siècle, l'Église organisa l'année liturgique autour des grandes fêtes christiques (Noël, Pâques, Ascension, Pentecôte) ainsi que des fêtes mariales (Annonciation et Assomption) et sanctorales (la Saint-Jean, 24 juin).
Pour fixer la date de Pâques, principale fête chrétienne, qui célèbre la résurrection de Jésus-Christ trois jours après sa mort sur la croix, les premiers chrétiens s'en remirent à la tradition juive, fondée sur un calendrier lunaire. Mais cette solution finit par déplaire à l'Église, désireuse de s'émanciper du judaïsme.
Désireux de mettre un terme aux « querelles pascales » qui agitent l'Église, quelques moines se mettent en quête d'une passerelle entre le calendrier lunaire des juifs et le calendrier solaire des Romains.
C'est ainsi qu'en 532 de notre ère, au temps de l'empereur Justinien, un moine scythe réfugié à Rome, Denis le Petit, situe l'année de la naissance du Christ 753 ans après la fondation de Rome, l'année de référence des anciens Romains.
Cela dit, on pense aujourd'hui qu'il s'est trompé de 5 ans, le roi Hérode, contemporain de la naissance du Christ, étant mort en l'an 750 de la création de Rome ; le Christ serait donc né entre l'An 3 et l'An 6 avant l'ère chrétienne.
Le calendrier et les tables de Denis connaissent une obscure diffusion dans les îles britanniques où l'on voit apparaître les premiers actes datés de « l'an de l'Incarnation de Notre Seigneur ».
Deux siècles plus tard, au temps de Charlemagne, un moine anglo-saxon resté dans la postérité sous le nom de Bède le Vénérable envisage de généraliser cette pratique à la manière des Romains qui comptaient à partir de la fondation de leur ville.
Après lui, les clercs prennent l'habitude de dater l'année en cours à partir de l'année de naissance présumée du Christ. C'est une façon de christianiser le temps.
Dans le même temps, au VIIIe siècle, d'autres moines proposent de faire débuter l'année le jour de l'Annonciation, soit le 25 mars, au lieu du 1er janvier, qui marquait dans le calendrier julien la prise de fonction des consuls et la fête de Janus... Il faudra attendre 1622 pour que la papauté généralise le retour au 1er janvier.
L'Église copte d'Égypte, aujourd'hui encore, se distingue de ses consoeurs en datant les événements à partir, non de la naissance du Christ, mais de l'« ère des martyrs » qu'elle fait débuter en l'an 284 de la Nativité, au plus fort des persécutions. Bien entendu, ce calendrier n'est en usage que dans le domaine liturgique.
Bède le Vénérable ne s'en tient pas là. Il a aussi l'idée d'un décompte négatif pour les années antérieures à la naissance du Christ. Ainsi écrit-il dans son Historia ecclesiastica gentis anglorum, publiée en 726 : « Dans la soixantième année avant l'Incarnation du Seigneur, Caius Julius Caesar fut le premier Romain à faire la guerre aux Britanniques ».
L'année qui précède le moment précis où serait né le Christ devient ainsi une année bissextile de 366 jours qualifiée d'An I avant Jésus-Christ (ou avant J.-C.). Les Anglo-Saxons écrivent en abrégé BC (Before Christ, avant le Christ).
La période postérieure à la naissance du Christ est par convention qualifiée d'« ère chrétienne ». Elle débute avec l'An I après Jésus-Christ (en abrégé après J.-C. ; les Anglo-Saxons emploient l'expression AD, du latin Anno Domini qui signifie en l'an du Seigneur).
Selon ce nouveau calendrier, l'ère chrétienne est supposée commencer au moment précis où serait né le Christ (il ne s'agit encore que d'une convention qui n'a rien à voir avec la commémoration par l'Église de la Nativité, le 25 décembre).
Les années sont découpées en mois selon le principe de Sosigène d'Alexandrie retenu par Jules César et qui sera modifié à l'initiative du pape Grégoire XIII pour donner le calendrier grégorien aujourd'hui en usage dans la vie courante sur toute la planète.
Si personne dans le monde ne conteste aujourd'hui sérieusement le calendrier de Bède le Vénérable, des voix s'élèvent toutefois aux États-Unis, pays du « politiquement correct », pour dénoncer la référence au Christ et à une religion particulière.
C'est ainsi que la formule après J.-C. - en anglais AD (Anno Domini) - est remplacée par EC (de l'Ère Commune), en anglais CE (Common Era). La formule av. J.-C. - en anglais BC (Before Christ) - est quant à elle remplacée par AEC (Avant l'Ère Commune), en anglais BCE (Before Common Era).
Le calendrier de Bède le Vénérable a substitué à la représentation cyclique du temps, qui se renouvelle à chaque intronisation d'un souverain, une représentation linéaire avec des années s'ajoutant les unes aux autres. Corrélativement, à l'idée que rien ne change, il a substitué l'idée d'un progrès indéfini de l'humanité. On peut y voir un signe du bouleversement mental amené par la chrétienté médiévale, à l'origine de notre civilisation.
Cette nouvelle datation est très vite entrée en faveur à la cour de Charlemagne et de ses successeurs où l'on a pris l'habitude de dater les actes publics à partir de la naissance de Jésus-Christ. Le mot « date » lui-même vient du latin data employé à propos d'un acte « donné » ou « délivré » tel jour. De la même racine viennent les mot « Datum » (allemand), « data » (italien)... L'espagnol « fecha » dérive quant à lui du latin facta (« fait » tel jour) (note).
Il va s'écouler de longues décennies avant que le mode de datation des chancelleries ne se diffuse dans la pratique quotidienne. C'est ainsi que les Européens ordinaires de l'An Mil n'ont encore aucune conscience de la durée qui s'est écoulée depuis la naissance du Christ (d'où le caractère mythique de la « Grande Peur de l'An Mil », une invention du XIXe siècle)...
Rien de tel aujourd'hui. Douze siècles après, le calendrier de Bède le Vénérable est pleinement adopté par toute l'humanité. À preuve le succès planétaire des festivités du 31 décembre 1999, qui ont marqué l'entrée dans le IIIe millénaire (même celui-ci n'a vraiment débuté que le 1er janvier 2001 et non 2000).
Selon le calendrier de Bède le Vénérable, le premier siècle de notre ère a commencé le 1er janvier de l'An I et fini le 31 décembre de l'An 100...
Les siècles suivants débutent le 1er janvier du millésime 1. Ainsi, le Xe siècle débute le 1er janvier 901. Le XIe siècle débute, de même que le IIe millénaire, le 1er janvier 1001. Quant au deuxième millénaire, il a débuté le 1er janvier de l'An 1001 et s'est terminé le 31 décembre de l'An 2000.
Soulignons que le 31 décembre de l'An 1 avant Jésus-Christ a été suivi du 1er janvier de l'An 1 après Jésus-Christ.Comme on peut le voir, il n'y a pas d'année zéro dans ce calendrier pour la simple et bonne raison que le zéro était encore inconnu en Occident du temps de Bède le Vénérable.
Cet oubli ne gêne en aucune façon les historiens. Mais il en va différemment des... astronomes qui ont besoin d'additionner et soustraire des périodes. Or, quiconque est passé par le collège sait bien que le zéro est indispensable à ces opérations, surtout quand interviennent des nombres négatifs.
C'est pourquoi les astronomes ont choisi de numéroter les années av. J.-C. par 0, -1... en introduisant l'équivalence :
• An 0 de l'astronomie = An 1 av. J.-C. de l'Histoire,
• An -1 de l'astronomie = An 2 av. J.-C.,
•...
Notons pour être complet que les géologues et les préhistoriens, qui n'en sont pas à quelques centaines d'années près, notent les années à partir de 1950 (introduction de la datation au carbone 14). Par exemple, Lascaux, 18 000 BP (de l'anglais Before Present, Avant le Présent).
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Jean MUNIER (22-12-2023 15:16:24)
Il me semble que les Romains utilisaient mars comme début de l'année , motif agricole; septembre octobre novembre.. ont les racines 7 8 9 .... Le pape Grégoire XIII n'a pas institué de retour au 1... Lire la suite